Gaza : la CNCDH pointe les hypocrisies françaises

La Commission nationale consultative des droits de l’homme a demandé au gouvernement, jeudi 23 janvier, de retirer ses déclarations sur « l’immunité » de Benyamin Nétanyahou et rappelle que la France doit « prévenir le crime de génocide » par « tous les moyens à sa disposition ».
Justine Brabant ;, Mediapart, 24 janvier 2025 à 12h19
Multiplier les déclarations sur le respect du droit international humanitaire est une chose. Les mettre en pratique avec constance en est une autre. Les autorités françaises devraient démontrer qu’elle ne se contentent pas de paroles mais qu’elles mènent également des « actions concrètes » dans ce domaine, estime la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans une déclaration adoptée le 23 janvier, que Mediapart a pu consulter et qui fait explicitement référence à la guerre menée par Israël à Gaza.
Ces derniers mois, les autorités françaises ont multiplié les discours et les initiatives pour défendre le droit international humanitaire, ce pan du droit international qui s’applique aux conflits armés et vise à en limiter les conséquences (il impose entre autres de protéger les non-combattant·es et interdit d’utiliser certaines armes et méthodes de guerre trop destructrices).
En septembre 2024, Paris lançait ainsi, avec cinq autres États, une initiative mondiale « visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du droit international humanitaire ». Le respect de ce droit figure parmi les piliers de la stratégie humanitaire française 2023-2027. Il est régulièrement mentionné comme une priorité par les diplomates français·es.
Mais à l’épreuve des faits, la France n’a pas toujours été exemplaire. Le 27 novembre 2024, le ministère des affaires étrangères laissait entendre que la France pourrait ne pas appliquer le mandat d’arrêt pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, contredisant toutes les déclarations précédentes de la diplomatie française.

La CNCDH, qui est l’institution chargée de veiller à l’application par la France du droit international humanitaire, appelle aujourd’hui la France à « retirer formellement » cette déclaration. « Déclarer qu’un chef de gouvernement frappé d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité pourrait bénéficier d’une immunité » est non seulement « en contradiction avec la jurisprudence nationale », mais aussi avec « la jurisprudence de la Cour pénale internationale en la matière » et avec les obligations de la France en tant que signataire des Conventions de Genève, souligne la Commission.
La volte-face du Quai d’Orsay au sujet de Nétanyahou avait été interprétée, à l’époque, comme un gage donné aux autorités israéliennes afin qu’elles acceptent d’intégrer Paris aux discussions sur un cessez-le-feu au Liban. Entre ne pas transiger sur ses principes et les fouler aux pieds pour afficher un petit succès diplomatique, l’exécutif français a choisi.
Mieux contrôler les ventes d’armes françaises
« C’est en prenant des engagements à long terme, et non en adoptant des positions conjoncturelles par opportunité politique ou diplomatique […] que peut être créé un environnement propice au respect du droit international humanitaire », tance la CNCDH dans sa déclaration, votée à l’unanimité de ses membres (soixante-quatre personnes, représentant·es de grandes ONG, syndicats, expert·es des droits humains, représentant·es de cultes, universitaires, magistrat·es, avocat·es et parlementaires).
La Commission rappelle également à Paris ses obligations en matière de contrôle des ventes d’armes. Tout en « salu[ant] » les mots d’Emmanuel Macron qui avait appelé début octobre 2024 à « cesse[r] de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza », la CNCDH recommande à la France d’aller jusqu’au bout de cette logique – et de ses obligations internationales – en « suspend[ant] tout transfert d’armes » à destination de « tout État à travers le monde » s’il existe « le moindre doute quant à une utilisation de ces armes non conforme au droit international ».
Une recommandation qui pourrait s’appliquer aux ventes d’armes françaises au Myanmar, à l’Arabie saoudite, à l’Éthiopie… mais aussi, potentiellement, à Israël. Car si Emmanuel Macron a de fait exclu les ventes d’armes pouvant être utilisées à Gaza, l’État français n’est pas allé jusqu’à prononcer un embargo total sur les exportations vers Israël (qui mène également des opérations en Cisjordanie, par exemple).
Alors qu’un nombre croissant de juristes, d’historiens et d’ONG qualifient la guerre menée par Israël à Gaza de génocide, la CNCDH rappelle également à la France qu’elle a, en vertu de ses engagements internationaux, obligation de « prévenir le crime de génocide et d’user de tous les moyens à sa disposition pour empêcher la survenance de ce crime ou le faire cesser ».
« Dans un monde où les conflits sont marqués par des violations massives du droit international humanitaire et où il est visiblement très difficile d’amener les belligérants eux-mêmes à le respecter, les États tiers, extérieurs au conflit, ont un rôle majeur à jouer », estime la rapporteuse du texte de la CNCDH, Julia Grignon, qui est directrice de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) et professeure de droit international humanitaire à l’université Laval, à Québec (Canada).
La Commission revient enfin sur la fourniture d’aide dans l’enclave palestinienne de Gaza, longtemps privée de vivres en raison d’un blocus mis en place par Israël. « L’aide humanitaire ne devrait jamais être conditionnée, ni même influencée, par des motifs d’ordre politique, diplomatique ou stratégique », exhorte-t-elle. Avec en tête, notamment, le rôle problématique des États-Unis à ce sujet.
« Lorsque les Américains font des largages d’aide humanitaire depuis les airs alors que sur le terrain il n’y a personne pour coordonner sa distribution, et que cela donne lieu à des émeutes, cela n’est pas faire de l’aide : c’est juste un faire-valoir, une démonstration de communication », regrette Julia Grignon.
La juriste pointe le contraste « criant » entre les condamnations des exactions russes en Ukraine et les réactions bien plus mesurées lorsqu’il s’agit de condamner celles d’Israël. « Ce n’est pas parce qu’on [les États occidentaux – ndlr] est amis avec Israël, et parce qu’Israël n’est pas la Russie ou la Chine, qu’on ne doit pas avoir les mêmes exigences en matière d’accès à l’aide humanitaire. »
« Quand il s’est agi de dénoncer les crimes de la Russie, les voix étaient unanimes. Quand la CPI s’est saisie de la question, les voix étaient unanimes. Et tout à coup, parce que c’est Israël, il n’y a plus du tout d’unanimité », regrette-t-elle.
Justine Brabant