Le genre est-il instrumentalisé dans le conflit israélo-palestinien ? Analyse pour Israël

samedi 29 janvier 2022

Apporter un regard différent sur le conflit israélo-palestinien et les populations qui sont impliquées, c’est l’objectif de Déborah Rouach dans cette note1 qui analyse l’emprise des représentations genrées sur l’identité de la population israélienne.

Le conflit israélo-palestinien est un sujet qui n’a pas fini de faire couler de l’encre. Sa médiatisation et son importance géopolitique depuis des décennies ont participé à développer une certaine lecture politique et géographique des faits, basée sur une image militariste et patriarcale où les hommes sont omniprésents. Que ce soit la société israélienne ou palestinienne, celles-ci sont toutes deux les otages d’un conflit insoluble qui dévore leur individualité, conditionne leur existence et s’est imposé comme l’élément déterminant de la construction de leur identité. En cela, le conflit tend à occulter tout autre sujet pour incarner la prison de ces deux peuples.

Le concept de genre occupe un rôle clé dans le contexte de ce conflit hyper-masculinisé qui a façonné des imaginaires genrés précis de l’homme et de la femme israélien·ne·s. Le genre est un domaine d’analyse attestant qu’il n’existe pas d’essence de la féminité et de la masculinité fondée sur des caractéristiques biologiques immuables. Les différences entre les hommes et les femmes sont des constructions sociales, culturelles et politiques en perpétuelle mutation et non le résultat de dispositions naturelles. Les comportements adoptés par les femmes et les hommes, élaborés en opposition l’un avec l’autre, témoignent de ce qui est socialement attendu d’eux. En outre, cette interaction entre femmes et hommes est loin d’être une relation égalitaire. Elle se caractérise par divers rapports de force entre les sexes qui participent à la hiérarchisation entre le féminin et le masculin.

En se focalisant sur la représentation des femmes et des hommes de ce pays, c’est une réflexion différente que l’on veut présenter, plus intime et humaine, de la situation en Israël et dans les Territoires palestiniens. Étudier les codes de lecture genrés qui sont associés à l’autre, le camp adverse, l’ennemi, permet d’avoir une meilleure compréhension de la manière dont se pense le corps de la nation en guerre, de l’organisation de ces deux populations et de leurs interactions. Adopter le genre comme concept d’analyse du conflit israélo-palestinien et de la société israélienne met également en lumière les formes d’oppression internalisées dans chaque camp.

Cette note se focalise sur Israël et en annonce une autre qui transposera cette analyse aux Territoires palestiniens.

Le discours genré du nationalisme en Israël

La construction du corps, des corps, de la nation israélienne a débuté bien avant la création de l’État d’Israël. Elle prend racine avec le sionisme, mouvement politique né à la fin du XIXe siècle pour l’établissement d’un État juif en Palestine, qui a participé au façonnement de l’identité nationale israélienne. Le sionisme pensé par Theodor Herzl porte les ambitions d’« invincibilité2 » d’un peuple humilié et incarne une forme de « nationalisme érotisé3 » où la féminité et la masculinité sont essentialisées. Toutefois, les hommes et les femmes n’ont pas le même rôle dans la pensée sioniste.

L’homme juif doit personnifier la puissance, le courage et l’héroïsme viril, il garantit la survie de la nation contre l’ennemi. C’est un être actif sorti de sa passivité d’antan, un guerrier au service de son pays qu’il doit défendre et protéger à tout prix. La nation s’est donc érigée de pair avec celle du mythe du « nouvel homme juif » opposé au juif de la diaspora considéré comme faible. La figure du Sabra (cactus en hébreu) est édifiante. Le Sabra est le juif né en Israël à la peau dure, mais qui cache une certaine douceur sous sa force extérieure.

Dans la littérature sioniste, la nouvelle masculinité juive est également incarnée par le conquérant d’une terre à féconder, le pionnier qui fertilise la terre par la conquête de soi et de la nation contre l’autre, l’ennemi. Ici, les concepts de « territoire » et de « nation » sont féminisés, les hommes doivent assurer l’intégrité territoriale comme celle des Juives contre les Palestiniens.

Ce projet national repose donc sur les hommes, il est bâti comme le domaine hégémonique de la masculinité. Cette relation intime créée entre la masculinité et le nationalisme juif a conduit à discriminer et invisibiliser les femmes. L’opposition et la hiérarchisation entre les hommes et les femmes au sein de l’idéologie sioniste a donc marginalisé les femmes à une place subalterne. Il est important de comprendre que les penseurs sionistes considèrent que les femmes sont à blâmer pour la faiblesse du peuple juif4.

Le discours politique a défini le devoir national des femmes en complémentarité avec celui des hommes : pour les uns la sécurité, pour les autres la reproduction. La femme juive doit se satisfaire d’être la reproductrice biologique et idéologique de la nation : fournir des soldats à la nation et transmettre la culture et l’identité aux jeunes générations. La fonction de nourricières du pays imposée aux femmes idéalise et glorifie leur rôle. La vertu et les mœurs des mères et des épouses est véhiculée à l’ensemble du peuple, il en va donc de l’honneur de la nation de maintenir les femmes en sécurité, cantonnées à la sphère privée et de l’intime. La géographie du corps des femmes comporte également des frontières, elle définit la limite entre soi et l’ennemi. Ainsi ne pouvant servir leur nation par les armes, les femmes le font avec leur corps, tel est le discours national à l’intention des Juives installées en Israël. Lors des différentes périodes de guerre, la stratégie nataliste du pays a été renforcée face au « risque démographique » représenté par les Palestinien·ne·s. Après la Guerre des Six Jours, le 8 décembre 1967, le Premier ministre David Ben Gourion s’exprimait dans le journal Ha’aretz à ce sujet : « L’augmentation du taux de natalité juive est un besoin vital pour l’existence d’Israël, et une femme juive qui n’a pas mis au moins quatre enfants au monde […] est en train de frauder la mission juive5. » Les Israéliennes ont la responsabilité de garantir la pérennité du peuple juif par la procréation. La conditionnalité de l’appartenance à la nation pour les femmes et les hommes expose donc les liens entre identité de genre et identité nationale. L’universitaire Simona Sharoni fait le constat d’un « nationalisme érotisé6 ».

Quel rôle détient Tsahal dans le façonnement des identités de genre de la société israélienne ?

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