Iyad Alasttal, cinéaste gazaoui : « Israël a la volonté de nous tuer ou de nous faire partir »

dimanche 11 février 2024

Ce documentariste, qui est né et vit au sud de l’enclave palestinienne, témoigne dans Mediapart de ses conditions de survie et demande que des enquêtes indépendantes soient menées sur les modalités et les conséquences de l’offensive israélienne.

Iyad Alasttal est cinéaste. Il est né, et vit toujours, dans le sud de la bande de Gaza. Il est l’auteur de plusieurs documentaires remarqués : sur une conductrice de bus gazaouie ; sur une infirmière tuée par l’armée israélienne pendant la « marche du retour  » en 2018 alors qu’elle portait assistance à un blessé (Razan, une trace du papillon) ; ou sur une équipe de foot constituée de personnes handicapées, nombreuses à Gaza en raison des différents épisodes guerriers qui ont marqué le petit territoire (Gaza, balle au pied).

Conscient de l’importance des récits et des narrations dans toute lutte politique, il avait lancé en 2019 le projet «  Gaza Stories  » : des formats vidéo courts cherchant à montrer son lieu de vie « autrement  » que comme un lieu où l’on ne rencontrerait que des victimes ou des terroristes.

Ces vidéos hebdomadaires cherchaient à donner à voir Gaza « côté vie », sans oblitérer les souffrances vécues par ses habitant·es. C’est une même démarche qui anime le film "Yallah Gaza", signé Roland Nurier, auteur notamment du documentaire "Le Char et l’Olivier", qui sort sur les écrans français le 8 novembre prochain, et dont Iyad Alasttal a assuré le tournage des images réalisées dans la bande de Gaza où le réalisateur français n’a pas pu se rendre.

Mediapart  : Comment se sont déroulés le blackout et la nuit du 27 octobre pour vous qui êtes né et vivez à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza ?

Iyad Alasttal : C’est la nuit la plus dure que j’ai vécue, que je calcule depuis le début de ma vie ou depuis le déclenchement de cette guerre. Pour moi, comme pour tous les Gazaouis, c’était la panique totale. On ne savait rien de ce qui se passait et on s’attendait au pire. En cas de bombardement sur ma maison, je ne pouvais pas joindre les pompiers ou les services de secours.

J’ai pensé que c’était la fin, imaginé les pires des scénarios.

Je me suis demandé si l’armée israélienne n’allait pas avoir recours à l’arme nucléaire. J’habite à 40 kilomètres de Gaza City, mais les bombardements étaient tellement forts et nombreux que j’avais l’impression que tout se passait à la porte d’à côté. J’ai attendu toute la nuit que le soleil se lève pour sortir de ce cauchemar.

En êtes-vous sorti ?

Non, dans la mesure où nous sommes pris dans une guerre atroce, menée par Israël avec un blanc-seing de la communauté internationale. Je suis né à Gaza en 1987, j’ai connu la première Intifada, puis une série de guerres entre 2008 et 2021, mais je n’ai jamais vécu quelque chose qui s’approche de ce que je suis en train de vivre.

Franchement, c’est incomparable. Dans la famille Alasttal, je compte déjà 95 morts, et je ne sais pas où cela va s’arrêter.

Ce qui se passe ici, c’est un nettoyage ethnique, avec la volonté de nous tuer ou de nous faire partir. Cela relève d’un génocide. Toute la géographie de Gaza a déjà été entièrement modifiée, j’imagine que vous avez vu les images satellites qui le montrent. Il n’y a aucun endroit sûr où se protéger, ni aucun endroit où l’on pourrait fuir, que l’on se trouve au nord ou au sud de Gaza.

«  Ce qu’on appelle “aide humanitaire” représente à peine une goutte d’eau dans la mer Méditerranée.  »

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