À Aix, un opéra transcende le conflit israélo-palestinien

samedi 13 juillet 2019

Réaction d’une adhérente de Palestine 13 à ce spectacle :

"Nous n’étions pas du tout obligé-e-s de faire semblant de dormir... Nous étions 22 prisonniers politiques palestiniens en détention administrative allongé-e-s sur des sortes de fauteuils-transats, prisonniers dont le gouvernement israélien ne sait quoi faire car ils ont entamés une grève de la faim : le gouvernement israélien dit ne pas pouvoir les libérer, ne pas pouvoir les juger, ne pas pouvoir les tuer, donc il les endort. Mais ces prisonniers endormis viennent hanter les esprits des Israéliens, viennent provoquer des crises d’épilepsie chez les bébés, des insomnies chez les adultes et notamment chez le premier ministre...jusqu’à ce que le gouvernement israélien décide d’envoyer une espionne pour infiltrer le sommeil des Palestiniens. Cette espionne ne reviendra pas car elle est prise dans la patrie spirituelle des endormis.

L’assistant du réalisateur qui nous a briffé en deux minutes sur ce que nous pouvions faire ou ne pas faire durant le spectacle, nous a dit que l’idée étant que les endormis palestiniens agissaient sur le cerveau des Israéliens, nous pouvions être actifs, c’est-à-dire, bouger, nous asseoir, avoir les yeux ouverts et regarder...

Alors, c’était magnifique ! une musique extrêmement contemporaine, des voix splendides notamment le premier ministre. Un régal !"

La dernière représentation sera demain le 14 juil à 20h. Hier soir, j’ai vu qu’il restait quelques places dans la salle...


Aix-en-Provence - Ça parle d’un Premier ministre israélien, de prisonniers palestiniens, d’un espion et même du chef du Shin Bet. Il ne s’agit pas d’une énième dépêche sur le conflit israélo-palestinien mais de la première production internationale d’un opéra, en hébreu, sur ce sujet sensible.

Présenté samedi en création mondiale au festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, "Les mille endormis", du compositeur israélien Adam Maor et de son compatriote, metteur en scène et librettiste Yonatan Levy, est une sorte de science-fiction politico-lyrique qui fera probablement couler beaucoup d’encre.

CE CONCERT SERA RETRANSMIS LE 10 JUILLET A 20H SUR FRANCE MUSIQUE

JPEG - 10.4 ko La cantatrice américano-israélienne Gan-ya Ben-gur Akselrod lors d’une répétition de l’opéra "Les mille endormis", le 3 juillet 2019 à Aix-en-Provence

"Cet opéra parle de l’oppression et surtout de son impact sur l’oppresseur", explique à l’AFP Adam Maor, 36 ans. "Je ne prétends pas militer avec mon art mais c’est un opéra politique qui pose la question de la liberté".

Une liberté dont M. Maor a été privé à 19 ans lorsqu’il est emprisonné pendant deux ans pour avoir refusé de faire le service militaire obligatoire dans son pays afin de dénoncer "l’immoralité de l’occupation en Palestine".

- "Un espion dans le monde des rêves" -

Mille prisonniers palestiniens entament une grève de la faim très médiatisée, si bien que le gouvernement israélien décide de les anesthésier "pour que le monde passe à autre chose" : ainsi commence cet opéra de chambre, un des rares en hébreu.

"Ca marche très bien jusqu’au jour où les Israéliens commencent à avoir des cauchemars et se réveillent la nuit en parlant en arabe", explique M. Maor.

"Ils creusent des tunnels vers le monde des rêves juifs et y perpètrent des attentats terroristes !" s’exclame Nourit, l’assistante du Premier ministre, en référence aux Palestiniens.

Le Premier ministre décide d’envoyer un espion "arabisant" pour tuer le commando et Nourit Zehavi devient alors... Nour Zoabi.

Une oeuvre qui mêle donc réalité et fantaisie et où différents personnages sont interprétés par quatre chanteurs. Pour représenter les "endormis" palestiniens, des volontaires reposent dans des lits à l’arrière-scène pendant tout l’opéra.

"Le livret de Yonatan est brillant car il parle de quelque chose qui pourrait être le journal mais il va plus loin", souligne M. Maor qui a étudié la composition contemporaine à Genève et a fait un cursus à l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique musique) à Paris, où il a également pris des leçons de oud.

Son histoire personnelle est intimement liée à ses compositions.

Pour cet Israélien se réclamant de la gauche, la seconde intifada (2000-2006) a été un choc. Après une année de service civil, à 19 ans, il écrit au ministre de la Sécurité qu’il refusait de faire le service militaire. "J’ai refusé trois fois, avant de comparaître devant la Cour suprême qui m’a envoyé en prison. On était nombreux à le faire", se rappelle-t-il.

"Les Palestiniens dans mon opéra, c’est tout une autre histoire. Moi j’ai fait le choix d’aller en prison, eux non", souligne-t-il.

Une poignée d’opéras contemporains ont déjà évoqué le conflit : le controversé "The Death of Klinghoffer" composé par John Adams sur l’assassinat d’un retraité juif-américain par le Front de libération de la Palestine ou encore un opéra sur la militante américaine Rachel Corrie écrasée en 2003 par un bulldozer de l’armée israélienne.

- "Retrouver des origines -

Le Proche-Orient a inspiré Adam Maor pour ses albums "Occupy Haifa" et "BEYROUTH15072006" (2012), au style électronique.

Le premier a été écrit à la suite d’une manifestation à caractère social réunissant Israéliens et Arabes-Israéliens en 2011 dans sa ville. "Pour une soirée on était en train de vivre l’utopie", se souvient le compositeur qui a tenté d’apprendre l’arabe.

"Ça m’a fait penser à la ville dans laquelle j’aurais pu grandir si l’expulsion d’une grande partie des Palestiniens en 1948 n’avait pas eu lieu", affirme le compositeur dont la famille est originaire de Damas, que de nombreux juifs syriens avaient quitté après la création d’Israël.

Il n’est pas sûr de pouvoir présenter son opéra en Israël où il regrette "la pression accrue du gouvernement sur les artistes contestataires".

La musique de l’opéra —mélange de lyrisme et d’électronique—, comprend des clins d’oeil aux cantillations hébraïques et à la musique arabe.

"J’ai grandi avec les sonorités du Moyen-Orient mais je sens très fort le manque de lien. J’essaie dans mon travail de retrouver des origines que je m’imagine", dit-il.

Source : le Nouvel Observateur