Malak Mattar:une Palestinienne réagit au traumatisme de la guerre à travers l’art

lundi 1er mai 2023

Malak Mattar avait 13 ans et vivait sous les bombardements israéliens à Gaza lorsqu’elle a décidé de canaliser son « énergie négative » dans la peinture

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C’est en 2014 à Gaza que la carrière d’artiste de Malak Mattar, alors âgée de 13 ans, a débuté sous les bombardements israéliens contre le territoire palestinien assiégé. À la recherche d’un moyen d’« évacuer [son] énergie négative » et d’échapper à la « peur de la mort », elle a ramassé une boîte d’aquarelles et s’est mise à peindre. C’était pour elle sa façon de survivre : « Mon art consiste à peindre ce qu’éprouve mon cœur – il me représente », explique-t-elle.

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Malak Mattar a grandi dans la ville de Gaza, près de son port. Son père, originaire du village d’al-Jorah, aujourd’hui appelé Ashkelon en Israël, travaillait pour le service de relations extérieures palestinien. Sa mère, professeure d’anglais à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), est originaire d’al-Batani al-Sharqi, juste à l’extérieur de la bande de Gaza.

Malak Mattar a vécu quatre guerres, la première à l’âge de 8 ans et la dernière en mai 2021, alors qu’elle rendait visite à ses parents et aux trois plus jeunes membres de sa fratrie. Elle affirme porter en elle le traumatisme de la guerre. « Ce n’est pas quelque chose dont on peut se défaire ; cela s’infiltre en nous et devient une partie de nous-mêmes. Comment peut-on assimiler quelque chose qui n’est pas terminé ? On ne survit pas à la guerre, elle affecte notre santé mentale. »

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Les œuvres de Malak Mattar, aujourd’hui âgée de 22 ans, ont été exposées dans 80 pays, notamment aux États-Unis et en Inde. Il est cependant difficile pour l’artiste de voyager hors de Gaza, car de nombreux pays imposent des restrictions strictes en matière de visa aux Palestiniens originaires de ce territoire. La procédure est si difficile qu’elle a renoncé dans une large mesure à l’idée de formuler des demandes : « Parfois, j’ai l’impression que c’est le monde entier qui est la prison, plutôt que Gaza. »

Elle est néanmoins partie à Istanbul (Turquie), où elle poursuit des études en politique internationale. Malak Mattar vit dans le quartier de Beylikdüzü avec sa grande sœur, également étudiante. Malgré toute son offre artistique, Istanbul est absente de ses œuvres ; elle trouve son inspiration plus près de sa patrie, dans son identité palestinienne. « Je suis heureuse d’être dans un endroit où je peux voir de belles choses, visiter des musées et des galeries d’art, mais mon art n’a pas été influencé par cet environnement », confie-t-elle.

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Les femmes sont très présentes dans l’art de Malak Mattar, et celles qu’elle peint servent presque d’exutoires. « Les femmes qui figurent dans mes œuvres ont plus de liberté que moi », affirme-t-elle, tout en soulignant que lorsqu’elle vivait à Gaza, ses déplacements étaient limités en raison de sa nationalité. Malak Mattar explique que si ses premières œuvres étaient plus sombres au niveau des couleurs et du contenu, elle a rapidement pris la décision « de ne pas peindre [la] guerre, les bâtiments démolis et la mort » qu’elle observait autour d’elle. « J’ai choisi de peindre quelque chose que le public pourrait contempler pendant un certain temps. »

L’œuvre de Malak Mattar est un monde d’énergie féminine : elle peint surtout des femmes, des femmes qu’elle connaît ou de passage. « Ce n’est pas intentionnel », concède-t-elle. « Sans même m’en rendre compte, je retrouve les visages de ces femmes sur ma toile. » Malak Mattar tient à rendre visibles ces femmes et sa patrie, mais aussi à les faire perdurer dans les mémoires.

Ses œuvres comportent également des symboles de la Palestine, comme les oranges représentées dans le tableau ci-dessus. « C’est ma façon de me connecter à mon pays », affirme-t-elle, ajoutant que des olives, des grenades, des oiseaux et d’autres animaux sauvages apparaissent également dans ses tableaux. « Nous devons vivre dans la beauté ; il n’y en avait pas dans la bande de Gaza, alors j’ai créé ma propre réalité. »

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Les femmes représentées sur ce tableau ont la tête inclinée. « Quand on se tient droit, debout, cela montre qu’on est stable, alors qu’une tête inclinée évoque un sentiment d’abattement, une faiblesse », détaille Malak Mattar. « Nous sommes des êtres humains, nous vivons des guerres, des moments violents… Notre ténacité cède parfois. »

Les auréoles sont inspirées d’un voyage scolaire au cours duquel elle a accompagné sa mère à l’église catholique romaine de la Sainte-Famille de Gaza. Malak Mattar confie qu’elle a été surprise par les représentations sur le plafond de l’église et explique que l’auréole qu’elle ajoute à ses personnages leur confère une force et un pouvoir spirituels. Elle aimerait un jour créer un espace dédié aux femmes, en particulier aux artistes, qui sont selon elle toujours obligées de s’autocensurer. « L’autocensure est une maladie, le contraire de la créativité. La liberté est tellement importante pour l’expression. »

JPEG - 293.4 ko The Only Zebra in Gaza

Également très présents dans son art, les animaux sont des références à ceux qu’elle a croisés au cours de son enfance à Gaza. Malak Mattar explique à Middle East Eye que les oiseaux tropicaux colorés qu’elle peint sont inspirés de ceux que possédait un voisin, qui les gardait dans une cage sur son balcon, et que les poissons exotiques rappellent ceux qu’elle voyait à l’animalerie, qui a depuis été détruite par un raid aérien. Les chevaux sont un souvenir des enfants qui montaient à cheval sur le front de mer de Gaza.

La femme représentée sur le tableau The Only Zebra in Gaza porte une robe sur laquelle sont brodés de nombreux animaux exotiques, dont un zèbre. « Gaza avait autrefois un zèbre dans son petit zoo, mais il a été tué par un raid aérien avec de nombreux autres animaux. Le gardien du zoo, anéanti par la perte de son zèbre qu’il aimait tant, a acheté un âne et a peint des rayures noires et blanches sur son corps », se souvient-elle.

JPEG - 269.8 ko We Have in This Earth What Makes Life Worth Living

Un autre élément récurrent de son art est la colombe blanche, symbole de la paix. Après la Nakba, la « catastrophe » des Palestiniens survenue au moment de la création d’Israël, la colombe blanche était très présente dans les œuvres des artistes palestiniens Sliman Mansour et Tamam al-Akhal. « Ils espéraient la paix et un retour pacifique sur leur terre. J’ai aussi ce souhait de vivre à l’abri du danger, mais aujourd’hui, la signification de ce symbole a changé : la paix ne s’installera que lorsque l’occupation illégale aura pris fin », soutient Malak Mattar.

Malak Mattar s’inspire également de l’artiste conceptuelle palestinienne Mona Hatoum. « Ses idées sont vraiment intelligentes... Elle est palestinienne mais aussi internationale, elle essaie de voir le monde à travers les yeux des Palestiniens. Ses œuvres d’art sont politiques, sans en avoir l’intention. »

JPEG - 189.6 ko When Peace Dies Embrace It, It Will Live Again

L’art de Malak Mattar est également influencé par son oncle maternel, Mohammed Musallam, un peintre et illustrateur abstrait qu’elle regardait peindre quand elle était enfant, dans sa patrie d’origine. « Il créait aussi des œuvres d’art avec de la terre, des feuilles d’arbres et même des passeports – c’était fascinant à regarder. »

JPEG - 273.3 ko Revolution

Malak Mattar, qui a écrit et illustré un livre pour enfants en 2021, intitulé Grandma’s Bird, espère terminer sa licence cet été. Elle a également de nouvelles expositions au programme, dont une en Turquie et une autre en Italie, pour laquelle elle confie que « cette fois-ci, [elle a] demandé un visa ».

Indlieb Farazi Saber
Source : https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/palestine-gaza-guerre-peinture-malak-mattar-traumatisme-occupation
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.