Lettre au Président de la République française sur son intervention lue par le Premier Ministre au dîner du CRIF

samedi 12 mars 2022

Le 7 mars 2022

Objet : Votre intervention lue par le Premier Ministre au dîner du CRIF

Monsieur le Président de la République,

C’est en votre nom, et en précisant qu’il prononçait l’intervention que vous aviez préparée, que le Premier ministre s’est exprimé le 24 février au dîner du CRIF. C’est donc à vous que nous nous adressons pour relever des points qui nous ont fortement interpellés dans ce discours, et que nous estimons particulièrement graves pour la politique extérieure de la France et pour le respect de nos principes républicains.

Nous avons été particulièrement choqués que vous ayez pu vous exprimer contre la résolution sur Jérusalem qui a été votée par la France à l’Assemblée Générale des Nations-Unies en décembre dernier, en déclarant : « Comme vous, je m’inquiète de la résolution des Nations unies sur Jérusalem qui continue d’écarter, à dessein et contre toute évidence, la terminologie juive de « mont du Temple ». En son temps, nous avions relevé, dans un communiqué, le déchaînement du lobby pro-israélien contre cette résolution, alors que le terme « Haram Al-Sharif », traduit par « Esplanade des Mosquées » dans la version française de la résolution, est utilisé depuis des années dans toutes les résolutions de l’ONU. Nous avions pu noter que la France avait su résister à ce déchaînement et voter pour cette résolution.

Toute aussi grave est la phrase qui suit de votre discours : « Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif. ». Jusqu’ici, les autorités françaises parlaient en des termes précis, des Français juifs ou des Juifs de France, de l’État d’Israël, de la religion juive/israélite, et de Jérusalem comme future capitale d’Israël et de la Palestine. Parler de l’attachement de la religion juive aux lieux religieux de Jérusalem est une chose, parler du « peuple juif » et dire que Jérusalem en est sa « capitale éternelle » est tout autre chose. Au moment où les Palestiniens de plusieurs quartiers de Jérusalem voient leurs maisons détruites ou sont menacés d’expulsion, au moment où des groupes fascistes israéliens viennent provoquer les Palestiniens sur l’Esplanade des Mosquées, mesurez-vous la portée de ces paroles ? Et sur le « peuple juif » dont Jérusalem serait la « capitale éternelle », mesurez-vous à quel point vous alimentez l’idéologie et le système suprémacistes que l’on retrouve dans la loi « Israël État-nation du peuple juif », fortement contestée y compris en Israël même ? Mesurez-vous, enfin, à quel point vous agissez contre les principes républicains de notre pays en vous adressant aux Français juifs comme « peuple juif » dont la capitale serait Jérusalem ?

Ces mêmes principes républicains, vous les mettez à mal lorsque vous annoncez que c’est au côté du président de l’État d’Israël que vous allez commémorer, le 20 mars, les horribles attentats de Toulouse et Montauban de mars 2012. Commémorer ces attentats, dont le caractère antisémite ne fait aucun doute pour celui de Toulouse, et mobiliser la société française pour que de tels actes ne puissent plus jamais se produire, c’est plus qu’un droit, c’est un devoir pour le président de la République. Mais le faire aux côtés du président d’un État tiers, qui viole quotidiennement le droit international, entretenir ainsi la confusion entre les Français juifs et l’État d’Israël, serait une faute contre notre République : comme nous l’avons exprimé dans notre communiqué, nous vous demandons d’y renoncer.

Le dernier point de votre discours que nous ne pouvons pas admettre est la charge que vous jugez utile de mener contre les associations de défense des droits de l’Homme qui ont montré, dans des rapports extrêmement sérieux, que la politique d’Israël à l’encontre du peuple palestinien dans son ensemble remplit tous les critères de la définition internationale du crime d’apartheid. C’est une position que, avec nombre d’organisations en France et dans le monde, nous soutenons pleinement. Nous avons d’ailleurs noté que le gouvernement français avait officiellement déclaré qu’il allait étudier attentivement le dernier rapport paru, celui d’Amnesty International, et nous imaginons bien que l’exécutif français a étudié très sérieusement le précédent, celui de Human Rights Watch, ainsi que les prises de position de l’ONG israélienne B’Tselem et le rapport des ONG palestiniennes.

Aussi, Monsieur le Président de la République, nous avons besoin de savoir : y a-t-il une politique de la France, que l’on retrouve dans nombre de positions prises aux Nations-Unies, ou bien s’agit-il simplement de prises de position fluctuantes suivant l’interlocuteur ? Les sujets traités sont trop graves pour permettre une telle ambiguïté : sur les quatre points que nous avons relevés, nous vous demandons, d’urgence, une clarification.

En d’autres temps, déjà à propos de Jérusalem, un président de la République s’exprimait devant le dîner du CRIF en ces termes : « je peux vous dire très sincèrement que le président de la République française ne ferait pas son devoir, y compris à votre endroit, s’il se contentait simplement de vous faire plaisir pour une soirée ». C’était en…. 2018.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

Bertrand Heilbronn
Président de l’Association France Palestine Solidarité



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