Ziad Medoukh : « Même si j’écrivais des pages et des pages, je ne pourrais décrire ce qui se déroule à Gaza »

vendredi 5 juillet 2024

JPEG - 105.3 ko
Ziad Medoukh 29/06/24Gaza — thématiques : Témoignages de Palestine
Photo : Ziad Medoukh à Gaza. © Photo DR

Ziad Medoukh, enseignant et écrivain, n’a pas quitté Gaza City depuis le 7 octobre. Il témoigne ici de sa vie dans les ruines et de la famine en cours.

Joseph Confavreux - 29 juin 2024

Le 17 octobre 2023, alors que venait de débuter à Gaza une offensive qui semble aujourd’hui sans fin et dont le bilan approche 38 000 morts, en majorité des femmes et des enfants, Mediapart avait interrogé Ziad Medoukh, écrivain et professeur à l’université Al-Aqsa et à celle de Gaza.

Tandis que sa famille, comme des centaines de milliers d’habitant·es de la ville de Gaza, fuyait vers le sud de l’enclave, il affirmait haut et fort son refus de partir.

« Pourquoi ai-je décidé de rester seul et de subir l’horreur, l’angoisse et l’inquiétude ? Parce que je ne veux pas vivre une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe. Si aujourd’hui je quitte ma maison, ma ville, Gaza, je quitte la Palestine et je serai de nouveau réfugié », expliquait-il à Mediapart.

Huit mois plus tard, alors qu’il a perdu de nombreux proches, notamment son frère, la femme de celui-ci et leurs cinq enfants dans un bombardement israélien, nous avons pu le recontacter. Entretien à travers un WhatsApp à la connexion aléatoire.

Mediapart : Êtes-vous resté à Gaza City depuis le début de l’offensive militaire israélienne ?

Ziad Medoukh : Oui, même si j’ai dû changer à cinq reprises de maison et de quartier depuis que mon immeuble a été détruit le 2 décembre 2023. Aujourd’hui, je vis dans une maison surpeuplée avec quarante autres personnes. Les bombardements des avions de chasse sont quotidiens et nous ne sommes en sécurité nulle part.

Même si les opérations militaires se concentrent aujourd’hui au sud, il y a encore des incursions dans ma ville en ruines https://www.mediapart.fr/journal/in.... Les Israéliens se concentrent sur un quartier ; ils restent une semaine ou quinze jours et détruisent tout sur leur passage, même s’il ne reste plus grand-chose à détruire.

Désormais, la bande de Gaza est coupée en trois, avec des barrages militaires entre chaque partie. Au nord, nous sommes environ 600 000 Palestiniens. Au sud, où les opérations militaires sont les plus intenses, il ne reste plus que quelques dizaines de milliers de personnes concentrées sur la côte. La majorité des Gazaouis sont concentrés dans la région centrale autour de Deir El-Balah, dans des conditions de vie inimaginables.

J’ai survécu – car à Gaza personne ne peut plus vivre, nous ne faisons que survivre – en mangeant des herbes.

Toutes les photos et les vidéos témoignant de notre souffrance pendant ces mois de carnage ne peuvent suffire à montrer l’étendue du désastre vécu par toute une population civile horrifiée et abandonnée.

Parvenez-vous à trouver de quoi vous nourrir ?

En ce moment, c’est une véritable famine qui touche le nord de Gaza. Chaque jour, nous parviennent des informations de quelqu’un qui est mort de faim. L’aide internationale ne nous parvient pas, et nous ne trouvons quasiment aucun produit alimentaire sur les marchés, ou alors à des prix faramineux : 40 euros pour un kilo de riz, 30 euros pour un kilo de sucre. Ici, trouver de la nourriture constitue un véritable miracle.

Entre octobre et décembre, on pouvait encore trouver quelques aliments, puis tous les stocks se sont épuisés, les magasins ont été fermés ou détruits. Les trois mois suivants ont été les plus difficiles. En janvier, février et mars, il n’y avait plus rien.

J’ai survécu – car à Gaza personne ne peut plus vivre, nous ne faisons que survivre – en mangeant des herbes et en me nourrissant très peu, parfois seulement une fois tous les trois jours. La farine, qui est le produit essentiel, a atteint des prix astronomiques, jusqu’à 120 euros le kilo.

À partir de la mi-avril, il y a eu une petite amélioration lorsque, sous la pression internationale, un peu plus de camions ont pu entrer, à la fois de l’aide humanitaire, mais aussi des commerçants de Gaza qui ont été autorisés à faire venir des produits depuis l’Égypte.

J’essaie de continuer à témoigner mais les préoccupations quotidiennes prennent toute la place.

Mais depuis l’offensive sur le sud et la fermeture du terminal de Rafah, au début du mois de mai, c’est de nouveau la pénurie, et la famine revient. La seule différence est que les stocks de farine ont été en partie reconstitués et que son prix tourne désormais autour de 15 euros le kilo, ce qui permet à quelques boulangeries de fonctionner dans Gaza City et à ceux qui, comme moi, sont restés, de trouver un peu de pain à manger.

Mais le corps ne peut se contenter de pain, il a aussi besoin de fruits, de légumes… Nous sommes tous affaiblis et les premiers à mourir de ce manque de nourriture sont les enfants et les personnes âgées.

À cela s’ajoute le fait que le gaz étant interdit d’entrée à Gaza, la seule manière de faire cuire les aliments est de trouver du bois, qui est lui aussi devenu de plus en plus rare, parce que c’est la seule source d’énergie qui nous reste accessible depuis maintenant huit mois.

Source : UJFP
https://ujfp.org/meme-si-jecrivais-...