Lendemain d’élections en Israël, un gouvernement d’ultra-droite face à une opposition éparpillée

vendredi 25 novembre 2022

Avec un bloc de 64 députés et une opposition plus que jamais divisée, la coalition de droite et d’extrême droite dispose d’une assise confortable pour diriger et réformer le pays. Si ce résultat annonce le retour de Benyamin Netanyahu comme Premier ministre, l’inquiétude est grande parmi les Israéliens attachés à la démocratie et aux libertés, puisque les suprémacistes juifs issus de l’alliance Sionisme religieux devraient faire leur entrée au gouvernement

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Par Thomas Vescovi
Dès son intronisation, le 13 juin 2021, le gouvernement hétéroclite mené par le nationaliste religieux Naftali Bennett affolait les paris sur la durée de sa survie. Sa liste Yamina (« Vers la droite ») ne comptabilisait que sept députés, mais il était parvenu à faire alliance avec le libéral Yair Lapid, dont le parti Yesh Atid (« Il y a un futur ») s’appuyait sur 17 sièges. Aux côtés de la coalition Bleu et blanc de l’ex-chef d’état-major Benny Gantz qui comptait huit députés, des six dissidents du Likoud rassemblés sur la liste Tikva Hadasha (« Nouvel espoir), des sept représentants du parti nationaliste laïc Israel Beytenou (« Israël notre maison ») et des treize députés de la gauche sioniste, comprenant le Parti travailliste et le Meretz (« Énergie »), ce bloc que seul l’opposition à Netanyahu réunissait a pu obtenir la majorité grâce au ralliement des quatre élus islamo-conservateurs, marquant la première entrée d’Arabes israéliens au sein d’un gouvernement.

Alors que la coalition gouvernementale n’allait pas manquer une occasion de montrer ses divisions, les trente députés du Likoud et leurs alliés ont multiplié les stratagèmes pour le renverser et faire pression sur son aile droite, accusée de trahir l’électorat juif israélien en s’alliant à la gauche laïque et aux « Arabes ». La sécurité a particulièrement été au cœur des critiques, puisque dix-sept citoyens juifs ont été tués en 2022 en Israël dans des attaques revendiquées par des groupes palestiniens ou l’État islamique. Après plusieurs défections de députés issus de la droite, la majorité parlementaire se fracture, contraignant Bennett et Lapid à s’accorder sur une dissolution, en juin dernier.

Thomas Vescovi est chercheur indépendant, contributeur pour différents médias, et auteur de La mémoire de la Nakba en Israël (L’Harmattan, 2015) et L’échec d’une utopie, une histoire des gauches en Israël (La Découverte, 2021).

S’il convient d’attendre la composition du prochain gouvernement pour appréhender plus justement les rapports de force au sein de la nouvelle coalition, au moins trois grandes tendances apparaissent. D’abord, la droitisation de l’électorat juif israélien est manifeste, particulièrement chez les jeunes. Deuxièmement, l’historique gauche sioniste se trouve dans une véritable impasse, laissant place à de nouvelles offres issues du centre de l’échiquier politique, mais qui montrent déjà leurs limites. Enfin, la dynamique de l’alliance entre la gauche juive non-sioniste et les partis arabes a fait long feu, tant leurs divergences semblent profondes, sans pour autant que cela n’altère le rôle de plus en plus important de l’électorat arabe.
La victoire écrasante du néo-sionisme

Arrivé en tête des élections avec 1,11 million de voix – sur 6,78 millions de votants, et 32 députés, Netanyahu est assurément le grand vainqueur de ce cinquième cycle électoral en quatre ans. Il peut compter sur une solide coalition composée des deux partis ultra-orthodoxes, à savoir les sept députés de Judaïsme unifié de la Torah (ashkénazes) et les onze du Shas (séfarade et mizrahim). Le Likoud obtient la majorité grâce à son alliance avec la liste Sionisme religieux qui obtient quatorze sièges.

Cette dernière se compose de trois formations d’extrême droite, historiquement marginales mais que Netanyahu est parvenu à unir pour qu’elles franchissent le seuil électoral de 3,25 %. Le Parti sioniste religieux de Bezalel Smotrich en est la principale force, épaulée par Force juive d’Itamar Ben-Gvir et le parti Noam d’Avi Maoz. Si ce dernier se distingue principalement pour ses sorties homophobes, plaidant pour un retour des thérapies de conversion et l’interdiction de la gay pride, les deux premiers ne cachent pas leur héritage kahaniste.

Entré à la Knesset en 1984, le rabbin Meir Kahane faisait face à un parlement quasiment vide lorsqu’il prenait la parole : les députés refusant de cautionner ses propos outrageusement racistes et belliqueux. L’interdiction en Israël de son parti Kach, puis de toute organisation s’en réclamant, n’ont pas pour autant mis un terme à la diffusion de ses idées, en passe d’être représentées au plus haut sommet de l’État.

À quelques nuances près, les kahanistes proposent une version radicalisée de ce que le sociologue israélien Uri Ram nomme le « néo-sionisme ». Au milieu des années 1970, alors qu’Israël paraît définitivement enraciné et nullement inquiété par ses « voisins menaçants », plusieurs réflexions intellectuelles se confrontent sur l’avenir du pays et le sens du sionisme. Contrairement aux post-sionistes qui prônent le dépassement du sionisme pour un Israël égalitaire, pacifique et ouvert sur le Moyen-Orient, les néo-sionistes plaident en faveur d’une alliance des nationalistes et des religieux pour compléter le projet sioniste. À leurs yeux, la totalité de la Palestine historique devrait être sous souveraineté juive, et en tant qu’État juif, le religieux ne devrait pas être séparé du pouvoir politique.

Après la parenthèse des accords d’Oslo, ce courant politique ne cesse de progresser depuis les années 2000. Le sociologue israélien Or Anabi du centre de recherche indépendant Israel Democracy Institute, interrogé par Haaretz au lendemain de l’élection, corrèle cette poussée d’extrême droite à la droitisation générale de la société juive israélienne. Selon ses études, au moins 60 % des Juifs israéliens se reconnaissent aujourd’hui dans les valeurs de la droite sioniste, et le résultat monte à 70 % si on ne sonde que les 18-24 ans. Lors des dernières élections, deux fois plus de jeunes juifs israéliens ont voté pour l’extrême droite que pour le Parti travailliste ou le Meretz.

Anabi avance plusieurs raisons, à commencer par le taux de natalité parmi les familles religieuses, bien plus important qu’au sein des couples laïcs ou non-religieux. À titre d’exemple, les ultra-orthodoxes sont passés de 5 % de la population israélienne en 1990 à 12 % en 2020. Ensuite, le sociologue met en avant une évolution du lexique politique. Si jusqu’aux années 1990 se définir de droite ou de gauche était principalement basé sur la vision qu’avait l’électeur de la question palestinienne, à savoir pour ou contre un État palestinien, plus personne aujourd’hui n’aborde cette dichotomie politique de la sorte. La normalisation de la présence israélienne en Cisjordanie, qui correspond à environ 662 000 colons (Jérusalem-Est compris), a favorisé le renouvellement d’un clivage droite-gauche au profit d’un débat sur la nature de l’État d’Israël et son rapport à sa minorité non-juive. De fait, les formations politiques, principalement situées à gauche, qui continuent de rappeler certains principes tels que la fin de l’occupation ou la négociation avec les Palestiniens, sont inaudibles et considérées comme dépassées.

Jusqu’en 2021, il n’était pas rare de voir des partis de droite faire campagne au sein des villes arabes en Israël, promettant de meilleurs accès aux zones d’emploi ou la construction de nouveaux quartiers. Les évènements du printemps 2021 ont changé la donne. Au lendemain des élections de mars et alors que les négociations pour former un gouvernement battaient leur plein, des émeutes éclatent au sein des villes dites « mixtes », telles que Lod ou Saint-Jean-d’Acre, prenant pour cible des symboles de l’État ainsi que des lieux de culte juifs. La majeure partie de l’opinion publique juive israélienne, ignorante du quotidien de la minorité arabe, se laisse séduire par les discours martiaux et racistes du Likoud et de l’extrême droite frustrés de se retrouver dans l’opposition à la Knesset. À cela s’ajoute, dans ce contexte de tension accrue entre Arabes et Juifs, l’entrée des islamo-conservateurs au gouvernement, premiers députés arabes à obtenir des postes gouvernementaux.

Si la très grande majorité de la société civile juive israélienne s’accommodait, jusque-là, de la participation des citoyens arabes aux élections, c’est d’abord en considérant leur faible poids politique. Leur entrée au gouvernement inquiète les plus attachés au caractère juif de l’État. De plus, certains discours issus du Likoud ou de l’extrême droite assimilent l’alliance entre les islamo-conservateurs et le gouvernement comme une preuve de faiblesse de ce dernier vis-à-vis d’une population jugée dangereuse et menaçante. Paradoxe : Netanyahu était l’un des premiers à applaudir le choix du leader islamo-conservateur Mansour Abbas de quitter La liste unifiée – alliance de tous les partis arabes -, espérant gagner son soutien sous prétexte de convergence sur les sujets de société avec les partis juifs religieux.

Une autre donnée ne doit pas être écartée : la natalité de la population arabe. Si les familles juives religieuses ont un taux de fécondité élevé, elles dépassent à peine celui des familles arabes. Naturellement, le 1,9 million d’Arabes de citoyenneté israélienne ne peuvent représenter une menace démographique sérieuse pour les 6,9 millions de Juifs. Toutefois, la perspective d’une annexion de la Cisjordanie et de ses 2,98 millions de Palestiniens pourrait à terme bouleverser la balance démographique. En l’absence de création d’un État palestinien, Israël se confronte à un dilemme : demeurer une démocratie et octroyer à l’ensemble des Palestiniens des droits égaux, ou enraciner un régime d’apartheid afin de garantir une souveraineté juive en Israël. C’est en prenant cet élément en compte que la Loi fondamentale dite d’État-nation du peuple juif, votée en 2018 par le dernier gouvernement Netanyahu, et qui garantit un droit à l’autodétermination exclusivement à la population juive, prend tout son sens.

Si pour l’heure la composition officielle du gouvernement n’est pas connue, plusieurs sources indiquent que Ben Gvir réclamerait le ministère de la Sécurité publique. Il prendrait ainsi la tête de la police israélienne, celle qui l’avait explicitement accusée en 2021 d’être à l’origine des émeutes anti-arabes à Jérusalem. L’un des principaux enjeux sera celui du ministère de la Justice, Netanyahu étant toujours sous le coup de multiples procès pour ses affaires de corruption. De plus, cette nouvelle coalition entend réformer le système judiciaire et revoir le rôle de l’un des derniers garde-fous de la démocratie israélienne, à savoir la Cour suprême, dans une volonté de la soumettre davantage aux décisions de la Knesset.

Toutefois, Netanyahu sait que la présence à ses côtés de ces figures de l’extrême droite risque de peser sur l’image d’Israël à l’internationale. Les lobbyistes Dennis Ross et David Makovsky écrivent ainsi sur le site du think tank pro-israélien Washington Institute for Near Est Policy : « Nous ne pourrons pas rester silencieux connaissant l’énorme impact que les mots et les actions d’Itamar Ben Gvir et de Bezalel Smotrich en tant que ministres vont avoir sur les relations entre les États-Unis et Israël. »

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