« Ils peuvent rendre Gaza inhabitable, on ne quittera jamais notre terre »

mercredi 29 janvier 2025

Alors que Donald Trump satisfait l’extrême droite israélienne et appelle à chasser les Palestiniens de Gaza vers la Jordanie et l’Égypte, des familles déplacées témoignent et promettent de ne jamais quitter leur terre, malgré l’ampleur de la dévastation.

Rachida El Azzouzi, Mediapart, 27 janvier 2025

Trump« Trump méconnaît notre force de résistance. On a survécu à des décennies d’oppression, à un génocide. On ne quittera jamais notre terre. Ils peuvent la rendre inhabitable, nous ne partirons pas. J’en suis la preuve. » Shaher Yousef Abu Odeh ne mâche pas ses mots à l’égard du président états-unien.

Ce Palestinien de 55 ans est revenu dès le premier jour de la trêve, avec sa femme et leurs enfants, dans sa ville de Beit Hanoun au nord-est de Gaza après plus de treize déplacements intérieurs en quinze mois, dont le dernier les a conduits dans le camp d’Al-Zahar, au sud. Shaher Yousef Abu Odeh raconte avoir pleuré en arrivant, devant l’ampleur des destructions : « J’avais espéré ne pas voir ça. Quand j’ai vu ma ville, mon quartier, ma maison par terre, cela a provoqué une immense colère et tristesse en moi. Très peu de maisons, seulement une dizaine, sont encore debout. »

Une semaine après le début d’un cessez-le-feu précaire, dont Israël et le Hamas se sont mutuellement accusés dimanche 26 janvier d’avoir violé les termes, Trump s’est livré ce week-end à une véritable surenchère, en continuant de valider la stratégie de l’extrême droite israélienne, qui rêve d’annihiler les Palestinien·nes, de vider la bande de Gaza et d’annexer la Cisjordanie.

Après avoir révoqué au premier jour de sa mandature le décret Biden sanctionnant des colons israéliens, le président des États-Unis a proposé samedi 25 janvier de déplacer les Gazaoui·es vers l’Égypte et la Jordanie « temporairement » ou « à long terme » afin de « garantir la paix » et de « nettoyer » Gaza qu’il compare à « un site de démolition » après quinze mois de bombardements israéliens.

En droit international, cela s’appelle un « transfert forcé » de population, et c’est un crime reconnu par la Cour pénale internationale (CPI) dans son statut de Rome.

« On parle d’environ 1,5 million de personnes, et on fait tout simplement le ménage là-dedans. Vous savez, au fil des siècles, ce site a connu de nombreux conflits. Et je ne sais pas, quelque chose doit se passer », a précisé le chef d’État américain qui a également débloqué, ce week-end, une livraison de bombes de plus de 900 kilos à Israël, livraison suspendue par l’administration Biden.

En moins d’une semaine de présidence, Donald Trump a donné des ailes au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou (sous mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité) ainsi qu’à ses alliés suprémacistes qui ont une priorité, coûte que coûte : la colonisation des territoires palestiniens occupés pour bâtir un « Grand Israël » de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain.

Bezalel Smotrich, le ministre des finances israélien, indispensable avec son parti sioniste religieux à la survie politique de Nétanyahou et de sa fragile coalition, a salué l’« excellente idée » de chasser les Palestinien·nes de Gaza pour « les aider à trouver d’autres endroits où commencer une vie meilleure ».

Il s’est dit prêt à la mettre en œuvre « dès que possible ». « Pendant des années, a-t-il regretté, les politiciens ont proposé des solutions irréalisables comme la division des terres et la création d’un État palestinien, qui mettaient en danger l’existence et la sécurité du seul État juif au monde. »

« Nous marchons sur des décombres »

Le Hamas, qui administre la bande de Gaza, a aussitôt dénoncé cette proposition, promettant que les Palestiniens la « feraient échouer », « comme ils ont fait échouer tous les projets de déplacement […] pendant des décennies ». Le Jihad islamique a également condamné des propos encourageant « la perpétration continue de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ».

Tout comme l’Autorité palestinienne. Son président Mahmoud Abbas a fustigé « un franchissement des lignes rouges » et assuré que « le peuple palestinien ne renoncerait pas à sa terre et à ses lieux saints ».

« Nous ne permettrons pas que se répètent les catastrophes qui ont frappé notre peuple en 1948 et en 1967, […] notre peuple ne partira pas », a-t-il insisté, en remerciant l’Égypte et la Jordanie d’avoir fermement rejeté le plan de Donald Trump de déraciner le peuple palestinien. Ce que la Ligue arabe a aussi fait, brocardant une volonté « de nettoyage ethnique ».

Dans l’enclave anéantie, où la grande majorité des 2,4 millions d’habitant·es a été déplacée et où les journalistes étrangers sont toujours interdits d’accès par les autorités israéliennes, les habitants joints par Mediapart par téléphone promettent de ne jamais quitter leur terre.

Malgré « le manque de tout », de tentes, de places, d’eau, de nourriture, d’hygiène, la famille de Shaher Yousef Abu Odeh entend se réinstaller durablement. « Les gens montent des tentes avec des bouts de tissu, les bulldozers ont commencé à déblayer. Quiconque souhaite revenir à Beit Hanoun doit apporter de l’eau de la ville de Gaza car tous les puits ont été détruits », explique Shaher Yousef Abu Odeh qui a cependant déconseillé à son frère, réfugié à Khan Younès, de revenir à Beit Hanoun car la vie y est « très difficile ». Ce dernier ne l’a pas écouté.

Il était parmi les dizaines de milliers de Palestinien·nes qui ont été empêché·es dimanche 26 janvier, par Israël, de retourner dans le nord du territoire et bloqué·es près du corridor de Netzarim, qui coupe la bande de Gaza en deux, de la Méditerranée à la frontière israélienne.

Il s’agissait d’une mesure de rétorsion (levée lundi 27 janvier au matin), ordonnée par Benyamin Nétanyahou, pour sanctionner le Hamas qui n’avait alors pas fourni de liste des otages précisant les morts et les vivants et qui n’a pas procédé la veille à la libération jugée prioritaire par Israël de l’otage civile Arbel Yehoud (celle-ci devrait finalement avoir lieu jeudi 30 janvier).

Ramez Zuhair Rizk est lui aussi retourné chez lui, à Beit Lahia, dans le nord de Gaza, au premier jour du cessez-le-feu. « Je suis allé inspecter le reste de ma maison et le quartier où j’ai grandi et vécu, raconte le quadragénaire. Ce fut une journée très triste et difficile. Je n’ai pas reconnu le quartier où j’ai vécu pendant plus de trente ans. »

Il a commencé à restaurer sa maison détruite à 90 % mais, pour l’heure, c’est une gageure : « Cela va prendre beaucoup de temps, il faut se le dire, c’est inhabitable mais on essaie tous de réparer ne serait-ce qu’une pièce pour y vivre. » Il décrit « une vie impossible sans eau » : « Tout ce qui permettait la vie a été pulvérisé, les canalisations, les bâtiments, les rues. Nous marchons sur des décombres. »

Puis il se reprend : « Il n’y a pas d’alternative. Nous ne quitterons pas Gaza, nous trouverons des solutions pour reconstruire. » Il s’inquiète encore de la situation sanitaire : « Israël a anéanti les hôpitaux. Où allons-nous soigner nos familles ? » Le plus dur, poursuit-il, a été de convaincre ses enfants de revenir : « L’étendue des destructions est telle qu’ils n’arrivent pas à imaginer la vie, le futur. Ils veulent retourner à l’école, reprendre leurs études. »

J’aimerais pouvoir aller fouiller les gravats, retrouver des traces de notre vie passée, mon mariage, les naissances, mais il est impossible de la localiser tant tout est ravagé.
Mai Hikmat Adwan, mère de famille, à Rafah

Au sud de Gaza, les trois enfants de Mohammed Adel Hamdan sont dans la même expectative. La famille, originaire de Rafah, qui vivotait ces huit derniers mois dans le camp surpeuplé d’Al-Mawasi dans la ville de Khan Younès, est retournée chez elle dès que la trêve est entrée en vigueur.

« Nous avons marché car il n’y avait aucun moyen de transport, témoigne le père qui promet de ne jamais quitter Gaza. Nous avons dû attendre d’être autorisés par les forces d’occupation à entrer dans la zone où se trouve notre maison. C’était très humiliant. Elles ont tout dévasté. Je ne reconnais plus notre maison, je ne reconnais plus Rafah. Même les oiseaux ont disparu.  »

La première nuit, la famille est restée. La seconde, elle est repartie à Al-Mawasi. « Il fait beaucoup trop froid. La vie à Rafah n’est pas possible pour le moment. Il n’y a pas d’eau, pas de sécurité. C’est une ville fantôme, ouverte à tous les éléments, constituée de décombres et de rues devenues des tas de gravats dont on ne connaît plus les entrées et les sorties. On ne peut pas poser de tentes au milieu de cette dévastation. En tout cas, moi, je ne peux pas. D’autres le font, s’installent avec leurs enfants et je ne sais pas comment ils vont faire pour survivre car les conditions de vie sont si effrayantes et misérables. »

À Khan Younès, poursuit Mohammed Adel Hamdan, « il existe au moins des institutions qui [les] aident. La dureté de la vie est quelque peu atténuée ».

Comme lui, Mai Hikmat Adwan, 54 ans, déplacée avec les siens à de multiples reprises, a essayé de revivre à Rafah. Mais la ville, où s’entassaient dans des conditions inhumaines, avant l’offensive terrestre de l’armée israélienne en mai 2024, le plus grand nombre de Palestinien·nes déplacé·es de la bande de Gaza (1, 5 million de personnes), n’est plus que ruine, se désole la mère de famille, revenue dare-dare dans le camp d’Al-Mawasi.

« C’est impressionnant, dit-elle. Comme Beit Lahia, Jabaliya, Rafah a été réduite à néant pour que la vie n’y soit plus possible. Le pourcentage de maisons habitables est minime. La nôtre a été bombardée. J’aimerais pouvoir aller fouiller les gravats, retrouver des traces de notre vie passée, mon mariage, les naissances, mais il est impossible de la localiser tant tout est ravagé. Ceux qui posent des tentes sur des décombres s’installent sur les cadavres de nos morts, des enfants, des femmes, des hommes dont les corps n’ont jamais pu être extraits. J’en suis incapable. »

Mai Hikmat Adwan a tenté de s’installer dans le quartier d’Al-Jinina chez des proches : « Nous avons amené de l’eau, essayé d’aménager les lieux, mais la maison peut nous tomber dessus à tout moment, alors nous sommes retournés à nos tentes. Il n’y a aucun produit de première nécessité à Rafah, pas d’eau, pas d’électricité, pas de sentiment de sécurité, même avec le cessez-le-feu actuel. »

Le territoire est massivement contaminé par des armes non explosées, ou leurs restes, créant un danger permanent pour la population, pour des décennies.

En tant que mère, Mai Hikmat Adwan vit très mal de ne pas pouvoir subvenir aux besoins alimentaires de ses enfants en pleine croissance. « Trouver de la nourriture est un combat. Je n’ai pas réussi à obtenir tout ce qui est nécessaire à la construction de leur corps, à leur santé – les œufs, le lait, la farine, la viande, les légumes. »

Elle raconte que ses enfants ont supprimé certaines photos et vidéos de leur maison dans son téléphone. « Je n’arrêtais pas de les regarder et de pleurer », dit-elle. Elle est fière d’eux : « Ils ne quitteront jamais la Palestine. Le génocide nous a détruits physiquement, psychologiquement, socialement, mais il n’a pas détruit notre capacité à vivre sur notre terre. Nous sommes palestiniens. Nous naissons pour résister. »

Rachida El Azzouzi


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