Un spectacle palestinien à découvrir à Avignon du 10 au 16 juillet
« Il est important que tous les arts du monde circulent »
THÉÂTRE Auteur et metteur en scène palestinien, fondateur et directeur artistique du Théâtre Khashabi, à Haïfa, Bashar Murkus est de retour à Avignon avec Milk.
Premier dramaturge palestinien programmé au Festival d’Avignon l’an dernier, Bashar Murkus y revient avec Milk, qu’il à créé à Haïfa. Avec sa compagnie, il ouvre la voie à la construction d’un théâtre palestinien indépendant et dynamique en Israël et dans les territoires occupés, et à son rayonnement international.
Vous venez de créer Milk, une pièce avec de nombreuses actrices. Quels en sont les enjeux ?
Nous l’avons présentée au public au début du mois, à Jérusalem, au Théâtre Al-Hakawati, puis dans notre théâtre, à Haïfa. Pour cette création, j’ai travaillé avec un groupe de six actrices et un acteur, Khulood Basel pour la dramaturgie, Majdala Khoury pour la scénographie, Raymond Haddad pour la musique et notre équipe technique, tous Palestiniens de l’intérieur ou en exil. Il s’agit d’une performance visuelle. Il n’y a pratiquement pas de texte, car les personnages, des femmes confrontées à la perte de leurs enfants, sont devenus silencieux, sans voix. La pièce traite de ce que la tragédie produit chez les êtres, dans l’immédiat et à long terme. Ça les transforme totalement, tous, sans exception. Et pas seulement les femmes.
À quoi le titre fait-il référence ?
Milk, en anglais, signifie lait. En arabe, le mot revêt un autre sens, que l’on peut traduire par « c’est à moi ». C’est un double sens très intéressant pour nous. Le spectacle a ainsi à voir avec les matériaux liquides tels le lait, le sang, la sueur, les larmes. Mais nous pouvons explorer la deuxième notion, ce qui est à nous. Nous avons fondé notre compagnie en 2011 (avec Khulood Basel, Shaden Kanboura, Henry Andrews, Majdala Khoury) et sommes devenus indépendants en 2015, après qu’une de nos pièces sur les prisonniers politiques a déclenché la censure du gouvernement israélien. Au fondement de notre travail, il y a toujours une recherche très importante et partagée. Nous avons travaillé près de deux ans sur le spectacle. Beaucoup de monde s’est impliqué à travers de nombreux stages et ateliers que nous avons organisés. Nous avons utilisé des moyens très divers pour imaginer cette création et nous sommes très heureux de son aboutissement.
À propos de votre précédente création, le Musée, vous expliquiez qu’elle ne faisait pas référence au conflit israélo-arabe. Cette fois-ci, traitez-vous de la réalité palestinienne ?
C’est plus compliqué. Je refuse que mon travail soit perçu comme traitant exclusivement de la Palestine mais, bien évidemment, je parle de la Palestine tout le temps. Si j’aborde le thème de la mort, cela évoque la Palestine, mais pas seulement, car c’est, hélas, un thème universel. Les mères perdent leurs enfants dans le monde entier. Ce désastre peut être vécu dans n’importe quel endroit du monde. L’actualité regorge de ces tragédies : en Palestine, en Ukraine… Je commence mes recherches à partir de ma propre histoire, de celle de mon peuple, à partir de là où je vis. Je cherche à travailler en profondeur sur ces thèmes, en impliquant les gens autour de moi.
Quelle est la situation aujourd’hui ? L’an dernier, après les révoltes de Jérusalem qui ont embrasé Gaza, la Cisjordanie et Israël, vous espériez l’émergence de nouvelles formes de solidarités et d’organisation…
Il est très difficile d’analyser la situation en quelques phrases alors que nous vivons constamment au milieu de troubles. Mais Milk parle de cette solidarité et d’avenir. La situation que nous vivons a beaucoup interféré sur la création. Nous traitons de l’histoire d’un groupe de femmes qui ont perdu leurs enfants. Comment survivre à cela ? Nous explorons les conséquences sur leurs vies et nous interrogeons l’après : à quoi le futur peut-il ressembler après une telle tragédie ? Cela fait naître des questions très importantes comme celle de sa propre responsabilité par rapport à l’avenir. Mais elles sont universelles et j’espère qu’elles auront cette puissance dans la création.
Comment avez-vous vécu votre présence à Avignon en 2021 ? C’était important pour faire connaître la création palestinienne ?
C’était fantastique ! Il y a quelque chose de très puissant dans ce festival. Je pense qu’il est très important que tous les arts du monde puissent circuler. Cela a une signification considérable aussi bien pour les artistes que pour le public de pouvoir partager des expériences, des formes et des esthétiques différentes. Pour des artistes qui travaillent sous occupation, c’est encore plus important.
La pièce de Bashar Murkus, Milk, se jouera au Festival d’Avignon du 10 au 16 juillet.
Tournée internationale en 2023. Voir aussi le programme de lectures d’auteurs arabes pendant le festival
Scène palestinienne un état des lieux
Deux ouvrages viennent de paraître pour se représenter la carte du théâtre palestinien et son impact sur la société, ses problématiques dans le cadre de l’occupation. La Palestine sur scène, une expérience théâtrale palestinienne, 2006-2016 (Presses universitaires de Rennes, 2022), de Najla Nakhlé-Cerruti, docteure en littératures et civilisations de l’Inalco. Après l’Individu au centre de la scène (Presses de l’Ifpo, 2020), où elle présentait des auteurs et des textes majeurs, elle montre la difficulté de répertorier un patrimoine peu publié et des pratiques dynamiques et complexes, sur un territoire fragmenté. Dans Voix du théâtre en Palestine (Riveneuve, 2022), le photographe Jonathan Daitch constitue un annuaire de la scène palestinienne. Il y présente une cinquantaine de lieux et d’artistes, directeurs de structures, auprès desquels il a recueilli de passionnants témoignages. Tous deux soulignent le rôle du fondateur du Théâtre national palestinien, François Abou Salem, qui allait ouvrir la voie à l’élaboration d’un théâtre palestinien indépendant..
L’Humanité - Lundi 27 Juin 2022 - Marina Da Silva - photo : Bashar MurkusAuteur, metteur en scène