En Cisjordanie, « on ne fait plus la différence entre un terroriste palestinien et un Palestinien terrorisé »

dimanche 22 octobre 2023

En Cisjordanie, « on ne fait plus la différence entre un terroriste palestinien et un Palestinien terrorisé »
POSTED ON OCTOBRE 20, 2023 | NICOLAS ROUGER | LIBÉRATION
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Dans le territoire occupé, les colons profitent du besoin de vengeance d’une partie de la population israélienne pour accomplir leurs buts politiques, les armes à la main.

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Cela fait cinq ans que la famille Odeh construit une nouvelle maison pour quitter le centre de la petite ville de Qusra, 7 000 habitants, à côté de Naplouse en Cisjordanie occupée. « C’était un rêve qui a tourné au cauchemar », dit Ahed, 24 ans, en fermant définitivement le rideau de fer de son atelier de métallurgie. Mercredi 11 octobre, une dizaine d’Israéliens se sont approchés de la maison, masqués. Ils ont commencé par lancer des pierres, comme d’habitude : ce genre d’incident peut se produire jusqu’à plusieurs fois par semaine, selon Ahed.

Mais cette fois, les colons ont sorti les armes. La confrontation a tourné au massacre. Le frère d’Ahed a tenté de mettre sa fille Raath, 6 ans, à l’abri. Il a été touché de trois balles, dont une qui est rentrée par sa gorge et ressortie par la bouche. Deux autres ont atteint sa cheville et sa jambe. Une quatrième a traversé l’épaule gauche de Raath. « Ma mère a appelé mon cousin Moath pour qu’il vienne les aider. Ils sont arrivés en courant. Il est mort, lui et deux autres », dit Ahed, les yeux cernés. L’attaque a duré 45 minutes, avant l’arrivée de l’armée israélienne, qui est rentrée jusque dans le centre du village. Dans les affrontements qui ont suivi, un autre jeune homme a été tué par les soldats.

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Ahed, un Cisjordanien de 24 ans, a vu sa maison de Qusra être attaquée par des colons israéliens dans un esprit de vengeance après les assassinats du 7 octobre.
(William Keo / Magnum Photos /Libération)

Un convoi funéraire attaqué par les colons

Qusra est entourée de colonies israéliennes, explique le maire Hani Odeh, 68 ans, en traçant sur une carte de la région une virgule allant du nord-est au sud-ouest de la ville. La sociologie de ces colonies, coloriées en bleu, n’a pas de secret pour cet ancien soldat, comme pour la plupart des habitants du village. « Migdalim est là depuis 1981 ; ils venaient ici pour prendre de l’essence, faire des courses. On cohabitait. Mais les nouvelles colonies sont différentes. Ils plantent des nouvelles tentes tous les mois », continue Hani Odeh. Il conduit sans ceinture mais d’une main sûre le pick-up municipal défoncé à la lisière du village. Les maisons sont abandonnées, une salle des fêtes condamnée. Il ne reste que le squelette d’un grand poulailler. « Les colons l’ont brûlé. 20 000 poulets sont morts », explique le maire.

Au Proche-Orient, on enterre vite les morts. Mais pour ramener les corps du centre médical de Salfit, à quelques kilomètres à l’ouest, le lendemain, il fallait passer devant des colonies. Hani Odeh a contacté les autorités palestiniennes et israéliennes pour s’assurer de la sécurité du convoi funéraire, une quinzaine de voitures, qui allait suivre l’ambulance. Le tracé serait sécurisé, ont assuré les soldats. Vers 10 heures, le convoi s’est ébranlé. 30 minutes plus tôt, dans les colonies environnantes, les téléphones se sont mis à vibrer. « Le commandant de la région ne comprend pas que nous sommes en guerre ! Il a autorisé une procession funéraire de terroristes sur une route principale de Samarie », dit le texto, appelant le plus de monde possible à sortir. Une centaine de personnes ont répondu à l’appel. L’armée a tenté de dévier le convoi, mais en vain. Il a fini par être attaqué.

« Mon père conduisait, mon frère était dans le siège passager et moi à l’arrière », raconte Yasser Wadi, 14 ans. « Des colons ont arrêté le convoi, mon père et mon frère sont sortis pour leur dire de partir. D’autres personnes ont fait de même. Ils ont tiré. Et puis une autre voiture de colons est arrivée, ils ont aussi commencé à tirer. Mon frère a pris trois balles, et mon père une. La voiture aussi », dit l’ado d’une voix absente en tortillant le pendentif tout neuf qui porte la photo d’Ibrahim, 62 ans, et Ahmed, 24 ans. Leurs corps ont été préparés immédiatement. Ils ont finalement été enterrés en même temps que les quatre morts de la veille.

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