Être député arabe en Israël, un « défi permanent »
Les descendants des Palestiniens restés lors de la création de l’État hébreu représentent aujourd’hui 17,5 % de la population.
Arabes, citoyens israéliens, se revendiquant également pour beaucoup comme Palestiniens, mais aussi élus de l’État hébreu : les députés arabes au Parlement israélien se retrouvent régulièrement pris en étau. Une position difficile à tenir et de plus en plus inconfortable, assurent-ils.
C’est un paradoxe : en 2015, ils ont enregistré leur plus large victoire en remportant 13 sièges sur les 120 de la Knesset, le Parlement israélien ; mais depuis, ils ne se sont jamais sentis autant visés et impuissants.
Ces derniers mois, ces députés ont notamment vu leurs collègues débattre de la possible interdiction de l’appel à la prière musulmane. Cette loi vise, selon eux, tout particulièrement les Arabes israéliens, les descendants des Palestiniens restés sur leur terre à la création d’Israël, qui représentent aujourd’hui 17,5 % de la population, mais affirment être traités en citoyens de seconde zone. Il y a ensuite eu la loi sur la légalisation de la saisie de terres palestiniennes au profit des colons israéliens. Choqués, souvent vindicatifs, ils ont participé aux débats sans pouvoir faire pencher la balance.
Et certains d’entre eux estiment désormais qu’« il y a certaines lois que nous sommes dans l’obligation de ne pas respecter », affirme Ahmad Tibi. « C’est un défi permanent : la Knesset est de plus en plus extrémiste et ce n’est pas facile pour nous d’y siéger », témoigne ce député élu pour la première fois en 1999 et quatre fois réélu. L’actuelle mandature « est la pire » car elle se déroule sous un gouvernement « extrémiste de droite ». Avec de nombreux collègues, assure-t-il, « on ne se salue pas, on ne se parle pas ».
Lors des législatives de 2015 qui ont porté au pouvoir la coalition la plus favorable à la colonisation, les Arabes israéliens ont pour la première fois depuis la création d’Israël en 1948 décidé de former un front commun.
« Pas parler en arabe »
Ils se sont regroupés au sein de la Liste arabe unie, une coalition rassemblant des islamistes aux communistes. Avec 12 députés arabes et un juif, elle est la troisième force d’opposition, mais reste fragilisée par ses divisions internes. Cinq autres Arabes israéliens siègent à la Knesset dans différents partis dont certains de la majorité.
Associés aux Palestiniens, les députés arabes ont senti des pics de tension au moment des trois offensives menées par Israël contre Gaza. À ces moments, affirme M. Tibi, ses collègues « ne voulaient pas entendre le point de vue arabe, ni même entendre parler en arabe, ils voulaient qu’on se fonde dans le consensus ». Récemment, le chef de la coalition gouvernementale à la Knesset, David Bittan, les a accusés de « représenter les intérêts palestiniens » plutôt que ceux d’Israël. Mais Abdallah Abou Maarouf, député de la minorité druze, défend son « droit légitime en tant que citoyen » de chercher à « changer la politique de discrimination anti-Arabes en Israël ». M. Tibi assure avoir été la cible d’appels à la violence. Le très nationaliste ministre de la Défense Avigdor Lieberman a appelé à le « faire passer devant un peloton d’exécution », car « nous sommes des terroristes et des ennemis de l’État », raconte-t-il.
Procédure inédite
Son collègue Bassel Ghattas fait désormais l’objet d’une procédure sans précédent. Son immunité parlementaire a été en partie levée par la Knesset parce qu’il est accusé d’avoir fait passer des téléphones à des détenus condamnés à de lourdes peines. Zeev Elkin, ministre de l’Environnement, également en charge de la très sensible question de Jérusalem dans le gouvernement de Benjamin Netanyahu, a rassemblé 72 signatures réclamant l’éviction de M. Ghattas. La loi israélienne prévoit qu’un tel vote peut être inscrit à l’ordre du jour si au moins 70 signatures sont rassemblées. Ce n’est jusqu’ici jamais arrivé. Le conseiller juridique du gouvernement a lui aussi réclamé que des poursuites soient engagées contre le député. Une requête « illégale » aux yeux d’Adala, ONG de défense des droits des Arabes israéliens, dans la mesure où n’a pas été accordé à M. Ghattas le délai légal pour répondre aux accusations qu’il réfute.
Pour autant, les députés arabes marquent parfois des points. Comme l’a fait la féministe Aïda Touma, qui est devenue la première femme, mais aussi la première Arabe, à présider une commission permanente à la Knesset : celle des femmes.
Majeda EL-BATSH/AFP
L’Orient le Jour avec AFP, mardi 14 février 2017
voir aussi :
* La députée palestinienne Khalida Jarrar libérée par Israël après un an de prison
* Un député à la Knesset, un intellectuel engagé sauvagement blessé par la police israélienne
* le témoignage d’Aïda Touma-Suleiman, chrétienne de Nazareth, militante politique, féministe de choc, membre du Parlement israélien, élue sur la « liste arabe unie »