Israël-Palestine - Vers une conférence à Paris

mardi 26 avril 2016

Fabius l’avait annoncé, Ayrault le confirme. La France entend promouvoir en cette année 2016 une initiative de paix pour le conflit israélo-palestinien. Dans la conviction que la solution à deux Etats a les jours comptés. Dans un entretien à quatre quotidiens (Wall Street Journal, d’Haaretz, d’Al Quds al Arabi et Libération, le chef de la diplomatie française a annoncé que la France va organiser le 30 mai à Paris une réunion ministérielle internationale pour tenter de relancer le processus.

Il a précisé que cette réunion serait ouverte par le président François Hollande et qu’elle rassemblerait une vingtaine de pays, plus l’UE et l’ONU, mais pas les Israéliens et les Palestiniens. M. Ayrault a précisé aux journalistes que cette réunion pourrait permettre de préparer, en cas de succès, un sommet international au deuxième semestre 2016, en présence cette fois des dirigeants israélien et palestinien. "Les parties sont plus éloignées que jamais", a admis Jean-Marc Ayrault, mais "il n’y a pas d’autre solution au conflit que l’établissement de deux États, israélien et palestinien, vivant côte à côte en paix et en sécurité avec Jérusalem pour capitale partagée". "On ne peut rester sans rien faire, il faut agir avant qu’il ne soit trop tard", a-t-il ajouté, précisant que les discussions de Paris repartiront "sur la base de l’initiative de paix arabe de 2002", qui avait été rejetée par les Israéliens.

Voici, en complément, le texte de l’intervention lundi dernier, à l’Onu, du représentant permanent de la France, M. François Delattre, lors d’un débat public sur le Proche-Orient, qui précise la pensée française sur le sujet.

[**Débat public sur le Moyen-Orient - Intervention de M. François Delattre, représentant permanent de la France auprès des Nations unies - Conseil de sécurité - 18 avril 2016*]

Un soldat israélien, dans le quartier Ras al-Amud, à Jérusalem-Est. Au fond, le dôme de la mosquée Al-Aqsa, le troisième lieu saint de l’islam. Octobre 2015. AHMAD GHARABLI / AFP


Monsieur le Président,

Je voudrais commencer en remerciant le Secrétaire général pour son intervention et son engagement.

Les accords d’Oslo signés en 1994 avaient, dans un grand moment d’espoir, fait de la création d’un Etat palestinien vivant côte à côte en paix et en sécurité avec Israël la clef de la résolution de ce conflit historique. Néanmoins, soyons lucides : plus de 20 ans après ces accords, la création d’un Etat palestinien n’a jamais semblé aussi éloignée :

la progression quotidienne de la colonisation israélienne morcelle le territoire palestinien pour le réduire à une portion congrue et remet en cause la viabilité d’un futur Etat ; la violence structure les rapports entre Israéliens et Palestiniens, que ce soit les actes de terrorisme, les attaques individuelles ou le poids de l’occupation. La vague de violence dont l’intensité persiste depuis 6 mois a conduit à des centaines de morts et des milliers de blessés ; l’éloignement des peuples palestiniens et israéliens est sans précédent. Il nourrit une radicalisation des opinions publiques qui ne semblent plus croire à la possibilité d’une coexistence pacifique de deux Etats. Cette dimension n’est pas la moins inquiétante.

Dans ce contexte, ne nous y trompons pas : le statu quo est un leurre. Le statu quo est mécaniquement une régression. Une régression de tous les jours, qui nous éloigne pas à pas de la possibilité de voir un jour émerger une solution à deux Etats. Nous devons regarder en face la dure réalité du terrain : si rien n’est fait, l’horizon fragile de la solution à deux Etats disparaîtra et le risque d’un embrasement généralisé se renforcera encore.

Face à ce constat implacable, le message que porte la France depuis plusieurs mois se résume à une phrase : l’impératif de recréer un horizon politique crédible pour sauver la solution à deux Etats. Car cette solution est la seule à même de répondre aux aspirations légitimes des Palestiniens à un Etat et des Israéliens à la sécurité. Ainsi qu’en atteste la persistance de ce conflit, nous savons qu’il n’existe pas de voie aisée. Néanmoins, le choix de repousser la question et de chercher tant bien que mal à « gérer », à contenir le conflit n’est pas celui de mon pays. La conviction de la France, c’est que nous devons prendre nos responsabilités pour agir, y compris le moment venu via le Conseil de sécurité. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, nous estimons que la mobilisation collective de la communauté internationale est aujourd’hui la seule voie possible pour avancer.

Sous l’impulsion du Président de la République et du ministre des Affaires étrangères, la France a donc décidé de lancer une initiative pour redonner un horizon politique crédible au processus de paix. Notre action se veut coopérative, inclusive et graduelle : coopérative tout d’abord. L’Envoyé spécial de la France, l’Ambassadeur Pierre Vimont, a conduit dans ce but des consultations larges et approfondies auprès des parties et des principaux acteurs régionaux et internationaux avant de formuler ses propositions ; inclusive ensuite. Notre initiative se veut complémentaire de l’action conduite par le Quartet, les Nations unies et les Etats-Unis. Face à la difficulté de la tâche, nous aurons en effet besoin de l’engagement commun de tous les acteurs pour réussir ; graduelle enfin. Compte tenu de l’éloignement des positions des parties, il serait illusoire de rechercher une relance immédiate des négociations. Notre objectif est donc en priorité de briser la spirale négative que nous constatons, de prendre les décisions nécessaires pour préserver la solution à deux Etats et de recréer sur cette base une dynamique politique positive.

Ainsi que l’a annoncé le Président de la République au Caire, la France se propose donc d’organiser à Paris début juin une réunion ministérielle qui rassemblerait notamment les membres du Quartet, les membres permanents du Conseil de sécurité, la Ligue arabe ainsi que d’autres acteurs régionaux et européens. Cette réunion aura trois objectifs : tout d’abord, je l’ai dit, réaffirmer le soutien de la communauté internationale à la solution des deux Etats et les grands principes de résolution du conflit. Nous nous appuierons sur le rapport que présentera le Quartet et qui fournira l’un des fondements de notre action ; deuxième objectif : rassembler les engagements concrets que pourra apporter la communauté internationale. Nous mettrons en place à cet effet des groupes de travail pour produire un paquet global d’incitations qui pourrait comprendre notamment un Partenariat spécial européen, la réaffirmation de l’Initiative arabe de paix ainsi que des garanties économiques et de sécurité ; troisième objectif : définir le calendrier, les objectifs précis et la méthode d’une conférence internationale que nous souhaitons organiser à l’automne. Celle-ci aura pour objectif de poser les bases d’une relance d’un processus de négociation crédible dans un cadre internationalement agréé.

Depuis l’adoption de la résolution 181 votée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1947, la solution à deux Etats a été la boussole collective de notre organisation. La France a conscience de la difficulté de la tâche s’agissant d’un conflit sur lequel tant de bonnes volontés ont échoué. Nous estimons pourtant qu’il est de notre responsabilité collective de ne pas renoncer, de ne jamais renoncer. Notre ambition n’est pas de prétendre pouvoir, seule, réussir là où d’autres ont buté. L’ambition de la France est d’être un trait d’union, de mettre à profit notre expérience et nos liens avec les parties et la région pour faire émerger une démarche consensuelle. C’est cette méthode exigeante qui nous parait la mieux à même d’avancer, d’avancer en terrain solide et de créer les conditions d’une négociation crédible.

Une date est enfin fixée. La première conférence internationale, proposée par la France pour relancer un processus politique entre Israéliens et Palestiniens, se tiendra à Paris lundi 30 mai. Elle rassemblera les ministres des affaires étrangères d’une vingtaine de pays, dont les membres du Quartet (Etats-Unis, Russie, Union européenne (UE), Organisation des Nations unies (ONU)), les principales nations de l’UE et les pays clés de la Ligue arabe. Cette conférence doit servir avant tout à s’accorder sur un calendrier et des objectifs généraux, avant la tenue d’une nouvelle réunion, décisive, entre chefs d’Etat et de gouvernement, d’ici à la fin de l’année. C’est seulement alors que Palestiniens et Israéliens seraient conviés à la table des discussions. L’initiative française vise à sortir du patronage traditionnel et infructueux des Etats-Unis dans les négociations bilatérales. Depuis le printemps 2014 et l’échec du secrétaire d’Etat, John Kerry, aucun processus politique n’a été relancé. Paris aimerait surmonter le pessimisme général et réunir toutes les bonnes volontés autour de ce conflit, même s’il est passé au second rang des priorités. D’ici au 30 mai, le Quartet devrait rendre un rapport dressant un constat sévère de la détérioration sur le terrain et dessiner des pistes pour la préservation d’une solution à deux Etats.

Obama attendu sur le dossier

L’’analyse de Piotr Smolar, (Correspondant du Monde à Jérusalem, vendredi 22 avril 2016)
L’annonce de la date du 30 mai a été faite par Haaretz, jeudi 21 avril. Le quotidien israélien a compromis la communication du Quai d’Orsay. Plusieurs quotidiens, français et étrangers, doivent publier vendredi un entretien avec Jean-Marc Ayrault, dans lequel le ministre des affaires étrangères annonce la première concrétisation de l’initiative française, en termes de calendrier. La conférence du 30 mai devrait être précédée d’un ou plusieurs jours par une réunion technique entre diplomates, pour s’accorder sur les termes du communiqué final. Auparavant, M. Ayrault pourrait effectuer une visite éclair en Israël et dans les territoires occupés. La date du 13 mai est examinée.

Pour l’heure, les Israéliens font preuve d’une grande réserve publique par rapport à l’initiative française. Ils estiment que son sort dépend des intentions de l’administration Obama, qui demeurent illisibles. Le président américain tentera-t-il, dans les derniers mois de son mandat, de s’activer une dernière fois sur ce dossier maudit ? La période avant le scrutin présidentiel de novembre est très défavorable. Mais les deux mois suivants, avant l’entrée en fonction de son successeur, peuvent lui offrir une liberté inédite.

[**les inquiétudes du président palestinien Mahmoud Abbas (Nicolas Ropert, RFI, vendredi 15 avril 2016)*]

Mahmoud Abbas est venu à Paris pour remercier la France de son initiative, assure Nasser Qudwa. Mais pour ce membre du comité central de l’OLP, les Palestiniens espèrent aussi avoir des détails sur l’organisation de cette conférence pour la paix : « Les leaders palestiniens et le peuple se félicitent des efforts français. C’est un pas nécessaire. Mais il faut bien avouer que certains aspects ne sont pas clairs. Mais je pense que les Français eux-mêmes sont encore en train d’y travailler en discutant avec les différentes parties. Nous espérons sincèrement que cette initiative sera une réussite. »

Dès son arrivée à la tête de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault a douché les espoirs palestiniens en annonçant que la reconnaissance de l’Etat de Palestine ne sera pas automatique en cas d’échec des discussions. C’était pourtant une bonne idée, regrette Mahdi Abdul Hadi, le directeur du centre de recherche palestinien Passia.

« On s’inquiète de savoir si cette initiative sera un coup d’épée dans l’eau ou une véritable avancée, explique-t-il. Ce n’est plus une question de paix. Aujourd’hui, il s’agit de savoir comment avoir une coalition pour mettre fin à l’occupation. Comment les Palestiniens peuvent supporter encore les atrocités commises par Israël ? Notre frustration ne se porte pas sur cette initiative, mais sur ce qui se passe sur le terrain ! »


[**le communiqué du bureau National de l’AFPS*]

Initiative sérieuse ou poudre aux yeux ?
En annonçant son initiative pour une conférence internationale sur la question israélo-palestinienne, la France a pris acte de l’échec du processus initié à Oslo en 1993 et des diverses tentatives pour le ranimer. Chacun constate en effet que la seule chose qui s’est ancrée sur le terrain c’est l’occupation et la colonisation poussée toujours plus avant. Cela en violation du droit international et des Conventions de Genève, avec pour conséquence l’absence de tout horizon politique pour les Palestiniens, le désespoir qu’il engendre et le chaos pour perspective.

C’est à cette situation que la France dit vouloir répondre et l’annonce de son initiative a été saluée par diverses personnalités, anciens ministres ou diplomates dignes de respect constatant que « les principes qui ont guidé les tentatives de négociations entre Israël et les Palestiniens au cours de toutes ces années - le face à face des deux parties sous le regard de Washington - ont fait la preuve de leur faillite ».

Rappeler les principes comme veut le faire la France est nécessaire. Encore faut-il ne pas se payer de mots avec des discours ambigus ou contradictoires. C’est bien malheureusement la configuration dans laquelle nous sommes ces derniers mois. En témoignent les propos du Premier ministre appelant à la répression de l’appel au boycott et confondant délibérément antisionisme et antisémitisme, l’abstention peu glorieuse de la France au Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur l’établissement d’une liste noire des entreprises participant à la colonisation ou encore les propos de Jean-Marc Ayrault en retrait par rapport à son prédécesseur quant à la reconnaissance de l’Etat de Palestine.

La crédibilité de l’initiative française sera jugée à ses résultats. Elle ne peut souffrir de la moindre complaisance face à ceux qui ont fait de la violation du droit le principe de leur action politique. Au contraire, seule une politique de sanctions et de pression continue sur Israël peut amener cet État à respecter le droit international.

Le Conseil de sécurité vient de rappeler « sa vive préoccupation devant les tentatives répétées d’Israël de défier la volonté de la communauté internationale et de faire perdurer l’occupation et l’annexion du Golan syrien » et que, comme l’a établi la résolution 497, « la décision israélienne d’imposer ses lois, sa juridiction et son administration au Golan syrien occupé est nulle et non avenue et sans effet en droit international ».

La France, comme membre permanent, doit soutenir pleinement la résolution condamnant la colonisation qui est entre les mains du Conseil et marquer ainsi que le respect du droit est la condition même de la paix.
Communiqué de l’AFPS, jeudi 28 avril 2016