Gaza : les marchands d’armes et leurs financeurs peuvent-ils être co-responsables de génocide ?

mercredi 24 juillet 2024

Luis Reygada, L’Humanité, publié le 7 Juillet 2024

Des experts de l’ONU avertissent des entreprises d’armement et leurs financeurs des possibles conséquences juridiques de leurs transactions avec Israël. Une filiale du Crédit agricole est nommément visée.

Après les États qui exporteraient des armes vers Israël, ce sont maintenant les entreprises d’armement qui sont directement visées à l’ONU. Celles-ci pourraient en effet être appelées à rendre des comptes en se voyant accusées de « complicité » dans la commission de crimes internationaux, « y compris éventuellement de génocide ».

C’est ce qui ressort d’un communiqué de presse diffusé le 20 juin par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Dans le document, trente experts de l’ONU préconisent aux « fabricants d’armes qui fournissent Israël » de « mettre fin aux transferts, même s’ils sont exécutés dans le cadre de licences d’exportation existantes ».

Pour lire la suite : https://www.humanite.fr/monde/armee-israelienne/gaza-les-marchands-darmes-et-leurs-financeurs-peuvent-ils-etre-co-responsables-de-genocide


Les entreprises américaines Boeing, Oshkosh, Caterpillar, General Dynamics, Lockheed Martin, Northrop Grumman, RTX, allemandes Thyssenkrupp, Rolls-Royce Power Systems, Rheinmetall AG et britannique BAE Systems sont nommément visées. Au vu des récentes révélations du média d’investigation Disclose, il ne serait pas improbable que des sociétés françaises y figurent aussi.

Les vendeurs d’armes qui fournissent Israël dans le viseur des experts de l’ONU
En faisant parvenir, même indirectement, des armes, des pièces, des composants ou des munitions qui seraient utilisés par les forces israéliennes – notamment dans le cadre des attaques en cours contre Gaza –, « ces entreprises risquent d’être complices de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international ».

Les experts onusiens ont ainsi averti ces poids lourds de l’industrie mondiale de l’armement – qui génèrent chaque année des centaines de milliards d’euros de bénéfices – que la poursuite de leurs échanges commerciaux avec Israël pourrait « être considérée comme une aide apportée en toute connaissance de cause (…) de la récente décision de la Cour internationale de justice (du 26 janvier dernier – NDLR) ayant reconnu un risque plausible de génocide à Gaza ».

« C’est une prise de position importante qui nous montre que les entreprises privées peuvent bien être tenues responsables lorsqu’elles choisissent de faire commerce avec un État qui enfreint le droit international. Cela donne raison à la mobilisation internationale pour l’arrêt du commerce d’armement avec Tel-Aviv », considère Laura Z., représentante de Stop Arming Israel France. « D’autant plus que les entreprises se cachent toujours derrière les décisions de l’État pour se dédouaner de toute responsabilité », ajoute-t-elle.

« Encore faut-il être en mesure de déterminer la liste des entreprises d’armement impliquées et le matériel en cause, considère de son côté Tony Fortin, chargé d’étude à l’Observatoire des armements. En France, il y a un réel manque de transparence sur le sujet ; il est essentiel que la commission parlementaire de contrôle des exportations d’armes réalise une enquête pour pousser l’État à agir. »

Une filiale du Crédit agricole potentiellement complice « de crimes d’atrocité »
Donnée majeure à souligner : les experts de l’ONU ont aussi pointé du doigt la responsabilité des institutions financières qui investissent dans ces entreprises d’armement. Au milieu des vingt et une sociétés mentionnées – parmi lesquelles nous retrouvons des acteurs majeurs de la gestion d’actifs tels que BlackRock, Bank of America, Citigroup ou encore JP Morgan Chase –, figure aussi le numéro un européen : la française Amundi Asset Management.

Une filiale du groupe Crédit agricole qui se targue d’être « l’acteur de référence en matière d’investissement responsable » 1. Comme ses consœurs, elle se voit pourtant priée d’agir pour « prévenir ou atténuer (ses) relations commerciales avec (les) sociétés qui transfèrent des armes à Israël », sous peine de se voir non seulement « directement liée aux violations des droits de l’homme » mais aussi accusée d’y contribuer, s’ensuivant une potentielle complicité dans la commission « de crimes d’atrocité » 2.

Contacté par l’Humanité, le secrétariat du Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme (dont plusieurs membres ont participé au panel d’experts s’étant exprimé devant le HCDH le 20 juin dernier) a rappelé l’importance pour les entreprises de faire preuve de « diligence renforcée en matière de droits de l’homme », et tout particulièrement dans les situations de conflit. Un Code de conduite responsable qui doit servir de guide aux entreprises du secteur de l’armement a d’ailleurs été publié à cet effet en 2022, afin notamment que leurs pratiques commerciales soient conformes aux principes directeurs des Nations unies.

Le secrétariat a aussi rappelé que c’est aux États qu’incombe la responsabilité première de prendre des mesures visant à stopper tout commerce de matériel qui pourrait être utilisé pour violer le droit international.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait déjà adopté, début avril, une résolution interpellant les gouvernements en réclamant un embargo sur les armes à destination de Tel-Aviv. « Tous les États (doivent) cesser la vente, le transfert et la livraison d’armes, de munitions et d’autres équipements militaires à destination (de la) puissance occupante afin de prévenir de nouvelles violations du droit international », indiquait ainsi le document A/HRC/55/L.30. Une résolution à laquelle s’étaient notamment opposés les États-Unis et l’Allemagne.

Un rapport sur la vente d’armes vers Israël analysant les conséquences juridiques
Dans la même résolution, le Conseil avait aussi demandé à une commission internationale indépendante d’établir un rapport sur la vente d’armes vers ce pays, notamment pour « déterminer (le matériel) utilisé au cours de l’opération militaire israélienne menée à Gaza depuis le 7 octobre 2023 » et analyser les conséquences juridiques. Celui-ci devrait être présenté lors de sa cinquante-neuvième session, en juin 2025.

« Il est important pour Stop Arming Israël de rappeler que les prises de positions de l’ONU ne sont pas contraignantes », signale Laura Z., qui y voit toutefois un point d’appui pour « continuer la mobilisation populaire, essentielle pour mettre la pression » sur les entreprises et les forcer à arrêter réellement tout commerce d’armement avec Israël.


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