La contestation au défi de l’occupation

jeudi 6 avril 2023

Après trois mois de contestation d’une ampleur inédite, le premier ministre Netanyahou a été contraint de reporter sa réforme du système judiciaire. Cela n’a pas apaisé les tensions pour autant, et la société juive parait plus que jamais fracturée. Toutefois, une interrogation demeure, ce mouvement « pour la démocratie » est-il capable de questionner les contradictions d’un État « juif et démocratique », et considérer les Palestiniens comme des partenaires politiques à part entière ?

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Une marée de drapeaux israéliens ponctuée des couleurs LGBT converge chaque samedi soir à travers Tel-Aviv et d’autres villes, tandis que la foule avance en portant une immense banderole où est reproduite la déclaration d’indépendance de 1948. Ces images du mouvement de protestation contre la réforme judiciaire du nouveau gouvernement israélien sont à la fois porteuses d’espoirs et de doutes. D’un côté, la coalition d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou qui paraissait si solide se trouve fragilisée par une révolte inattendue. Dans le même temps, la stratégie de la coordination du mouvement de se concentrer sur un objectif unique polarise la contestation, parvient à rassembler largement, mais ignore la colonisation ou l’occupation, au mépris de l’urgence vécue par Palestiniens.

Démocratie juive et patriotisme

Entre « résignation » et « souffrance d’un quotidien marqué par les inégalités socio-économiques » : c’est ainsi qu’Alon-Lee Green, codirecteur de l’organisation socialiste et arabo-juive Standing Together, analyse la société, au moment du retour au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en décembre dernier. À cela s’ajoute un état de stupeur en constatant que les suprématistes juifs de la liste Sionisme religieux disposent de postes-clés au sein du gouvernement.

Avec d’autres associations de la société civile, ainsi que le noyau du mouvement Crime Minister qui depuis 2019 dénonce le maintien au pouvoir d’un premier ministre sous le coup de multiples procès pour corruption, Standing Together lance le 7 janvier 2023 la première mobilisation contre la nouvelle coalition. Reconnaissable à ses banderoles et affiches violettes où les slogans sont inscrits en arabe et en hébreu, cette organisation pousse l’opposition à Nétanyahou à articuler sa lutte à celle pour la défense des droits des Palestiniens, sans pour autant passer sous silence l’urgence de réformes sociales pour combattre la pauvreté.

Sur place, la présence de quelques drapeaux palestiniens ne rivalise pas avec les étendards israéliens, mais ils suffisent à diviser les participants, tout autant que la ligne politique déclarée qui associe la question démocratique à la fin de l’occupation et à la capacité de faire d’Israël une « maison pour tous ». Pour l’opposition juive et sioniste, issue du Parti travailliste ou soutien des leaders Benny Gantz et Yaïr Lapid, l’urgence est de « sauvegarder la démocratie ». Ce n’est pas la place pour des arguments puristes, affirme même l’ex-députée travailliste Stav Shaffir dans un tweet. Ils forment ensemble une nouvelle coordination pour concentrer la mobilisation sur le « coup de force judiciaire ».

Les manifestations sont de plus en plus massives, avec des pics jusqu’à 300 000 Israéliens, soit l’équivalent de 2,5 millions de Français. La protestation dépasse également le strict cadre de Tel-Aviv puisque des dizaines de villes sont touchées, y compris des bastions du Likoud comme Ashdod ou Netanya, ainsi que des colonies telles qu’Efrat. À l’inverse, la présence palestinienne s’estompe. Pour Green, cela s’explique logiquement : « Les Palestiniens d’Israël sont mal à l’aise à l’idée de protester sous les couleurs d’un État par lequel ils ne se sentent pas représentés. » Il ajoute aussi « le ressenti envers ce drapeau », celui « qui les discrimine, qui détruit leurs maisons, qui les empêche d’accéder à une pleine et entière égalité, qui occupe leurs familles dans les Territoires et impose un blocus sur celles de Gaza ». Et ce d’autant que l’action du gouvernement ne se résume pas à un seul front. Simultanément, des lois radicales et extrémistes se multiplient visant prioritairement les Palestiniens.

En réaction, les militants anti-occupation forment à Tel-Aviv le Gush Neged HaKibush (ou « bloc contre l’occupation »), rassemblant de quelques dizaines à plusieurs milliers de personnes, principalement issues de la gauche radicale non sioniste ou d’organisations de défense des droits des Palestiniens. Les réactions des manifestants varient face à ces groupes dont les slogans pointent l’hypocrisie de cortèges appelant à défendre une démocratie qui a légitimé et mis en place l’ensemble des dispositifs encadrant le régime d’apartheid imposé aux Palestiniens, où qu’ils vivent. Si à Jérusalem certains témoignages rapportent des attaques contre des militants arborant des drapeaux palestiniens, les manifestants à Tel-Aviv se contentent surtout d’ignorer le bloc.

Empathie sincère ou honte devant le crime ?

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