Chronique d’une dérive éditoriale annoncée

lundi 10 mars 2025

D’où parle France Info canal 27 ? Chronique d’une dérive éditoriale annoncée

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Billet de blog 22 février 2025
SNJ CGT France TV

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Pendant le mois qui a précédé le crash éditorial de France Info, la CGT a passé au crible les émissions de talk pour vérifier si la sacro-sainte neutralité et l’impartialité du service public étaient bien respectées. Cette analyse permet de mieux comprendre la dérive de l’information sur cette chaîne jusqu’au naufrage final. Elle montre un parti pris idéologique, des choix éditoriaux déséquilibrés, qui peuvent expliquer comment la chaine d’information continue en est arrivée à discuter du projet de transformer Gaza en une future Riviera, alors que les cadavres gisent encore sous les décombres.

La méthodologie utilisée sera de toute façon contestée par la direction de l’Information, qui n’admet pas que les organisations syndicales mettent leur nez dans la ligne éditoriale. Nous aurions pu prendre une journée particulière, ou une semaine particulière mais ce choix aurait été critiqué comme partiel ou biaisé. Nous avons préféré recourir au hasard, choisir les émissions à l’aveugle, pour rester le plus neutres possibles. Par ailleurs, nous avons porté notre attention exclusivement sur les invités « experts », étant donné que les invités politiques sont déjà comptabilisés par l’ARCOM, et que les journalistes maison sont supposés sans opinion, ou du moins sans autorisation de l’exprimer. Analyser le discours aurait été long et fastidieux. Faire une petite recherche sur le profil des invités est beaucoup plus rapide et permet d’identifier assez facilement d’où ils parlent.

Pour lire la suite : https://blogs.mediapart.fr/snj-cgt-france-tv/blog/220225/d-ou-parle-france-info-canal-27-chronique-d-une-derive-editoriale-annoncee?utm_source=quotidienne-20250306-202059&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250306-202059&M_BT=681716689579

Des « toutologues » liés à la droite ou aux milieux d’affaires

Treize émissions de talk comprenant 40 invités ont ainsi été « décryptées » entre le 13 janvier et le 6 février 2025. Une période marquée, à l’international, par deux événements majeurs, l’investiture de Trump et l’accord de cessez-le-feu à Gaza, et sur le plan intérieur, par l’utilisation du 49.3 pour faire passer le budget et la position de non censure du PS. Sur ces 40 invités, un certain nombre reviennent plusieurs fois et sont comptabilisés à chaque passage à l’antenne.

Il ressort de cette analyse que ces soi-disant experts et toutologues ne sont pas du tout indépendants, mais pour une bonne part liés à la droite, à la macronie, ou à des intérêts financiers. On peut ainsi dessiner une sphère idéologique qui englobe des personnalités liées à la droite conservatrice ou libérale, ou à des lobbies pro-business. Elle représente 15 invités sur 40.

Entrons dans les détails de ce groupe. Il est assez étonnant de constater que les mieux représentés parmi les invités qui ont des engagements politiques sont des compagnons de route de la droite LR. Ils sont au nombre de 6. Citons Pierre Lellouche, invité de L’Heure américaine, le politologue Luc Gras, pendant 12 ans directeur de cabinet du député LR Elie Aboud ainsi que le militant LR William Thay, président d’un think tank gaulliste, ces deux derniers invités à parler de la position du PS par rapport au débat sur les retraites. Citons également André Kaspi, historien mais engagé politiquement avec Les Républicains dont il reçoit l’investiture aux législatives de 2017. Ou encore Dominique Moïsi, expert en géopolitique par ailleurs ancien soutien d’Alain Juppé et engagé aux côtés d’Emmanuel Macron en 2017, invité de L’Heure américaine au lendemain de l’affaire « Gaza Riviera ».

Viennent ensuite des personnalités que l’on peut qualifier de centristes. Il s’agit d’Antoine Bueno, conseiller au sénat pour l’Union centriste, Emmanuel Dupuy, délégué général du parti Les Centristes, et Dominique Simonnet, qui a eu des engagements politiques avec l’écologiste Brice Lalonde tout en critiquant l’ancrage à gauche des Verts. Neuf invités sont donc liés à des organisations politiques de droite, de la macronie ou du centre.

Autre catégorie bien représentée, celle des toutologues donnant l’impression de parler au nom de l’intérêt général mais appartenant en réalité à des cabinets de conseil, de communication, ou de lobbying défendant les intérêts des grandes entreprises ou de la finance. Ils sont au nombre de 5. Citons Stéphanie Villers, de la société d’audit et de conseil PwB, pour parler des retraites. Citons également Véronique Reille-Soult, dirigeante du cabinet Backbone consulting, qui intervient à deux reprises pour parler du budget et du possible 49.3. Valérie Lecasble, invitée pour débattre du même sujet a, entre autres activités, dirigé la firme controversée américaine Hill & Knowlton, dont les clients appartiennent aux 500 plus grosses compagnies mondiales. Ancienne chroniqueuse sur CNews, elle a réussi l’exploit de se faire recadrer dans L’Heure des pros pour des propos racistes. Nous incluons dans cette liste, le directeur opinion de l’Ifop Frédéric Dabi qui peut difficilement se prévaloir d’une neutralité axiologique vu que son institut de sondages appartient à deux gros investisseurs financiers, LFPI et Meershaert, après avoir été détenu par de grandes familles du patronat français.

Dans ce gros bloc qui ne représente certainement pas les classes populaires, le profil d’une des invitées à débattre de la libération des otages à Gaza et des tensions au Liban, semble avoir échappé à la direction éditoriale de la chaîne. Maya Khadra est en effet l’auteure d’un livre interview complaisant sur Samir Geagea, dirigeant libanais d’une ancienne milice d’extrême droite chrétienne transformée en parti, un ancien criminel de guerre qui a soutenu l’invasion israélienne de 1982 et a été l’un des instigateurs du massacre de Sabra et Chatila.

Parmi ces personnalités de tendance plutôt droitière, on peut ajouter Sylvie Pierre-Brossolette, éditorialiste au Point et membre du club du Siècle, lieu élitiste de la presse française. Il ne fait aucun doute que la ligne de cette revue est de droite, et en être une des éditorialistes n’est pas neutre. Nous avons donc 15 invité(e)s sur 40 clairement à droite ou lié(e)s au milieu des affaires.

Atlantico, un tremplin pour France Info

En revanche, être contributeur régulier d’un journal de droite ou d’extrême droite ne veut pas dire forcément qu’on en adopte la ligne. Par honnêteté intellectuelle, nous ne les classerons pas dans le même bloc mais nous les signalons quand même. Au moins dix invités de France Info écrivent régulièrement dans les colonnes du site néo-conservateur et réactionnaire Atlantico, à croire que cela fait partie des critères pour passer à l’antenne. Six d’entre eux sont déjà cités : Luc Gras, André Kaspi, Véronique Reille-Soult et Maya Khadra, Dominique Moïsi, Emmanuel Dupuy, auxquels il faut ajouter Arnaud Benedetti, Richard Werly, Jean Garrigues et Michael Darmon. Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique parlementaire, est par ailleurs un invité régulier du site d’extrême droite Front populaire de Michel Onfray. Nous arrivons à 19, soit presque la moitié des invités qui ont des liens avec la droite, le centre, la macronie, avec le patronat, ou collaborent avec des journaux de droite ou d’extrême droite. Ça fait beaucoup !

On peut également s’interroger sur la présence de personnalités liées à l’Otan ou aux intérêts américains pour discuter de la situation aux USA ou au Proche Orient, même si elles peuvent apparaître politiquement modérées. Outre Pierre Lellouche, qui a occupé des fonctions au sein de l’Otan, et Emmanuel Dupuy, membre de la commission de l’économie et de la sécurité de l’Otan, tous deux déjà cités dans le groupe précédent, nous pouvons ajouter l’historienne Anne Kratz, membre du Quincy Institute, qui a pour mission de défendre les intérêts vitaux des Etats-Unis. En ajoutant les milieux atlantistes à la droite et aux lobbies d’affaires, nous sommes à 20 invités sur 40.

Ensuite, nous avons les journalistes indépendants ou sans étiquette politique particulière, mais liés à l’establishment médiatique ou à la chefferie du service public. Ils sont au nombre de 11.

Les universitaires sans liens avec les milieux d’affaires et sans engagement politique apparent sont quantité négligeable. Ils sont au nombre de trois : Marie-Cécile Naves, spécialiste des USA, Isabelle Lebon, spécialiste de l’économie américaine et John Christopher Rolland, docteur en droit public, qui a le malheur d’évoquer les risques à long terme que fait courir l’utilisation à répétition du 49.3 pour la démocratie et se fait brutalement couper par le journaliste maison Gilles Bornstein, qui considère les propos de son invité « totalement hors-sol ». Jean Garrigues, historien qui intervient régulièrement sur les antennes de France Info, peut difficilement être classé dans cette catégorie vu le discours franchement anti-LFI qu’il développe.

« Caution de gauche »

Enfin, nous avons les invités que l’on peut qualifier de « caution de gauche ». Ils ne sont que trois. Nous avons Pablo Pillaud Vivien, rédacteur en chef de la revue Regards. Ajoutons Benjamin Morel, constitutionnaliste qui se considère républicain de gauche et dirige le think tank Laboratoire de la République, fondé par l’ancien ministre macroniste Jean-Michel Blanquer. Ainsi que Cédric Clérin, rédacteur en chef à L’Humanité.

Il saute aux yeux qu’aucun des invités n’est lié de près ou de loin à La France Insoumise, alors qu’avoir des engagements avec LR, les macronistes, les centristes ou l’Otan ne pose aucun problème. Manifestement, il ne faut pas être trop de gauche pour intervenir sur notre antenne !

C’est dans ce panorama idéologique que s’insère le traitement du cessez-le-feu à Gaza. Rappelons que cet événement se traduit par la libération des otages israéliens au compte-goutte, mais aussi par un immense soulagement pour près de deux millions de Palestiniens qui ont vécu l’enfer pendant plus d’un an. Or, sur les deux émissions qui traitent de Gaza, visionnées au hasard, avant l’affaire « Gaza Riviera », toutes mettent l’accent sur la libération des otages israéliens, la joie des familles. Dans l’une, nous avons à l’antenne Anne-Sophie Seban-Bécache, directrice de l’American Jewish committee in Paris qui explique que l’on ne peut pas mettre sur le même plan les otages libérés, qui n’avaient rien demandé à personne, et les prisonniers palestiniens qui ont du sang sur les mains. Ainsi qu’un psychiatre, Thierry Baubet, pour parler des réactions psychiques des otages libérés.

Dans l’autre, nous avons la journaliste Maya Khadra, déjà citée pour son affinité avec l’extrême droite libanaise pro-israélienne. Personne pour préciser que parmi les prisonniers palestiniens, bon nombre sont des détenus administratifs, des prisonniers politiques détenus sans procès simplement pour avoir manifesté contre la colonisation israélienne. Personne non plus pour rappeler que parmi les otages israéliens libérés, certains sont des soldats de Tsahal, c’est-à-dire d’une armée d’occupation. Soulagement, empathie pour les otages libérés, mais personne pour relever le traumatisme vécu par les Palestiniens, les familles entières décimées sous les bombes, les enfants crevant de faim ou de maladie, les amputations sans anesthésie. Manifestement, l’humanité ne se trouve que d’un seul côté.

Et pendant que l’on commémore une journée entière sur France Info la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, le crime contre l’humanité qui s’est déroulé sous nos yeux à Gaza n’apparaît qu’en arrière-plan, au loin, et sans la présence des premiers concernés, représentants palestiniens ou responsables humanitaires. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les près de 50 000 morts de l’invasion israélienne aient été « oubliés » dans un talk-show sur la faisabilité d’un projet immobilier cynique, basé sur un nettoyage ethnique. C’est un peu la banalité du mal.


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