La Palestine, “seuil du Moyen-Orient”, selon l’analyse de l’historien Olivier Hanne.

jeudi 30 décembre 2021

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Olivier Hanne donne le titre suivant, Les seuils du Moyen-Orient, à une synthèse qui éclaire la situation actuelle en Israël Palestine et dont l’ampleur est impressionnante. Une multiplicité de données y est prise en compte sur les millénaires d’histoire de cette région. Le titre est explicité par le sous-titre : “Histoire des frontières et des territoires”, qui place l’ouvrage à l’interface de l’histoire et de la géographie d’un Orient toujours dit “compliqué”. Son analyse a une portée très générale, elle ne se laisse pas sidérer par la complexité, et elle est pertinente sur l’ensemble des questions politiques du Moyen-Orient. Notons qu’il est entre autres professeur aux Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan.

Seuils, plutôt que frontières

Construite à partir d’un ambitieux parcours à travers les 5000 ans d’histoire de la région, sa thèse est la suivante : si, depuis les premières civilisations de l’histoire, on connaît des peuples qui y ont résidé, avec des territoires qu’ils habitent ou qu’ils conquièrent, jamais la définition des frontières n’y a été stable ni durable. Cela, qu’elles soient naturelles (on connaît le mode de construction de cette notion, le plus souvent ordonnée à une volonté politique), ethniques, linguistiques ou religieuses. Les peuples et groupes humains qui ont habité le Moyen-Orient depuis l’aube de l’histoire, en nomades ou en sédentaires, n’ont jamais eu tendance à établir des frontières fixes mais, autour des limites reconnues et toujours provisoires des espaces qu’ils fréquentent, se sont définis des passages ou des seuils qui ont aménagé entre eux des transitions, des lieux d’échanges aussi bien que de conflits. Et aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, ce qui est aujourd’hui la Palestine, prise dans sa globalité, est l’un de ces seuils.

Le principe wilsonien de l’Etat-nation

L’actualité dramatique du Moyen-Orient remonte toujours à l’héritage de la Première guerre mondiale. Non que les bouleversements qu’elle a provoqués soient inédits dans son histoire, mais pour une raison actuelle et précise : les puissances victorieuses ont voulu plaquer sur cette zone le cadre de l’État nation, selon le principe avancé par le président Wilson du “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”. Ce cadre, qui a favorisé évidemment la prise de contrôle des territoires en fonction des intérêts des vainqueurs, est loin d’aller de soi, même en Europe où il est né. Il résulte des convulsions des guerres de religion au 16ème siècle et pose qu’un territoire doit adopter la religion de ses princes : cujus regio, ejus religio. Invoqué d’abord lors de la paix d’Augsburg en 1555, ce principe de droit est dit westphalien parce que les traités de Westphalie (1648) l’ont pris pour base lors du rétablissement de la paix en Europe, après un siècle de troubles et une Guerre de Trente ans dévastatrice. Il n’a fonctionné en Europe (puis en Amérique) que sur la courte durée de cinq siècles, loin des millénaires de l’histoire de ce berceau de civilisations. Son évolution l’a laïcisé, prenant comme référence non plus la religion mais l’entité “nation”, née elle aussi à l’époque contemporaine, des trois révolutions fondatrices de l’Occident actuel, au Royaume-Uni, puis dans ses colonies américaines et en dernier lieu en France. Mais il est étranger à l’histoire multimillénaire des peuples du Moyen-Orient, où une certaine fluidité s’impose quant à la langue, à l’origine ethnique, au droit, aux modes de gouvernement, et aussi aux cultes.

États faillis

La clé offerte par Olivier Hanne ouvre de manière remarquable sur la situation actuelle de l’ensemble du Proche-Orient. Il note en effet que cette région, tout arbitraire que semble son découpage, n’en constitue pas moins une unité visible, largement distincte du monde indien et extrême-oriental à l’Est, de l’Afrique au sud, du Maghreb à l’Ouest et de l’Europe au Nord-Ouest. Mais à l’intérieur de cet ensemble, seule l’Égypte a gardé à travers les millénaires une identité encore actuelle, dans des frontières à peu près stables, ce qui pourtant ne lui épargne pas les tensions sociales et politiques. Alors que les États créés après 1918 apparaissent tous en crise, certes de manière plus ou moins dramatique, mais cependant souvent dans une instabilité sanglante. A commencer par la Turquie elle-même où l’intransigeant nationalisme, turc et laïc, de Mustapha Kémal a créé l’insoluble problème kurde. Liban et Syrie, Jordanie et Irak, les domaines que se sont attribués la France et le Royaume-Uni, sont toujours des lieux de tension plus ou moins extrême. Les guerres civiles, loin de s’apaiser, ressurgissent, le régime syrien s’est maintenu en éliminant un cinquième de la population de son territoire, et l’État islamique renaît en Irak, là où on l’avait cru écrasé. La péninsule arabe a vu l’ascension des monarchies pétrolières, mais sa périphérie reste marquée par le multiséculaire affrontement dont le Yémen est toujours la victime. Au point que le terme d’État failli semble taillé sur mesure pour ce qui affecte par excellence la Libye, autant que la Syrie et l’Irak, mais d’une manière plus ou moins aiguë toutes les populations de la région.

État nation du peuple juif

Parmi ces États mis après 1918 sous mandat européen avec l’aval de la Société des Nations, il faut situer le cas singulier de la Palestine, à laquelle le concept de seuil apporte son éclairage. La puissance mandataire y a délibérément fait appel à la colonisation sioniste pour y conforter son influence, îlot d’Occident dans un Orient étrange et insaisissable.

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