Le sionisme libéral et le leurre des deux états
21 mai 2021 - Des Palestiniens manifestent au checkpoint de Beit El DCO (dans la ville palestinienne d’Al Bireh). La manifestation faisait partie des soulèvements quotidiens par les Palestiniens à travers la Cisjordanie, Jérusalem et la Palestine de 48 au cours des deux dernières semaines, dans une exigence sans précédent et unifiée pour la liberté face à la violence structurelle de la domination coloniale israélienne et en réponse aux attaques de l’occupant sur Gaza et en Jérusalem. Au cours de cette période, plus de 250 Palestiniens à Gaza ont été tués, dont 66 enfants, et 27 autres Palestiniens de Cisjordanie ont été tués, dont un certain nombre de mineurs - Photo : Oren ZivActivestills.org
Par Richard Silverstein
La formule des deux états est le plus grand obstacle à la paix en Israël Palestine.
Depuis des décennies, la solution à deux états est le consensus prôné par les groupes sionistes libéraux de gauche, les partis politiques ; et les états étrangers (dont les E.U. et l’U.E.) cherchant à servir de médiateurs dans le conflit israélo-palestinien.
Les administrations états-uniennes (à l’exception flagrante d’une seule) ont régulièrement critiqué la politique de colonisation israélienne comme mettant en péril les chances de réalisation d’un tel accord pour deux états. Sur la base d’un tel consensus on penserait que le monde pourrait alors procéder à la mise en œuvre d’une telle proposition. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit.
La solution à deux états s’est avérée être une chimère : une chose qui semble exister, mais qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais. On pourrait soutenir que deux états sont un plan viable s’il était adopté par les deux parties. Mais l’une des deux notamment a défié ce consensus pendant une génération, tout en faisant croire faussement (pendant très longtemps) qu’elle l’approuvait. Cette partie, Israël, ne maintient même plus cette prétention feuille de vigne.
Depuis une décennie, voire plus, les gouvernements israéliens l’ont d’abord implicitement, puis explicitement rejetée. Faisant ainsi passer le reste du monde qui le soutient pour de parfaits imbéciles. Mais des gouvernements comme ceux des E.U. et de l’U.E. n’ont été que trop heureux de maintenir la mascarade, car sans deux états leur stratégie semblerait encore plus vaine, et les rendrait encore plus ridicules.
Ainsi l’idée de deux états sert à prétendre que le monde a un plan, alors qu’il n’en a pas. Reconnaître la vérité, forcerait ceux qui considèrent sérieusement les questions de paix et de justice soit à lever futilement les bras au ciel, soit à admettre leur échec et à concevoir une approche différente.
Cette approche, un état unique englobant à la fois Israël et la Palestine, est raillée comme étant irréalisable parce que le camp israélien « ne l’accepterait jamais ». Mais c’est un argument fallacieux qui repose sur un hypothétique futur résultat que personne ne s’est jamais donné la peine de tenter d’atteindre.
Le même argument était avancé pendant l’ère de l’apartheid sud-africain. Prôner un gouvernement de la majorité noire semblait impossible étant donné l’opposition intraitable de la majorité blanche au pouvoir.
Mais grâce à une pression politique, morale et économique suffisante, ce même régime d’apartheid a su décrypté les signes annonciateurs et a reconnu qu’il était condamné. Durant un processus prolongé de négociations entre les parties, une transition vers un régime majoritaire a été mise en place avec succès.
Bon, l’Afrique du Sud n’est sûrement pas un exemple éloquent de transformation de l’état. C’est un état confronté aux mêmes problèmes que de nombreux autres pays africains (crime, corruption, élites de pouvoir indélogeables). Mais au moins c’est une démocratie dans laquelle les personnes ont une voix égale dans la conduite de la vie politique de la nation.
Un état unique est un objectif tout aussi atteignable. Mais étant donné l’opposition israélienne, il ne peut advenir tant que les élites politiques mondiales, celles-là même qui ont décidé que deux états étaient la seule option viable, n’abandonnent pas cette illusion. En plus d’adopter la solution de l’état unique, elles doivent faire ce qu’elles ont refusé de faire jusqu’ici, à savoir appuyer leur prise de position d’un poids politique, moral et économique.
Il faut répondre au refus d’Israël en l’isolant dans tous les domaines mentionnés ci-avant : l’économie israélienne doit être boycottée, il faut lui refuser les possibilités financières et l’accès au capital qui sont offerts aux autres états ; les institutions sponsorisées par l’état dans les secteurs tels que les arts et le monde universitaire doivent être mises à l’écart ; et Israël doit être mis au ban des organes internationaux et privé des possibilités de normalisation aux yeux du monde entier.
De toute évidence, cela nécessitera une force de volonté non encore manifestée. Il faudra une détermination qui a fait défaut jusqu’ici. Il faudra une mobilisation mondiale qui exercera une pression morale constante pour agir. Il faudra une évolution continue du consensus en politique étrangère chez les élites universitaires telle que vu ici et là.
Des ouvrages comme celui de Ian Lustick, publié récemment, Paradigm Lost ainsi que sa chronique dans le New York Times, Two-State Illusion, érodent ce consensus toxique. Mais malgré la lente transformation de l’opinion publique, la résistance a jusqu’ici été incapable d’apporter un changement radical en partie dû à la force contraire des groupes de pression israéliens en Occident ( notamment au R.U. et aux E.U.).
Ceci dit, les historiens doivent se souvenir que les états puissants qui semblaient invulnérables, sont finalement tombés en raison de leur instabilité inhérente et contradictions internes (l’URSS et ses états satellites de l’Europe de l’Est, l’Allemagne nazie, la Yougoslavie, la Rhodésie, l’Afrique du Sud de l’apartheid, la junte militaire d’Argentine, le Nicaragua de Samoza, l’état cubain de Battista, etc.).
Nous devrions aussi nous souvenir de l’effondrement de l’ère coloniale d’après deuxième guerre mondiale qui a vu la perte des colonies françaises et britanniques en Afrique, en Asie, et au Moyen-Orient. Malgré l’apparente stabilité et vitalité économique d’Israël, ce dernier pourrait aussi subir, et subira vraisemblablement un sort similaire.