Au cœur de Paris, les colons israéliens mettent en vente la Cisjordanie
Blast a obtenu la preuve que des agents immobiliers israéliens proposent, en France, des biens construits dans les colonies israéliennes illégales, au cœur des territoires palestiniens. Une violation manifeste du droit international qui n’a pas fait ciller les autorités françaises.
« Un salon de vente dédié aux Juifs en France qui envisagent de venir vivre en Israël. » C’est par ces mots tout à fait neutres que l’agence de marketing Garkan présente sur son compte Instagram le salon Icube, dédié à l’immobilier israélien, qui s’est tenu à deux reprises à Paris au cours de l’année 2024.
Suspectant que des exposants vendent des appartements et des maisons dans des colonies illégales situées sur des terres volées dans les territoires palestiniens, à l’instar ce qui se passe aux États-Unis et au Canada, Blast est parvenu à s’y introduire par deux fois. En mars 2024, aucun exposant n’a assumé vendre des biens dans les territoires palestiniens, une pratique condamnée par le droit international. En septembre dernier en revanche, l’agence Garkan, dont les bureaux sont situés en banlieue de Tel Aviv, a notamment proposé à la vente des appartements situés dans une colonie israélienne de Cisjordanie.
Retour en arrière. Dimanche 8 septembre 2024 au matin, dans les beaux quartiers de Paris. Sur la chic avenue Hoche, les Salons Hoche accueillent l’événement Icube consacré à l’immobilier israélien. À cette occasion, des entreprises vendent des biens situés à Tel Aviv, Haïfa, Eilat, et dans d’autres villes israéliennes. Les auteurs de ces lignes se font passer pour de potentiels acheteurs. L’un prétend être à la recherche d’une maison pour son père, tandis que l’autre affirme être là uniquement pour accompagner.
Alors que, dans un avis du 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice, plus haute juridiction de l’ONU, a déclaré illégales l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens par Israël depuis 1967, nous faisons part à plusieurs agences de notre souhait d’acheter une maison en « Judée-Samarie », le nom utilisé par les colons israéliens pour désigner la Cisjordanie. Parmi les exposants approchés se trouve évidemment Garkan, l’agence de marketing immobilier. Prudent aucun exposant n’affirme ouvertement vendre des biens si sulfureux, cela n’empêche pas de demander les coordonnées des personnes intéressées… et de reprendre discrètement attache.
Projet Kedem
Ainsi, deux semaines plus tard, un homme se revendiquant de la société Garkan revient vers nous via WhatsApp. Après s’être assuré que nous sommes toujours intéressés , il envoie la plaquette de présentation d’un projet, baptisé Kedem, et situé dans la colonie Avnei Hefetz, en plein cœur des territoires palestiniens.
Le bien immobilier que propose Garkan est situé dans la colonie israélienne Avnei Hefetz, située en Cisjordanie, en violation du droit international. Image DR
Sur le document PDF trônent une dizaine de bâtiments alignés, présentés comme les futurs immeubles d’habitation qui doivent être finalisés dans les prochaines années, et dont les travaux sont bien avancés. En effet, d’après des images satellites en date d’août 2023, les structures de plusieurs édifices sont déjà sorties de terre. En comparant ces images avec celles du même lieu en 2014, il apparaît que la colonie Avnei Hefetz s’agrandit d’année en année, et grignote par conséquent du territoire, menaçant plusieurs villages palestiniens situés alentour. Selon une enquête du journal israélien Haaretz publiée en 2018, ce développement territorial et immobilier de la colonie s’inscrit dans un projet plus large, porté par les plus fervents partisans de la colonisation, visant à implanter un million de colons pour la seule Cisjordanie (hors Jérusalem-Est), contre près de 500 000 aujourd’hui. Dans cette perspective, le Conseil de Yesha, une association qui représente les colons de Cisjordanie, préconise de construire des immeubles d’habitation comptant de nombreux appartements, plutôt que des maisons individuelles, dans lesquelles la densité d’habitants est moins importante. Avec ses 900 logements prévus, le projet Kedem s’inscrit pleinement dans cette perspective, et a ainsi reçu un important soutien du Conseil de Yesha, selon Haaretz.
Les poupées russes de la colonisation immobilière
En charge de vendre les biens à l’international, Garkan n’est pas à l’origine de ces constructions. Son client se révèle être le promoteur Harey Zahav, un rouage essentiel de l’entreprise coloniale d’Israël dans les territoires palestiniens. Dans une ancienne version de son texte de présentation toujours consultable sur son site internet, la société se décrivait elle-même comme ayant « pour mission de construire des colonies et des quartiers dans la région de Judée et de Samarie ». Sur ce même site, douze projets situés dans des colonies sont mis en avant.
Prospectus distribué par Garkan à l’occasion du salon Icube de l’immobilier israélien, le 8 septembre 2024, à Paris. Sur ce document, le projet Kedem apparaît avec le logo du promoteur Harey Zahav, spécialisé dans la construction de biens immobiliers dans les colonies israéliennes illégales. Sur le prospectus, la délimitation entre le territoire israélien et la Cisjordanie, où se trouve le projet Kedem, n’apparaît pas clairement. Document Garkan
Expulsion des squatteurs
Harey Zahav n’est pas un simple promoteur immobilier : il est un condensé de la violence coloniale israélienne. Sur le compte Instagram de l’entreprise, on retrouve par exemple des vidéos de Shlomo Warmstein, un de ses dirigeants, se filmant fièrement en tenue militaire dans les ruines de Gaza. On y trouve également un photomontage montrant des croquis d’habitations alignées et superposées sur les ruines de Gaza. Avec cette légende tout en subtilité : « Un certain nombre de nos employés ont commencé à travailler sur la remise en état, le déblaiement des débris et l’expulsion des squatteurs ». Le terme « squatteurs » faisant ici référence aux Palestiniens de Gaza… Le texte appelle également au « retour du Gush Katif », nom donné par les colons israéliens aux colonies situées dans la bande de Gaza avant leur démantèlement en 2005.
Sur son compte Instagram, Harey Zahav ne se cache pas de vouloir recoloniser la bande de Gaza. Malgré la violence des projets portés par ce promoteur immobilier, il était bel et bien représenté lors du salon Icube du 8 septembre 2024 à Paris, comme en témoigne le prospectus de l’entreprise Garkan que nous avons récupéré à cette occasion. Compte Instagram Harey Zahav
À l’époque, la publication Instagram avait entraîné de nombreuses réactions indignées à travers le monde. Harey Zahav s’était défendu auprès de nos confrères de Libération expliquant que le visuel était une simple « parodie », visant à « ouvrir une discussion ». Le promoteur avait ajouté que l’installation d’Israéliens à Gaza et le départ de la population palestinienne dans des pays arabes voisins représentait « la seule solution pour une paix durable ». Ce projet, qui constitue un nettoyage ethnique, est partagé jusqu’au sommet de l’État israélien par le ministre des finances Bezalel Smotrich, et par le désormais ex-ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, qui a démissionné de son poste le 19 janvier pour protester contre l’accord de cessez-le-feu à Gaza. L’idée d’expulser la population de Gaza afin de garantir la paix dans la région semble également partagée par Donald Trump, qui a évoqué cette envie de « faire le ménage » le 28 janvier dernier.
Bienveillance tricolore
Malgré les condamnations récurrentes par les autorités françaises des projets de colonisation des territoires palestiniens et des velléités d’expulsion de leur population, ni la Préfecture de police de Paris, ni le ministère des Affaires étrangères n’ont réagi à la vente de biens immobiliers situés dans les colonies israéliennes lors d’un salon se déroulant en plein cœur de Paris. La Préfecture s’est contentée de mettre en place un périmètre de sécurité pour assurer la bonne tenue de l’événement.
Une bienveillance étonnante et récurrente : d’après les informations publiées sur les réseaux sociaux par Icube, l’organisateur de l’événement, c’est la 87ème fois qu’un tel salon se tient dans l’Hexagone. Et plusieurs expositions du même type ont bénéficié du parrainage de l’Organisation sioniste mondiale ainsi que de l’Agence juive pour Israël, selon des informations également publiées sur les réseaux sociaux par les organisateurs eux-mêmes.
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Source : BLAST INFO