Cour internationale de justice. L’impératif du retrait israélien des territoires occupés
Dans un été 2024 marqué par la poursuite de l’offensive génocidaire à Gaza, ainsi que par la révélation d’actes de barbarie commis sur des détenus palestiniens, l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur l’illégalité de l’occupation israélienne est tout de même un nouveau succès majeur pour la Palestine. En plus des conséquences qu’il implique pour tous les États, il marque une rupture avec le discours politique dominant en Occident sur la nécessité d’une négociation avec Israël.
Alors que la rapporteuse spéciale de l’ONU Francesca Albanese alerte désormais sur l’extension de la violence génocidaire à la Cisjordanie, la Cour internationale de justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies a, dans son avis consultatif du 19 juillet 2024, précisé l’état du droit international s’agissant du Territoire palestinien occupé (TPO).
Ce long avis vient confirmer la logique de celui rendu, en 2004, sur l’édification du mur par Israël en territoire palestinien. Mais, saisie par l’Assemblée générale en 2022 de faits bien plus conséquents, la Cour a été plus loin cette fois-ci en affirmant non seulement l’illégalité des pratiques israéliennes d’occupation depuis 1967, mais aussi celle de l’occupation elle-même. La conséquence logique est la nécessité pour Israël de mettre fin à cette occupation « dans les plus brefs délais ».
Par ailleurs, la Cour a considéré, et ceci est également nouveau, que certaines pratiques d’occupation caractérisaient une violation de l’article 3 de la Convention sur l’élimination de la discrimination raciale, par lequel les États parties « condamnent spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid ». Il convient donc de présenter cet avis qui rompt avec la représentation occidentale de la situation, et d’examiner les conséquences que la Cour estime devoir être tirées de ces violations graves, par Israël, du droit international. Car, même si elles ne sont pas respectées par leurs destinataires, les positions ou ordonnances de la Cour ont un impact considérable, raison pour laquelle une partie de la doctrine occidentale tente d’en minimiser le sens.
QUEL DROIT APPLICABLE, À QUELLE SITUATION ?
Comme elle le fit en 2004, la CIJ confronte les pratiques israéliennes d’occupation au droit de l’occupation militaire (IVe Convention de Genève de 1949, Règlement de La Haye de 1907), au droit international des droits humains (Pacte sur les droits civils et politiques, Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966, Convention sur l’élimination de la discrimination raciale de 1965), au droit du recours à la force (Charte des Nations unies, comprenant l’interdiction d’annexer des territoires), au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce dernier droit présente évidemment une importance toute particulière.
Certains lecteurs pourront s’étonner du fait que la Convention sur le génocide n’est pas employée par la Cour alors qu’elle est invoquée devant elle par l’Afrique du Sud contre Israël et par le Nicaragua contre l’Allemagne, dans deux affaires contentieuses relatives à l’actuelle situation à Gaza. Ceci s’explique par le fait que la Cour, interprétant la question qui lui a été posée par l’Assemblée générale en 2022 (Résolution 77/237 du 30 décembre 2022), a estimé qu’elle n’inclut pas « le comportement adopté par Israël dans la bande de Gaza en réaction à l’attaque menée contre lui par le Hamas et d’autres groupes armés le 7 octobre 2023 » (Avis, § 81).
Cela ne signifie pas pour autant que la bande de Gaza est exclue de l’analyse et des conclusions de la Cour pour les politiques antérieures d’Israël à Gaza, qui se prolongent partiellement. D’ailleurs, la CIJ précise à cet égard que le droit de l’occupation militaire devait continuer à s’appliquer à la bande de Gaza, en dépit du retrait israélien de 2005, dans la mesure où ce territoire est resté sous le contrôle d’Israël (Avis, §§ 93-94)1. Mais il est vrai que l’avis n’examine pas très précisément, et c’est sans doute dommage, les politiques et pratiques israéliennes à Gaza avant octobre 2023, notamment les offensives récurrentes, et le blocus, qui avait pourtant fait l’objet de rapports de l’ONU. Si les conclusions de la Cour valent donc pour l’ensemble du TPO, incluant Gaza, l’essentiel de l’examen porte sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
COLONISATION, SÉGRÉGATION RACIALE ET APARTHEID
Est d’abord envisagée la politique de colonisation : transfert de population civile, confiscation ou réquisition de terres, exploitation des ressources naturelles, extension de la législation israélienne, déplacement forcé de la population palestinienne, violence contre les Palestiniens. La Cour conclut ici que « les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et le régime qui leur est associé, ont été établis et sont maintenus en violation du droit international » (Avis, § 155). La conséquence de cette illégalité est qu’Israël « est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé » (point 5 du dispositif).
Il est important de relever que cette conclusion de la Cour a été adoptée à la quasi-unanimité (14 juges favorables). Seule la juge Julia Sebutinde (Ouganda), qui s’était déjà illustrée par des opinions séparées ou dissidentes dans les affaires portées contre Israël sur la base de la Convention génocide, s’y est opposée.
C’est à propos de cette politique de colonisation que sont présentées les lois et politiques discriminatoires d’Israël, la Cour examinant essentiellement les différences de traitement entre Palestiniens et colons dans les TPO : permis de résidence à Jérusalem-Est, restriction à la liberté de circulation, démolitions de biens punitives ou pour défaut de permis de construire. Ces politiques sont considérées comme illicites. De plus, la Cour estime que, dès lors qu’elles « imposent et permettent de maintenir en Cisjordanie et à Jérusalem-Est une séparation quasi complète entre les communautés de colons et les communautés palestiniennes » (Avis, § 229), elles emportent violation de l’article 3 de la Convention sur l’élimination de la discrimination raciale qui, on l’a dit, condamne spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid.
Certains juges, tels le juge brésilien Leonardo Brant et le juge sud-africain Dire Tladi, dans leurs opinions individuelles jointes à l’avis, ont regretté que la Cour n’ait pas été plus explicite sur la question de l’apartheid : il aurait été, pour l’un, utile d’en donner une définition, et pour l’autre, important de conclure plus précisément à l’existence d’un régime d’apartheid. Ainsi, pour le juge sud-africain : « Si l’on compare les politiques du régime d’apartheid sud-africain avec les pratiques d’Israël dans le TPO, il est impossible de ne pas arriver à la conclusion qu’elles sont similaires. » (Déclaration du juge Tladi, § 37).
De même, pour le président de la Cour, le juge libanais Nawaf Salam : « La commission par Israël d’actes inhumains envers les Palestiniens dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination, ainsi que l’intention de maintenir ce régime, sont indéniablement l’expression d’une politique d’apartheid » (Déclaration du juge Salam, § 29). Mais le sujet semble sensible puisque d’autres juges non dissidents, tels le juge allemand Georg Nolte ou le juge japonais Yuji Iwasawa, ont affirmé être sceptiques sur l’application de cette notion aux politiques d’Israël. Aussi, on peut penser que l’avis est resté sommaire sur ce point afin de recueillir une large majorité de voix.
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SOURCE : ORIENT XXI