Le dernier fabriquant de bateau à Gaza
Abdullah al-Najjar est le dernier fabriquant de bateau à Gaza.
Pleinement conscient qu’il pratique un commerce en voie de disparition, Abdullah, 61 ans, s’efforce néanmoins de le maintenir en vie en faisant honneur à la tradition. Il forme son fils Jamil, 25 ans, afin que son savoir-faire soit transmis à la génération suivante.
Abdullah lui-même a commencé à apprendre à fabriquer des bateaux lorsqu’il était jeune adolescent. C’est un oncle qui lui a enseigné.
« La fabrication de bateaux est quasiment inexistante à Gaza aujourd’hui », dit Abdullah. « C’est à cause des coûts élevés que cela implique, du fait que les matières premières sont rares et des restrictions imposées aux pêcheurs ».
Les traditions maritimes de Gaza ont des origines bien ancrées.
Dans l’Antiquité, un port grec connu sous le nom d’Antidon a été fondé à proximité de la ville de Gaza actuelle. Pêcher – en particulier du thon, des sardines, des crevettes et des calmars – a longtemps été une source de revenus essentielle pour les Palestiniens vivant le long de la côte.
Malgré le fait qu’elles ont survécu durant si longtemps, les traditions sont à présent menacées par les politiques israéliennes.
Les accords d’Oslo – signés entre Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine durant les années 1990 – ont donné l’autorisation aux pêcheurs de Gaza de travailler dans une zone qui s’étend sur 20 miles nautiques. En réalité, Israël n’a jamais autorisé les pêcheurs à s’aventurer au-delà de 15 miles de la côte.
Depuis le début de la seconde intifada en 2000, Israël a à plusieurs reprises réduit la taille de la zone. Cela a provoqué une forte diminution du nombre de pêcheurs gazaouis – d’environ 10 000 en 2000 à seulement 3500 en 2013.
Aujourd’hui, Gaza compte environ 3700 pêcheurs, dont seuls 2000 se rendent en mer quotidiennement.
Attaqués
La taille de la zone dans laquelle pêcher est permis a continué de fluctuer. Israël a apporté 20 modifications à sa démarcation rien qu’en 2019.
Plus tôt ce mois, l’armée israélienne a annoncé qu’elle avait une fois encore réduit la taille de la zone. Les pêcheurs ne sont pas autorisés à aller au-delà de 10 miles nautiques de la côte ; dans les zones au sud du port de Gaza, cette zone est de seulement 6 miles nautiques.
Israël a déclaré que cette réduction était imposée en raison des roquettes tirées et des ballons incendiaires lancés depuis Gaza. Cependant, Israël n’a avancé aucune preuve permettant de faire le lien entre les pêcheurs et de telles actions.
Les restrictions imposées aux pêcheurs constituent une punition collective, illégale en vertu du droit international.
Les pêcheurs ont également été attaqués à plusieurs reprises. Le groupe de surveillance des Nations-Unies OCHA a rapporté que sur une période de deux semaines en décembre, Israël a ouvert le feu sur des pêcheurs au large de la côte gazaouie au moins sept fois, coulant un bateau.
Abdullah al-Najjar (à gauche) a davantage travaillé à la réparation de bateaux qu’à la fabrication de nouveaux ces derniers temps (Abed Zagout/The Electronic Intifada)
Au cours de sa carrière, Abdullah al-Najjar a fabriqué environ 30 chalutiers. De tels navires font 17,5 mètres de long, 5,5 mètres de large et 2,5 mètres de haut.
Ils peuvent atteindre un prix de 70 000 $ chacun [environ 64 500 euros].
Le commerce d’Abdullah s’est presque effondré depuis le durcissement du blocus israélien sur Gaza en 2007. Il a fabriqué deux bateaux seulement durant les 13 dernières années ; l’un d’eux était destiné à ses propres fils.
« Les pêcheurs ont cessé d’acheter des nouveaux bateaux », dit-il. « Et ils ne peuvent réparer leurs vieux bateaux que lorsqu’ils reçoivent l’aide d’organisations caritatives ».
Malgré toutes ces difficultés, « j’ai tenu à enseigner à mon fils comment fabriquer des bateaux », ajoute Abdullah.
Jamil al-Najjar (au volant du tracteur) n’a fabriqué qu’un seul bateau pour le moment. (Abed ZagoutThe Electronic Intifada)
Il a choisi Jamil parmi ses 13 enfants comme héritier de son savoir-faire.
« Jamil est très talentueux », dit Abdullah. « Il me fait penser à moi quand j’étais jeune ».
« J’ai besoin d’expérience », dit Jamil. « Pour l’instant, je n’ai pu faire qu’un bateau avec mon père. J’ai besoin de plus de pratique ».
« Un cimetière des bateaux »
Le renforcement du siège de Gaza par Israël - qui en est maintenant à sa 14e année - a placé des obstacles majeurs sur leur chemin.
Israël a empêché un grand nombre de marchandises d’entrer à Gaza. En conséquence, les composants et le matériel essentiels aux navires de pêche - tels que les filets, la fibre de verre, les moteurs électriques et les câbles d’acier - sont difficiles à obtenir.
Les pénuries de matériaux et la situation économique généralement désastreuse de Gaza ont également empêché les pêcheurs gazaouis d’effectuer des réparations indispensables sur leurs bateaux.
Zakaria Baker de l’Union des comités du travail agricole [Union of Agricultural Work Committees – UAWC] – qui représente à la fois les agriculteurs et les pêcheurs à Gaza – estime qu’il y a 300 bateaux qui ne seront pas en état de naviguer jusqu’à ce qu’ils soient réparés.
« Nous les gardons dans un endroit que nous appelons le ‘cimetière des bateaux’ », dit Baker.
Israël a fréquemment confisqué les bateaux des pêcheurs gazaouis. En 2016, le chalutier d’Abdulmuti al-Habil a été attaqué et saisi par la marine israélienne. Après un procès devant la haute cour d’Israël, son bateau lui a finalement été rendu l’année dernière.
Il est allé le récupérer à Kerem Shalom, un checkpoint militaire entre Israël et Gaza.
La cour a également ordonné la remise de 65 bateaux qui avaient été saisis à d’autres pêcheurs. Ils ont été retournés mais souvent sans moteurs et sans l’équipement qui était à bord au moment où ils ont été confisqués.
« J’ai sauté de joie lorsqu’ils m’ont annoncé que mon bateau allait être rendu », dit al-Habil, qui dirige al-Tawfiq, une coopérative de pêche. « Mais mon bonheur n’a pas duré. J’étais choqué lorsque j’ai vu mon bateau. Il était presque détruit ».
Israël avait considérablement endommagé le bateau avec ses tirs.
Al-Habil a contacté Abdullah al-Najjar, qui a examiné le bateau. Il a calculé que le réparer coûterait 50 000 $ [environ 46000 euros].
Al-Habil a accepté ce prix et a reçu le bateau réparé deux mois plus tard. Nabil et Abdullah ont tous deux travaillé à sa réparation.
Les chalutiers ne sont pas les seuls navires de pêche utilisés à Gaza. De nombreux pêcheurs partent en mer dans un petit bateau appelé hassaka.
Gaza dispose de trois ateliers pour fabriquer ces bateaux, mais aucun ne fonctionne à l’heure actuelle.
Les pénuries de matériaux – en particulier la fibre de verre – a rendu le coût de production et, par conséquent, le prix au détail plus élevé. Les pêcheurs auraient besoin de 8 500 $ [environ 7800 euros] pour acheter un nouveau hassaka à Gaza, un prix que la plupart d’entre eux ne peuvent se permettre.
« La demande de hassaka est très faible », remarque Mufeed Jarbou, qui a fabriqué ces bateaux durant les trois dernières décennies. « Au cours des quatre dernières années, nous avons quasiment arrêté d’en produire ».