Israël-Palestine : handicaper est une politique coloniale
Nous comptons les Palestinien-nes assassiné-es par l’armée coloniale israélienne. Selon le journal médical The Lancet, « il n’est pas invraisemblable d’estimer à 186 000, voire plus, le nombre de morts imputables au conflit actuel » . Plus justement, il s’agirait de dire : au génocide actuel. Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens le dit : « La nature et l’ampleur écrasante de l’assaut israélien sur Gaza et les conditions de vie destructrices qu’il a causées révèlent une intention de détruire physiquement les Palestiniens en tant que groupe ». Benyamin Netanyahou nous prévenait, pour sa part, dès décembre 2023, affirmant la nécessité de « réduire la population de Gaza au niveau le plus bas possible » .
Tout ça, bien sûr, sans parler des blessés. C’est d’ordinaire ainsi que l’on dit. Pareille formule convenue, pourtant, ne convient en rien. Il importe de parler des blessés. Préciser leur nombre : bientôt près de 100 000. Et ajouter que nous contentant de réduire les blessés à ce vague nom, nous ne disons rien de ce qui les a blessés, de leurs blessures, de l’état et de l’évolution de ces blessures.
Parmi ces 100 000 Palestinien-nes blessé-es par des armes que les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la France et le Royaume-Uni continuent de fournir à Israël, nombreux sont ceux et celles qui ont perdu un œil, un bras, une main, une jambe. Ils sont désormais handicapés et rejoignent les quelque 440 000 Palestiniens handicapés (soit 21 % de la population) que comptait déjà Gaza, avant le 7 octobre, comme le rapporte Danila Zizi, directrice de Handicap Internationale pour la Palestine. « Plus d’une décennie de restrictions israéliennes a privé les personnes handicapées de Gaza de leur liberté de mouvement et souvent de l’accès aux appareils, à l’électricité et à la technologie dont elles ont besoin pour communiquer ou sortir de chez elles », rapportait Emina Cerimovic, chercheuse spécialisée en droits des personnes handicapées à HRW, en 2020.
Être colonisé accroît le risque de voir une partie de son corps meurtri par une balle, une bombe ou encore une mine et de devenir handicapés sur une terre de ruines, sans hôpitaux, ressources sanitaires ni abris sûrs. Telle est l’histoire de Fadi Aldeeb qui a perdu l’usage de ses jambes en 2001, à Gaza, après avoir été victime du tir d’un sniper israélien et qui, en 2024, a participé aux Jeux paralympiques de Paris, dans la catégorie du lancer de poids.
Être colonisé et handicapé accroît le risque d’être exposé à une mise à mort. Ainsi en a-t-il été de Muhammed Bhar, un jeune gazaoui souffrant de trisomie 21 qui a été attaqué chez lui par un chien de l’armée israélienne et qui, « abandonné dans une pièce de la maison », est décédé de ses blessures, « les soldats [ayant] empêché sa mère et ses frères de lui porter assistance ».
Les Forces de Défense Israéliennes tirent pour tuer. Elles tirent aussi pour blesser et handicaper massivement le peuple de Palestine, accroissant toujours plus sa vulnérabilité. S’exerce là ce que Jasbir K. Puar, chercheur en études de genre à Rutgers University, a nommé « le droit de mutiler », soit la mise en œuvre d’une politique de production de handicaps corporels qui participe tant au fait de « ne pas laisser mourir qu’au fait de ne pas laisser vivre »1.
En ce sens, l’invalidation s’apparente à une technique d’État qui brouille la frontière entre la mort et la vie et permet audit État d’affirmer qu’il ne tue pas mais blesse seulement. Handicaper, pourtant, il ne faut pas s’y tromper est une politique coloniale et le handicap le stigmate du colonialisme à même le corps.
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SOURCE : L’HUMANITÉ