L’éducation est aussi une façon de résister
Dans la « prison à ciel ouvert » de Gaza, les habitants continuent à lutter de manière non-violente, notamment en scolarisant les enfants, qui, malgré les sombres perspectives d’avenir, sont 95% à suivre des cours.
Ziad Medoukh a donné une conférence à Lausanne le 29 novembre, sous les auspices du Collectif Urgence Palestine Vaud (CUP). Professeur de français palestinien, il est responsable du département de français de l’université Al-Aqsa de Gaza. Le CUP a proposé une interview de cette personnalité à la « grande presse », qui s’est défilée. On mesure par ce silence son degré de pusillanimité face à la question palestinienne. Gauchebdo a donc le privilège de publier cette interview exclusive.
Vous n’avez pas pu sortir de Gaza depuis quatre ans et votre voyage a duré 72 heures. Pourquoi ces difficultés ?
Ziad Medoukh : La population de Gaza est enfermée. C’est le blocus. Empêcher les Gazaouis de sortir (sauf cas humanitaires) fait partie des mesures atroces de l’occupant israélien. Du côté égyptien, le passage de Rafa est fermé depuis quatre ans à cause de la situation d’insécurité dans le Sinaï, créée par les groupes islamistes. Récemment, ce passage s’est entrouvert, mais comme il y avait 20’000 personnes en attente, je n’ai pu passer que le troisième jour, pour prendre le vol Le Caire-Paris.
Parlez-nous du vécu quotidien des habitants de Gaza, et notamment de celui des enfants…
Un quotidien de souffrances. Il y a des incursions de l’armée israélienne. C’est le blocus : 200 camions seulement entrent par jour. Il y a pénurie d’électricité (six heures par jour seulement car la centrale électrique a été bombardée), de gaz, de pétrole, de matériel scolaire, etc. Les jeunes n’ont pas de perspectives d’avenir. C’est le chômage. 3000 pêcheurs sont harcelés par la marine israélienne dans leur autorisation de pêcher dans la mer de Gaza. Quant aux enfants, ils souffrent de traumatismes dus aux bombardements, aux destructions massives. Ils n’ont presque pas de loisirs. Mais l’éducation fonctionne : 93% vont à l’école. La scolarisation est aussi une manière non-violente de résister et de garder notre identité. La solidarité sociale est très forte chez les Gazaouis, ce qui empêche les frustrations de déboucher sur des violences internes.
Dans ces conditions difficiles, comment votre université peut-elle fonctionner ?
Rappelons d’abord que Al-Aqsa est le nom arabe du Dôme du Rocher à Jerusalem. Mais le nom de notre institution évoque plutôt celui de la deuxième intifada. Notre université est publique et laïque. Elle est payée par l’Autorité palestinienne à Ramallah, même s’il n’y a pas de continuité géographique entre Gaza et la Cisjordanie. Elle est très développée sur Internet, car c’est notre seul moyen d’intervention dans des colloques scientifiques. Cela permet de faire face au blocus. Cependant un problème majeur à Gaza est le manque de livres. Notre département de français a beaucoup de contacts avec le consulat de France. C’est aussi le seul département mixte de l’université. Le problème, c’est que les étudiants, souvent, ne trouvent pas de travail après leurs études. On a réussi à convaincre les directrices des jardins d’enfants – qui sont obligatoires mais privés et payants – d’introduire le français chez les enfants, enseigné par nos étudiantes diplômées. C’est aussi une manière d’empêcher que celles-ci restent cloîtrées à la maison.
Quel est l’objectif du Centre de la paix que vous avez fondé ? Et comment mettez-vous en pratique la non-violence, à laquelle vous avez consacré plusieurs livres ?
Ce Centre est lié au département de français, ce qui le protège de l’autorité du Hamas. Tous ses membres sont bénévoles. Il vise à promouvoir les droits de l’homme, la liberté d’expression, le rôle de la femme dans la société, à travers des conférences et des rencontres notamment. Quant à la non-violence, c’est une opportunité en Palestine dans la conjoncture actuelle : division des Palestiniens entre eux, énorme puissance de l’armée israélienne, situation des pays arabes. Elle se traduit par le boycott des produits israéliens, par le souci d’envoyer nos enfants à l’école, ou encore par exemple par le fait que les paysans continuent à travailler la terre sur la frontière, malgré les menaces des soldats israéliens. La culture, notamment la poésie, est aussi une manière de résister non-violente. Au lendemain de la grande offensive israélienne de septembre 2014, on a repris les cours à l’université. C’était une manière de montrer que l’on ne baissait pas les bras et que nous existions.
En quoi consiste votre projet de séances de soutien psychologique aux enfants traumatisés ?
Je mentionnerai d’abord que ce projet est soutenu par le CUP et par de nombreuses autres organisations. Une équipe de sept étudiants a été formée par des spécialistes palestiniens, arabes ou francophones. Ils descendent dans les centres d’accueil, les écoles et les garderies. Ils proposent de nombreuses activités pendant deux à trois heures : écoute des enfants, ateliers de dessin, sports, lectures, jeux, musique, chansons, théâtre, etc. ce qui aide les enfants à oublier leurs traumatismes. Ensuite ces centres, écoles et garderies continuent de manière autonome. Nous avons un tout petit budget : même pas 3000 dollars par an. Mais la forte motivation, l’absence de bureaucratie font que ce projet marche très bien ! Il est aussi une manière de lutter non-violente pour notre identité et notre dignité.
source : article de Pierre Jeanneret dans la revue suisse Gauchebdo
voir aussi :
* liberté de circulation pour le Poète d’" Une Espérance dans la souffrance !"
* Gaza la vie écrase le désespoir ! un poème de Ziad Medoukh
* Poème "O mère de Palestine" de Ziad Medoukh
* Entretien avec Ziad Medoukh en avril 2015
* le cri de révolte de Ziad Medoukh - octobre 2015
* Le Centre de la paix aide les travailleurs dans une usine de laiterie à Gaza
* Deux raids israéliens sur la bande de Gaza ce jeudi 26 mai 2016
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* Vacances à Gaza.... - juillet 2015