Israël. Une armée morale et sage qui a peur de son image
Le gouvernement israélien veut criminaliser tout film ou enregistrement des exactions des soldats dans les territoires occupés.
La scène se passe dans le quartier de Wadi Joz, à Jérusalem-Est occupée, en mars 2017. Un chauffeur, dont le camion est immobilisé, fait face à un policier israélien. La conversation est animée. Jusqu’à ce que le flic assène un violent coup de tête au Palestinien et commence à le frapper. D’autres Palestiniens accourent sans vraiment intervenir. Le seul qui l’ose prend une claque dans la figure. Au final, le même policier israélien flanquera avec courage un coup de pied dans le dos du chauffeur.
La veille de cet « incident », c’est un autre Palestinien, âgé de 8 ans celui-là, qui fait les frais du zèle de l’armée israélienne. Il est encerclé par une douzaine de soldats évidemment armés et est traîné de force, en pleurs, dans plusieurs maisons. Sa mère racontera que les militaires ont forcé son fils à les emmener dans des maisons où se trouveraient des jeunes lanceurs de pierres alors que l’armée affirmera qu’elle voulait simplement raccompagner l’enfant chez lui. Sauf qu’il n’habitait pas ce quartier.
On ne saurait rien de certaines scènes de la vie en Palestine si elles n’avaient pas été filmées
Le pire peut-être, toujours à Hébron, en mars 2016 : un Palestinien gît au sol, gravement blessé. Un soldat israélien, qui possède la double nationalité française et israélienne, Elor Azaria, achève l’homme de sang-froid, alors qu’il ne présentait aucun danger. Un geste certes condamné en justice, mais qui a reçu le soutien de Netanyahou.
Scènes de la vie ordinaire en Palestine occupée, dont on ne saurait rien si elles n’avaient pas été filmées et diffusées sur les réseaux sociaux. Des vidéos qui sont le fait d’individus utilisant leur propre smartphone ou qui ont été équipés par l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem. « Il n’y a pas de meilleure arme pour la résistance non violente », explique Issa Amro, cofondateur du mouvement Jeunesse contre les colonies. Une véritable arme non létale qui effraie les autorités israéliennes.
Le gouvernement israélien vient en effet de donner son feu vert à un texte de loi criminalisant les « personnes qui filment, photographient ou enregistrent des soldats lors de leur service de manière à démoraliser les soldats et les civils israéliens ».
Un projet présenté et déposé, quelques semaines après la libération anticipée du soldat tueur d’Hébron, Elor Azaria, par le parti ultranationaliste Israël Beiteinou, dirigé par le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman. Ce dernier a salué le vote ministériel, affirmant qu’il allait « mettre fin » aux tentatives de « ceux qui soutiennent le terrorisme » en vue « d’humilier, de déshonorer et de nuire » aux soldats.
Le projet prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement, qui peut aller jusqu’à dix ans dans les cas où ces images et enregistrements visent à « porter atteinte à la sécurité de l’État ». Ces mêmes peines peuvent également être prononcées à l’encontre des personnes diffusant ces documents dans les médias et les réseaux sociaux. Pour Lieberman comme pour Netanyahou, sont considérées comme « anti-israéliennes » toutes les associations et ONG, y compris israéliennes comme B’Tselem ou Breaking the Silence, et les groupes liés au BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions).
L’armée « la plus morale au monde » a donc peur de sa propre image. C’est une loi « dangereuse et antidémocratique », estime une députée de l’Union sioniste, Ksenia Svetlova, bien isolée dans son groupe, qui ajoute sur son compte Twitter : « Si quelqu’un se conduit correctement, il n’a pas besoin de cacher quoi que ce soit. » CQFD.
Mars 2017, Hébron. Palestinien de 8 ans avec les soldats israéliens
En 2008, un Palestinien arrêté, les yeux bandés et les mains attachés est la cible à bout portant d’un soldat israélien qui lui tire une balle en caoutchouc dans les jambe
À Hébron, octobre et novembre 2017, l’armée israélienne s’en prend aux élèves et aux enseignants
Source : Pierre Barbancey - l’Humanité