La France veut bien accueillir des Palestiniens de Gaza, mais sans leurs enfants

samedi 6 janvier 2024

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Depuis le début de l’offensive israélienne, des familles ayant des liens avec la France et vivant dans la bande de Gaza demandent leur évacuation au Quai d’Orsay. Certaines l’obtiennent, mais doivent abandonner une partie de leur famille.

UneUne mère ou un père peuvent-ils accepter d’être évacués en laissant certains de leurs enfants, seuls, à Gaza ? La situation est difficilement concevable. Pourtant, c’est bien à ce crueldispositif que le ministère des affaires étrangères a confronté plusieurs Palestiniens.

Ainsi que le prévoit le dispositif mis en place depuis le début des bombardements, plusieurs familles de ressortissants français ou palestiniens travaillant pour l’Institut français de Gaza demandent leur évacuation. Le consulat général de Jérusalem dresse une liste des personnes devant rejoindre le territoire français, liste soumise également aux autorités israéliennes et égyptiennes.

Alors que le Quai d’Orsay vient de faire un communiqué pour annoncer l’accueil de deux enfants palestiniens blessés, le 28 décembre, il a en revanche refusé de répondre aux questions que nous lui avons posées sur les incohérences de la politique des évacuations et leurs conséquences.

Comme nous l’avions révélé, Ahmed Abu Shamla, agent du quai d’Orsay depuis plus de vingt ans, avait demandé à être rapatrié avec ses enfants, mais quatre de ses fils n’y avaient pas été autorisés par le Quai d’Orsay. Tandis que sa femme et ses autres enfants ont pu rejoindre la France en novembre, Ahmed a donc fait le choix de rester auprès de ses quatre fils et, malgré ses appels à l’aide, il n’a pu être évacué. Il est mort sous les bombardements, le 16 décembre.

Quinze jours après son décès et la publication de notre enquête, le 29 décembre, le Quai d’Orsay a annoncé, auprès de Mediapart, que ses fils viennent de quitter la bande de Gaza, finalement autorisés à rentrer en France. Une procédure tardive qui a coûté la vie à un agent.

Mais Ahmed n’est pas un cas isolé.

Amine, autorisé à partir mais sans sa fille ni son fils
Depuis le début du conflit, Amine*, 49 ans, demande à être rapatrié en France, où il a vécu avec sa famille pendant plus de dix ans. Trois de ses six enfants ont la nationalité française. Installé depuis 2012 dans le nord de Gaza, après la destruction de son quartier, il se réfugie avec sa famille dans une école à Jabalia. Dès le 13 octobre, il sollicite la cellule de crise du consulat général à Jérusalem, afin d’être évacué et en attendant de pouvoir recevoir les médicaments pour sa fille diabétique.

Deux semaines plus tard, les services consulaires l’informent que sa famille figure sur la liste des personnes autorisées à quitter Gaza. Du moins, une partie. Car ses deux plus jeunes enfants, âgés de 8 et 3 ans, son fils de 21 ans de nationalité française et sa fille aînée n’y figurent pas.

Pensant à une erreur, il renouvelle sa demande et transmet l’ensemble des documents attestant de l’identité et du lien de filiation de chacun des membres de sa famille. Le 17 novembre, il appelle à l’aide le consulat, une proche parente venant d’être tuée par un obus tombé sur l’école. Espérant être évacuée, toute la famille part alors vers le sud de la bande de Gaza. Quelques jours plus tard, le consulat acte bien le renouvellement de sa demande pour l’ensemble de sa famille, tout en précisant qu’il n’est pas maître de la décision des autorités israéliennes.

Sans plus de nouvelle, Amine adresse le 3 décembre un courrier à la ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna. « Je ne me vois pas abandonner dans ce conflit la moitié de mes enfants », explique-t-il à la ministre.

Lui qui a vécu « plus de dix ans » en France y détaille son parcours. Après un master à l’Institut national polytechnique et à l’université Pierre-Mendès-France à Grenoble ainsi qu’un doctorat, il a fondé une société qu’il a gérée de 2008 à 2012, avant de retourner s’installer à Gaza « pour exercer le métier d’enseignant-chercheur en management supérieur ».

Il rappelle à la ministre que les services consulaires français lui ont proposé de « laisser [s]es deux jeunes enfants mineurs dont un en bas âge » ainsi que son fils français de 21 ans et sa fille de 23 ans, qui tous deux « ont vécu plus de la moitié de leur vie en France ». À ce jour, il n’a toujours pas reçu de réponse.

Le 13 décembre, c’est au tour d’avocats ayant formé un collectif pour venir en aide aux familles françaises et palestiniennes éligibles aux évacuations de soutenir la demande d’Amine et de solliciter le Quai d’Orsay, dont la réponse est quasi-automatique : « Les services compétents ne manqueront pas d’apporter avec diligence toute l’attention requise à votre démarche. »

Le 22 décembre, plus de deux mois après sa première demande, Amine reçoit à nouveau la proposition des services consulaires : ils l’invitent à quitter Gaza. Cette fois, ses enfants mineurs y sont également autorisés mais ni sa fille de 23 ans ni son fils de 21 ans, qui a la nationalité française, n’y figurent. À la suite de cette terrible nouvelle, Amine a fait part de son désespoir auprès d’un ami. Il lui explique avoir demandé aux autorités françaises de « rapatrier [sa] fille à [sa] place ». « Je reste avec mon fils, ici à Gaza. »

Youssef part seul en France sans ses parents

Pour compléter votre lecture  : https://aurdip.org/la-france-veut-b...

Source  : AURDIP