Little Big Horn en Palestine

mercredi 11 octobre 2023

Little Big Horn en Palestine

C’est un coup de tonnerre dans un ciel que le gouvernement israélien croyait bleu, occupé qu’il était à étendre la colonisation et à écraser toute forme de résistance en Cisjordanie. L’attaque menée par différentes organisations palestiniennes sous l’égide du Hamas a ébranlé toutes les certitudes et ouvert une période de guerre et d’incertitude pour Israël et tout le Proche-Orient.

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Des habitants d’Ashkelon, dans le sud d’Israël, contemplent les dégâts causés par les roquettes tirées de la bande de Gaza, le 7 octobre 2023
Ahmad Gharabli/AFP

C’était il y aura bientôt 150 ans. Ce 25 juin 1876, une coalition de guerriers sioux et cheyennes avec à leur tête les chefs tribaux Sitting Bull et Crazy Horse parvient à leurrer le 7e régiment de cavalerie de l’armée américaine pour le diriger vers une cuvette nommé Little Big Horn, dans l’état du Montana, au Nord-Ouest des États-Unis. La troupe était emmenée par le lieutenant-colonel George Armstrong Custer, notoirement connu pour son racisme colonial exacerbé à l’égard de ceux qu’il appelait improprement les « Indiens » — c’est-à-dire les populations indigènes. Custer y perdit la vie, et avec lui 40 % de ses hommes, sans compter les blessés.

UNE VICTOIRE DES « INDIGÈNES »

Ce fut l’une des rarissimes « victoires  » que sont parvenus à remporter les indigènes lors de la « conquête de l’Ouest  » menée contre eux par le gouvernement américain et qui s’accompagnait d’une dépossession systématique de leurs terres et propriétés. Une dépossession destinée à regrouper ces derniers dans des « réserves  » — le terme « bantoustan  » n’avait pas encore été inventé. Custer, gonflé de certitudes, acquis à l’idée que les « Indiens  » n’étaient que des barbares incapables, des êtres inférieurs, s’engouffra dans la cuvette. Il fut surpris par l’organisation des guerriers sioux et cheyennes, l’armement dont ils disposaient, leur préparation au combat, leur mobilité. La bataille ne dura que 36 heures, mais la défaite ponctuelle laissa les Américains pantois, quasi ahuris.

Cette défaite a marqué profondément la culture américaine. On ne compte plus les romans, les pièces de théâtre, les films consacrés à cet événement. Pendant 100 ans (de 1876 à 1976), Custer incarna le héros américain face à l’autochtone barbare, l’adepte du scalp. Mais depuis le film Little Big Man (1976) et d’autres films et ouvrages, renversement total : le chef indigène est devenu dans la culture américaine le héros défendant sa juste cause. Toutefois, la victoire des autochtones à Little Big Horn ne modifia rien du devenir que les colons européens leur promettaient. Le rapport global des forces leur était par trop défavorable. Le gouvernement américain et son armée mirent en place moult « commissions d’enquête  » pour tenter de comprendre comment la faillite militaire avait pu advenir. Mais la conquête de l’Ouest par les colons se poursuivit avec plus d’acharnement encore.

En Israël aussi, d’innombrables voix appellent déjà à la constitution de «  commissions d’enquête  » pour punir les coupables de l’incroyable «  fiasco sécuritaire » du 7 octobre 2023. À la télévision, sur les ondes des chaînes de radio, dans la presse, élus du peuple et experts en tout genre multiplient les diatribes et les conseils aux décideurs. L’un avertit : pour que cela ne se renouvelle pas, il faudra tuer à Gaza «  des milliers de personnes  ». Un autre assure qu’il faut «  nettoyer Gaza sans faire de prisonniers  ». Un autre encore explique que, tant que les Palestiniens resteront là, aucune solution n’interviendra. Comprendre : il faudra bien finir par les expulser. Un ex-numéro deux de l’état-major israélien, Dan Harel, s’exclame sur le canal 13 de la télévision : «  Désormais, soit on y va, soit on n’a plus rien à faire ici  ». Bref l’exposition de la défaite suscite essentiellement des sentiments de revanche, de vengeance. La musique est connue : Israël a toujours été trop gentil avec les Palestiniens. Quant à la stupéfaction qui saisit la quasi totalité des citoyens, elle est la même que celle qui s’était emparée des Américains après Little Big Horn : mais qui aurait imaginé que ces sauvages, ces incultes, soient capables de nous berner à ce point !

Il est encore trop tôt pour tirer le bilan de ce qui est advenu le 7 octobre. Mais on peut résumer quelques constats.

LE FIASCO DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT

Une opération de l’ampleur de celle lancée sous la houlette du Hamas ne peut se mener sans avoir été préparée depuis plusieurs mois — peut-être des années. Et des milliers de personnes, jeunes pour la plupart, y ont participé (plusieurs centaines de jeunes Palestiniens seraient déjà morts à ce jour dans les opérations menées hors de Gaza). Or, visiblement, ni le Shin Bet ni le renseignement militaire n’avaient jamais soupçonné leur existence. « Au moment de vérité, nous ne savions rien  », écrit Amos Harel1, le correspondant militaire du quotidien Haaretz depuis 26 ans.

Rien, ni les capacités pourtant célèbres en termes de cyber contrôle de la population palestinienne (le Shin Bet sait quotidiennement quel café ou quel thé ont bu le dirigeants du Hamas au petit déjeuner), ni les « murs de protection » érigés par Israël pour enfermer les Palestiniens — dans une prison à ciel ouvert à Gaza ou dans des ghettos surveillés derrière des checkpoints en Cisjordanie —, ni les « collabos » implantés dans les organisations et regroupements politiques palestiniens de tout ordre, ni enfin la supériorité militaire incommensurable de l’armée israélienne n’ont permis de déceler ne serait-ce que le germe de ce qui allait advenir ce 7 octobre. Pour mémoire, la veille, Israël avait commémoré le 50e anniversaire du déclenchement de la guerre d’octobre 1973 par l’Égypte et la Syrie où, les trois premiers jours, l’armée israélienne, totalement surprise, avait été sur le recul.

Les Israéliens se focalisent aujourd’hui sur le fiasco des services de renseignement, comme ils l’ont fait en 1973. Ce fiasco est indéniable. Mais il n’est pas que « technique  », ou « opérationnel  ». Il est d’abord politique et même culturel. Dans le communiqué qu’il a lu au démarrage de l’offensive palestinienne, Mohamed Deïf, le chef des brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du Hamas, l’a dit sans ambiguïté. En bref : l’occupation des territoires palestiniens empire de jour en jour. Le nombre des Palestiniens tués quasi quotidiennement par l’armée ou les colons augmente sans cesse. Les conditions d’incarcération des prisonniers politiques palestiniens ont été lourdement aggravées par le nouveau ministre israélien de la police, le kahaniste Itamar Ben-Gvir. Les négociations sur un « échange humanitaire  » entre le Hamas et Israël — c’est-à-dire sur un échange de prisonniers palestiniens et de soldats israéliens — sont au point mort. Comme l’affirme le chef de l’aile militaire du Hamas :

L’occupation doit être éradiquée. (…) Le temps où ils agissaient en toute impunité est révolu.

L’IMPASSE DU PROJET D’ENTENTE AVEC L’ARABIE SAOUDITE

Pour lui lire la suite de l’article : https://orientxxi.info/magazine/lit...

Source :ORIENT XXI