Les femmes confrontées à la violence de l’occupation

lundi 17 mai 2021

Extrait de PALSOL, publication trimestrielle de l’AFPS (Avril 2021)

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Najet, réfugiée de 1948 habite le camp de Jénine avec sa famille. Elle enseigne la biologie dans une école du village de Kofr kud, près de Burqin à 7km. Comme bénévole, elle est une des responsables du Centre des femmes du camp. Elle nous parle du Centre, de la vie des hommes et des femmes réfugiées.

Tout d’abord, peux-tu nous parler du Centre des femmes ?

N. : Le Centre a été créé en 1999 par un groupe de femmes qui se réunissait dans une maison privée. L’objectif était de renforcer la capacité de la femme palestinienne réfugiée. Dans chaque camp il y a un Comité populaire, un Centre de femmes, un Centre pour les handicapés et un Centre sportif et culturel, c’est la base. Plus tard, le Centre s’est installé dans un local de l’UNRWA. Bombardé en 2002 pendant l’attaque par l’armée israélienne, le local a été reconstruit par le Croissant Rouge des Émirats.

Actuellement, dans un bâtiment de 3 étages, on propose aux femmes des formations en broderie, couture, sculpture et coiffure. Les femmes qui sont passées par cette formation peuvent ensuite mettre en place un petit atelier chez elles. Des ateliers sont également organisés pour le soutien psychologique de la femme, l’éducation des enfants et le droit des femmes avec des avocats. Une trentaine d’enfants en difficulté psychologique sont accueillis pendant le temps périscolaire et chaque année, un camp d’été est organisé. Ces activités sont soutenues par l’AFPS.

La femme palestinienne est directement confrontée à la violence de l’occupation.

N. : Oui c’est sûr quand les soldats entrent dans le camp ou dans les villages, comme ça se passe chaque semaine, la femme palestinienne subit une grande pression. Si par exemple le mari ou ses enfants sont en prison, elle devient la seule responsable de la famille.

Les femmes ont une responsabilité particulière car c’est sur elles que repose, souvent seules, l’éducation des enfants, l’entretien de la maison et la recherche de ressources financières. Avec les années, la femme ou la mère devient plus forte. En effet, emprisonnés, blessés et handicapés, au chômage ou travaillant en Israël, beaucoup d’hommes sont absents. Par ailleurs, après l’attaque de 2002, les hommes de moins de 20 ou 30 ans célibataires sont « punis » par Israël qui leur refuse un permis de travail dans le territoire de 48 tout proche. Quelques femmes peuvent trouver du travail, avec ou sans permis, dans les régions du 48, mais moins qu’avant. À la différence des villages alentour ou même de la ville de Jénine, nous n’avons pas dans le camp de terrain pour aménager un potager ou une basse-cour : comment avoir un minimum de revenu ? Certaines femmes arrivent à s’embaucher dans le maraîchage, d’autres vont développer des petites productions artisanales (broderies, savons) ou encore un salon de coiffure à domicile, valorisant ainsi les formations reçues au Centre.

Constates-tu des différences entre les habitants du camp et les autres Palestiniens ?

N. : Il y a quelques années, il y avait une petite discrimination entre les gens du camp et ceux de la ville ou des villages, mais elle est en train de se réduire car il y a plus de brassage de population. Le camp est adossé à la ville et il n’y a pas de frontière : les habitants du camp font parfois leurs courses en ville et les habitants de la ville viennent au centre pour handicapés ou consulter un médecin dans le camp. On dénombre 18000 réfugiés dans le camp, mais il y a au total 35000à 40000réfugiés dans le gouvernorat. Les femmes du village se marient avec des hommes du camp et inversement.

Que peux-tu dire de l’éducation des jeunes dans le camp ?

N. : L’éducation est assurée par l’UNRWA jusqu’à la 9e année (14-15 ans) mais les moyens sont insuffisants et les classes trop chargées. Pour le lycée, il faut aller en ville et pour l’université c’est Naplouse ou l’université américaine de Jénine qui est très prisée, mais très chère. Par exemple les Palestiniens du 48 viennent faire leurs études à l’Université américaine de Jénine alors que la plupart de nos enfants ne peuvent y aller faute de moyens financiers suffisants. Les filles réussissent très bien leur scolarité, souvent mieux que les garçons mais leur accès à l’Université est plus difficile parce que les familles qui ont plusieurs enfants vont donner la priorité aux garçons. Les familles sont souvent nombreuses et il est difficile de payer des études à plusieurs enfants. Par exemple, j’ai une amie qui a dû vendre une partie de ses terres dans le village pour payer les études de ses enfants, mais nous, on n’a pas cette possibilité. Quand on a un bout de terre c’est une sécurité. Comme les études techniques, scientifiques ou médicales coûtent plus cher, on va réserver ces filières aux garçons et orienter les filles vers les formations littéraires ou le droit, dont les débouchés sont moindres. Mais dans tous les cas les réfugié(e)s diplômé(e)s ont plus de mal à trouver un travail c’est une forme de discrimination : pourquoi nos enfants ne peuvent-il trouver du travail après 4 ans d’études ? Ils ne bénéficient pas des réseaux, voire du « piston » que les autres peuvent faire jouer. Avec le Comité populaire, nous avions le projet de recenser tous les jeunes diplômés du camp et rechercher des employeurs à qui proposer nos compétences multiples. Nous voulions profiter de l’autorité du Comité populaire pour recommander ces jeunes aux employeurs. Nous voulions aussi les aider à obtenir des bourses. Mais c’était à la fin de notre mandat ; l’équipe du Comité a changé et ce projet n’a pas abouti.

Tu étais donc élue au Comité populaire, y a-t-il toujours des femmes dans cette institution ?

N. : J’ai été élue au Comité populaire pendant deux ans, nous étions deux femmes sur 15 membres. La liste à laquelle j’appartenais n’a pas été réélue. Aujourd’hui il y a toujours deux femmes, mais ce n’est pas suffisant. Avec plusieurs associations, nous avons fait des ateliers de discussion pour augmenter le nombre de femmes dans le Comité : il y a beaucoup de femmes investies dans des associations qui auraient tout à fait la capacité de siéger au Comité. Nous revendiquons aussi un fonctionnement plus démocratique des élections au Comité. Actuellement, tout le monde dans le camp ne peut pas voter : le collège électoral, composé de 400 à 500 personnes regroupe les principaux responsables des organisations associatives ou politiques du camp. Nous voulons que tous les habitants du camp puissent voter, il y a beaucoup de demandes en ce sens. Mais les règles sont établies par le Département des réfugiés de l’OLP, surtout des hommes et ça n’avance pas, c’est difficile de les faire bouger. D’autre part, le poids des grandes familles du camp est très fort. Ce n’est pas forcément qu’elles défendent leurs intérêts, mais elles tiennent à leur représentation, source de prestige. Nous voudrions faire entrer des représentant.e.s de la jeunesse éduquée et plus de femmes qui portent leurs problèmes.

Les élections des députés se préparent pour le début de l’été et il y aura plusieurs listes. Les candidats commencent à faire le tour des associations et ils viennent au Centre présenter leur programme. Cela veut dire qu’ils savent que les femmes réfugiées représentent une force avec laquelle il faut compter.

La tradition est-elle un obstacle à la liberté des femmes ?

N. : Même si le poids des traditions existe encore, les choses sont en train de changer. Il reste des familles traditionnelles qui se réfugient derrière une certaine interprétation de l’Islam pour imposer aux filles de ne pas sortir seules, refuser la mixité ou diminuer le droit à héritage des femmes. En principe, au niveau de l’héritage, les femmes ont les mêmes droits que leurs frères, mais s’il y a de la terre, certaines familles refuseront de faire bénéficier leur fille de la terre. Pourtant l’Islam ne dit pas ça. Mais je vois quand même maintenant que les femmes prennent beaucoup de responsabilités dans les associations.

Sur la mixité, le collège de l’UNRWA est devenu mixte à cause du nombre de classes qui a été réduit faute de moyens et cela n’a pas plu à toutes les familles. Un autre exemple, c’est dans l’école ou j’enseigne depuis 2000, un petit village de 1000 habitants qui avait 80 élèves et donc une seule école mixte jusqu’au bac. Quand on a dû agrandir pour faire face à l’augmentation des élèves, ils ont créé deux écoles séparées, filles et garçons.
Dans le Centre des femmes, les activités sont mixtes, y compris avec des jeunes de 16 à 25 ans. Le travail réalisé avec Joss Dray pour préparer une exposition a permis à des groupes de garçons et de filles de faire des photos dans le camp et de s’exprimer librement. Au début, j’avais peur que les gens du camp n’acceptent pas ce genre de projet, mais finalement, ça s’est très bien passé. Cela fait évoluer les habitudes et les mentalités car notre Centre est reconnu et accepté par la population depuis que nous avons distribué des kits sanitaires, des masques fabriqués au Centre ou des colis alimentaires : nous avons acquis la confiance des gens. Il en est de même du Théâtre de la Liberté qui n’était pas toujours bien accepté dans le passé. Ce sont les traditions qui empêchent les gens de penser.

Mais il reste du chemin à faire, les crimes d’honneur qui visent les femmes existent toujours, J’ai vu deux cas dans le camp et il y a beaucoup de cas en Palestine, notamment autour d’Hébron. Les tribunaux de l’Autorité n’interviennent pas toujours et parfois, l’assassin est libéré après quelques jours laissant les familles concernées régler le problème avec des milliers de dinars « autour d’un café ».

On fait des ateliers sur les questions de violences : les femmes parlent de leur situation et parfois nous demandent d’intervenir pour parler avec la famille. La violence est un sujet très important chez nous très lié à la pauvreté, au chômage, au désœuvrement et à la promiscuité. La situation économique, le manque d’argent ça rend les gens plus violents et le Covid rend la vie plus difficile. Ce sont surtout les femmes et les enfants qui en font les frais.

Et la santé ?

N. : Au niveau de la santé on a un gros problème encore aggravé par le Covid. Le dispensaire de l’UNRWA est insuffisant et ses services ont diminué, tu ne trouves pas les médicaments, les soins pour les femmes enceintes qui doivent aller à l’hôpital gouvernemental qui ne suffit pas non plus. Pour aller à l’hôpital gouvernemental, si les médicaments ne manquent pas ce qui est souvent le cas, nous devons les payer. Et l’assurance santé ne concerne que les fonctionnaires ou les familles qui cotisent volontairement chaque année : tout le monde n’en a pas. Même avec l’assurance, il faut payer une partie des soins.

Concernant le suivi des femmes au cours de la grossesse, il y avait eu un projet avec un département français pour embaucher un gynécologue mais ce projet est terminé. Aujourd’hui c’est un médecin de Naplouse qui vient chaque mardi, mais c’est bien insuffisant pour les soins dont les femmes auraient besoin. Le Covid met en évidence ce manque. Les malades ne peuvent recevoir les soins à l’hôpital de Jénine qui est débordé et transfère des malades à Naplouse. Mais il y a beaucoup de malades qui restent chez eux et il est impossible de se confiner dans des logements exigus. Le malheur, ce sont des quartiers entiers qui sont touchés. Quant aux vaccins, ils manquent cruellement, Israël refusant de vacciner les Palestiniens de Cisjordanie et Gaza. Seuls quelques travailleurs qui ont un permis de travail en 48 ont été vaccinés par Israël.

En résumé, je peux dire que nous voulons améliorer la situation des réfugiés, mais en attendant notre retour. En effet, les anciens mourront, mais les jeunes n’oublieront pas malgré les problèmes qu’ils vivent. Nous savons que ces problèmes sont liés à l’occupation. C’est pour ça qu’ensemble, il faut faire pression sur l’État d’Israël pour que cesse cette occupation qui nous opprime et que nous revenions chez nous.

Propos recueillis par Pierre Leparoux, membre du GT réfugiés