Le terrorisme des colons israéliens n’est pas nouveau. Il est à la base même du projet sioniste

mardi 22 août 2023

Le terrorisme des colons israéliens n’est pas nouveau. Il est à la base même du projet sioniste
Par Joseph Massad, le 15 août 2023

Malgré les condamnations par des sionistes « libéraux » de la récente violence des colons israéliens envers le peuple palestinien, les crimes commis par les générations antérieures sont plus horribles encore et furent perpétrés à plus grande échelle.

JPEG - 57.3 ko Turmus Aya en flammes après une attaque de colons en juin 2023

Les informations faisant état de pogroms et d’attaques de colons israéliens contre le peuple palestinien en Cisjordanie se sont multipliées ces derniers mois, amenant le porte-parole de l’armée d’occupation israélienne à qualifier le phénomène de « terreur nationaliste ».

Le chef de la police secrète israélienne du Shin Bet a par ailleurs averti le Premier ministre Benjamin Netanyahu la semaine dernière que le « terrorisme juif » incitait le peuple palestinien à riposter contre leurs colonisateurs. Même le gouvernement étatsunien, dont le soutien à la colonisation juive est légendaire, est allé jusqu’à qualifier les attaques de colons de « terrorisme  ».

Alors que le journal ultra-sioniste, le New York Times, s’est contenté d’évoquer de prétendues «  attaques de vengeance » ou » violences  » des colons contre le peuple palestinien pour avoir osé résister à ses colonisateurs, une douzaine d’ organisations juives basées aux États-Unis ont exprimé leur horreur et condamné les pogroms anti-palestiniens des colons.

Il y a quelques jours, alors que le gouvernement israélien prenait des mesures pour soutenir l’Autorité palestinienne (AP) afin que celle-ci puisse poursuivre sa campagne répressive contre la résistance palestinienne à la colonisation, l’AP elle-même était occupée à vendre aux enchères aux businessmen palestiniens de la Cisjordanie des plaques d’immatriculation personnalisées («  vanity licence plates ») à des prix allant jusqu’à 250 000 dollars.

Pendant ce temps, et apparemment sans que l’AP s’en préoccupe, un colon israélien a renversé, dans un accident de voiture avec délit de fuite, un garçon palestinien de quatre ans à Tel Rumeida près d’al-Khalil (Hébron). Deux jours plus tard, un autre colon a renversé un autre garçon palestinien de quatre ans à Kisan, un village à l’est de Bethléem

Ce ne sont que deux parmi les nombreux attentats terroristes perpétrés depuis des décennies par des colons israéliens en Cisjordanie et à Gaza – attaques que le journal libéral israélien Haaretz est allé jusqu’à décrire comme de la violence raciste « à la KKK ».

Mais les crimes perpétrés de nos jours par les colons israéliens sont-ils vraiment plus cruels et plus violents que furent ceux commis depuis 1967, et quid de ceux perpétrés avant même la création d’Israël ?

Des enfants pour cible

S’il est vrai que les actes de terrorisme des colons israéliens contre le peuple palestinien, et en particulier ceux qui prennent les enfants pour cible, ont progressé à pas de géant en 2023, ce n’est guère un phénomène nouveau.

En fait, on peut faire remonter cette forme singulière de violence aux premiers jours de la colonisation post-1967, et en particulier à la seconde moitié des années 1970. A titre d’exemple, l’un des principaux groupes de colons terroristes, qui a attaqué et tué des palestiniens et palestiniennes au milieu des années 1970, s’appelait TnT (« Terreur contre la terreur » en hébreu). Il était associé au rabbin étatsunien raciste Meir Kahane et se constituait principalement de colons juifs américains.

Un autre groupe de colons fanatiques était Gush Emunim, (« Bloc des fidèles »), qui s’en est pris à la population palestinienne à la même période. Gush Emunim était spécialisé dans les attentats à la voiture piégée et les assassinats. D’autres groupes terroristes de colons incluent Egrof Magen et The Revolt – ce dernier spécialisé dans l’attaque contre les palestinien.ne.s de foi chrétienne et leurs églises. Et les attaques dites price tag (« étiquette de prix ») contre la population palestinienne, qui visent à lui faire « payer le prix » de sa résistance à la colonisation de ses terres, ont pris de plus en plus d’ampleur dans ce nouveau millénaire.

Les enfants palestiniens n’ont jamais été épargnés par la violence du terrorisme israélien. En 1979, par exemple, des colons israéliens de la colonie de Kiryat Arba, venus aider l’armée israélienne dans sa campagne de répression, ont tué deux garçons palestiniens.

Les attaques éclair en voiture contre la population, ciblant en particulier les enfants, ont toujours été caractéristiques du terrorisme des colons israéliens. En septembre 2011, un colon a renversé un garçon palestinien de huit ans à al-Khalil (Hébron). Un document des Nations Unies révèle que, pour une seule période de 2014 prise au hasard , « le 25 septembre, une fillette palestinienne de dix ans a été frappée par un colon israélien à Silwan ; le 17 août, un palestinien est mort, renversé par la voiture d’un colon israélien à Jérusalem-Est occupée ; le 14 août, un palestinien a été renversé par la voiture d’un colon israélien ; et le 7 août, un colon a renversé une petite fille palestinienne de huit ans dans le sud de la Cisjordanie ».

Selon l’UNICEF, en 2012, les colons ont blessé 18 enfants (13 garçons et 5 filles), et l’armée israélienne a blessé 21 enfants dans des incidents impliquant des colons.

En 2015, des colons de Cisjordanie ont brûlé vif un petit palestinien de 18 mois en incendiant la maison de sa famille à Douma. En 2016, un colon israélien a provoqué, en la renversant, la mort d’une fillette palestinienne de six ans dans le village d’al-Khader. Un autre colon de 65 ans a délibérément renversé une jeune palestinienne en juin 2017 provoquant sa mort, et en août, un autre colon a tué une fillette de huit ans de la même façon.

Un colon a tué en le renversant un garçon de sept ans en 2019 à al-Khalil (Hébron). En 2020, un colon israélien a percuté avec sa voiture un enfant palestinien près de Salfit et a pris la fuite.

En 2021, un garçon palestinien de trois ans et son frère de six ans ont été grièvement blessés lorsque des colons ont attaqué la voiture de leur famille près de Ramallah. En 2022, un colon a renversé un enfant palestinien de neuf ans et a pris la fuite. En janvier 2023, un colon a renversé une fillette palestinienne de sept ans près de Qalqilya .

A ces crimes atroces s’ajoutent le déracinement de milliers d’arbres sur la terre palestinienne – une spécialité des colons israéliens comme de l’armée israélienne, surtout depuis 1967.

« Terroristes pionniers »

Alors que certaines des attaques les plus récentes ont reçu leur lot de condamnations en provenance de certains quartiers libéraux de la presse occidentale et israélienne, on ne peut que relever une certaine injustice et parti pris chez les sionistes libéraux pro-israéliens qui jugent très sévèrement le terrorisme de ces colons contemporains — alors qu’en fait, leurs prédécesseurs sionistes dans les années 1930 et 1940 ont commis des crimes bien plus horribles. Ceux-ci continuent, pourtant, d’être célébrés par le sionisme libéral.

A vrai dire, le style d’attaque privilégié par les colons — attaques en voiture avec délit de fuite prenant les enfants palestiniens pour cible – ne fait que reprendre comme modèle celui de leurs aïeux si créatifs, les terroristes sionistes pionniers.

Au printemps 1935, des rapports officiels britanniques évoquant la cruauté de « chauffeurs juifs traversant des villages arabes » ont commencé à faire surface. Un responsable britannique a rapporté le témoignage oculaire d’un britannique qui avait vu un « chauffeur juif tuer un enfant arabe et, après avoir poussé le corps à l’écart, quitter les lieux avant que quiconque ne puisse l’arrêter ». Il y eut « plusieurs récits d’incidents similaires ».

Le déracinement d’arbres plantés par les palestiniens est également l’une des plus anciennes traditions des colons sionistes en Palestine. Quand, en 1908, les colons ont découvert qu’une forêt qu’ils voulaient dédier à la mémoire du fondateur du sionisme, Theodor Herzl, avait été plantée par des palestiniens, ils ont déraciné tous les jeunes arbres et les ont replantés – pour pouvoir affirmer que les arbres furent plantés par les juifs.

Lorsque les colons sionistes ont commencé à s’attaquer à la population civile palestinienne dans les années 1930 et 1940, les enfants palestiniens comptaient aussi parmi les victimes. Les explosions de cafés palestiniens avec des grenades (comme celle qui s’est produite à Jérusalem le 17 mars 1937), et le placement de mines à minuterie électrique sur des marchés bondés (utilisées pour la première fois contre la population palestinienne à Haïfa le 6 juillet 1938), ne sont que quelques exemples de ces crimes odieux.

Bien que celles-ci puissent ressembler à certaines des attaques des colons israéliens d’aujourd’hui, ces derniers n’ont jamais commis de massacres à l’échelle des générations précédentes de colons. La Haganah, un groupe de milices de colons sionistes qui deviendra le bras paramilitaire sioniste actif avant la création d’Israël, a, par exemple, fait sauter le navire Patria amarré à Haïfa en novembre 1940, tuant 260 réfugié.e.s juifs et juives et un certain nombre de policiers britanniques.

Dans les années 1940, les colons ont assassiné des fonctionnaires du gouvernement britannique ; pris des citoyens britanniques en otage ; fait sauter des bureaux gouvernementaux et des hôtels, tuant des employés et des civils ; fait sauter l’ambassade britannique à Rome en 1946 ; flagellé et tué des soldats britanniques capturés ; et envoyé des lettres piégées et des colis piégés à des politiciens britanniques et d’autres à Londres..

Menachem Begin, un chef des terroristes dit « révisionnistes  » de l’Irgoun qui deviendra plus tard le Premier ministre d’Israël, était le cerveau derrière un certain nombre de ces attaques. Après le massacre par son groupe de plus d’une centaine de palestiniens et de palestiniennes dans le village de Deir Yassin en avril 1948, son nom était devenu synonyme de terrorisme.

Albert Einstein et Hannah Arendt , entre autres, ont décrit le groupe de Begin comme non seulement «  une organisation terroriste de droite et chauvine », mais « étroitement apparentée aux… partis nazis et fascistes ». Pourtant, la milice officielle des colons, la Haganah, a commis des massacres bien pires au cours de la période, massacres qui ont apparemment échappé, à l’époque comme de nos jours, aux condamnations de la part des sionistes libéraux.

En décembre 1947, l’une des premières attaques de la Haganah – qui devait devenir caractéristique de cette époque – visait le village palestinien de Khisas en Galilée, tuant quatre adultes et quatre enfants palestiniens. C’est, cependant, peu de monde lorsque l’on considère les meurtres de masse qui devaient accabler par la suite le peuple palestinien.

Dans le village d’Al-Dawayima, par exemple, la Haganah a commis un massacre en octobre 1948, tuant plus de 100 palestiniens et palestiniennes. Et des dizaines de femmes palestiniennes furent victimes de viol et de meurtre pendant la guerre terroriste meurtrière contre la Palestine en 1948.

Une moindre cruauté

Rien de ce que les colons israéliens de nos jours ont commis, depuis qu’ils ont déclaré la guerre au peuple palestinien il y a cinq décennies, ne se rapproche de ces chiffres, et encore moins du niveau de barbarie que les colons sionistes ont atteint dans les années 1930 et 1940.

La seule exception est le massacre de la mosquée al-Ibrahimi en 1994 commis par Benny (alias « Baruch  ») Goldstein, un colon israélien né aux États-Unis qui a tué 29 fidèles musulmans palestiniens à l’intérieur de la mosquée. Mais son massacre fait pâle figure en comparaison avec les nombreuses campagnes meurtrières anti palestiniennes lancées par l’armée israélienne après 1948 – à commencer avec les massacres de Qibya, Gaza, Khan Yunis, et Kafr Qasim du début au milieu des années 1950.

Nous ne cherchons en rien à minimiser les horreurs actuelles infligées au peuple palestinien par les colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, mais plutôt à exposer l’histoire du terrorisme exercé contre le peuple palestinien depuis le début du projet sioniste.

Il est un fait que les colons-terroristes israéliens d’aujourd’hui sont une version « soft  » de leurs prédécesseurs — même s’ils perpétuent la même tradition coloniale pour laquelle ils sont injustement jugés par les défenseurs du terrorisme sioniste passé, y compris par les plus séniors des généraux israéliens.

Les colons de la Palestine d’avant 1967 sont désignés en hébreu par le terme mityashvim, littéralement « colons  », tandis que les colons d’après 1967 se disent mitnachlim, héritiers des pères qui leur avaient légué cette terre de Palestine, qu’ils appellent nachalat avot (« Terre des Pères »).

Les sionistes libéraux ont beau tenter d’établir une réelle distinction entre les deux groupes de colons — le peuple palestinien ne voit pas de différence entre les deux groupes en ce qui concerne la cruauté coloniale et le terrorisme qui les caractérisent. Le seul bémol pourrait être que les colons israéliens d’aujourd’hui, en dépit de l’opinion populaire des sionistes libéraux, semblent beaucoup moins cruels, du moins jusqu’à présent.

En fin de compte, ce que nous voyons aujourd’hui n’est qu’une version « light  » de la façon dont les colons sionistes ont volé la patrie du peuple palestinien.

Les sionistes et les libéraux pro-israéliens de l’Ouest qui se sentent mal à l’aise devant les colons terroristes actuels devraient relire l’histoire du sionisme si riche en atrocités avant de porter leur jugement moral injuste.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à la Columbia University de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles académiques et journalistiques. Parmi ses livres se trouvent : Colonial Effects:The Making of National Identity in Jordan ; Desiring Arabs ; The Persistence of the Palestinian Question ; Essays on Zionism and the Palestinians ; et dernièrement, Islam in Liberalism. Ses livres et articles ont été traduits dans une dizaine de langues.

Source  : Middle East Eye
https://www.middleeasteye.net/opini...

Traduction BM pour l’Agence média Palestine