Pour en finir avec la domination d’Abbas sur la justice palestinienne
Le contrôle exercé par le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, sur les systèmes politique et judiciaire palestiniens est un sujet de discussion quotidien en Palestine.
Par Dana Farraj
Des milliers d’enseignants palestiniens marchent vers les bureaux du gouvernement de l’Autorité palestinienne pour manifester contre les bas salaires - Ramallah, Cisjordanie, le 7 mars 2016 - Photo : Oren Ziv / Activestills.org
Et les critiques sur son autoritarisme grandissant se multiplient depuis son décret no. 17 du 28 octobre 2022, ordonnant la création du Conseil suprême des instances et autorités judiciaires (CSAUJ) dont il se réserve la présidence. Mais le décret n°17 a de nombreux précédents ; depuis 2007, Abbas a publié quelque 400 décrets pour consolider son autorité sur le pouvoir judiciaire.
En augmentant toujours la domination de l’exécutif sur le système judiciaire, les décrets d’Abbas contribuent à le protéger, lui et l’élite dirigeante, de la nécessité de rendre des comptes. Certes, le pouvoir d’Abbas se limite à la Cisjordanie. Suite à la division politique palestinienne de 2006 entre le Fatah et le Hamas, Abbas a perdu le contrôle de Gaza, et en 2007, le Haut Conseil Judiciaire (HJC) a été divisé entre les deux territoires occupés.
Cet article se penche sur la manière dont Abbas a réussi à resserrer son emprise sur le système judiciaire palestinien en Cisjordanie, et sur les ramifications de ces actions sur la société civile palestinienne, y compris le secteur à but non lucratif, les syndicats et les mouvements sociaux. Il se termine par des suggestions sur les moyens de faire face au régime autoritaire d’Abbas et de changer le statu quo.
Le pouvoir judiciaire dans le droit palestinien
L’autonomie du pouvoir judiciaire est indispensable pour assurer la solidité d’un système politique, et elle est explicitement inscrite dans le droit palestinien. Les articles 97 et 98 de la loi fondamentale palestinienne stipulent que l’autorité judiciaire « est indépendante et est exercée par les tribunaux » et que « les juges sont indépendants et ne sont soumis à aucune autorité autre que celle de la loi ».
Les articles stipulent également qu’aucune autre autorité ne peut s’immiscer dans le pouvoir judiciaire ou dans les affaires judiciaires, et que “la nomination, le transfert, le détachement, la délégation, la promotion et la remise en question” des juges doivent se dérouler conformément à la loi sur le pouvoir judiciaire (JAL). De même, les articles 1 et 2 de la JAL no. 1 de 2002 réaffirment l’indépendance du pouvoir judiciaire et de ses juges.
Malgré ces lois, Abbas a réussi à priver le pouvoir judiciaire de son indépendance. Dans ce contexte autoritaire, les juges servent de bras armés à l’autorité exécutive et sont nommés et révoqués selon le bon vouloir d’Abbas.
Abbas et l’élite dirigeante du Fatah s’immiscent dans les affaires du pouvoir judiciaire en Cisjordanie depuis le début de la division politique palestinienne en 2006.
Cette ingérence s’est manifestée par des faits marquants, notamment la nomination de juges et de procureurs choisis pour leur fiabilité et leur loyauté politique ; l’ingérence directe dans la nomination, la révocation et la démission forcée des présidents des hautes Cours de justice ; le contrôle renforcé de la Cour suprême et des budgets du pouvoir judiciaire ; la non-application des décisions judiciaires ; et les perpétuelles tentatives d’amender la loi sur le pouvoir judiciaire (JAL).
Ces politiques, ainsi que d’autres, ont contribué à renforcer le contrôle de l’autorité exécutive sur le pouvoir judiciaire en Cisjordanie.
Une suite de manœuvres calculées
Il est important de comprendre les mesures juridiques calculées par Abbas pour assurer son autorité sur le système judiciaire, et les différentes façons dont les Palestiniens se sont opposés à ses décrets, afin de faire face à son autoritarisme croissant.
En 2016, Abbas a créé la Cour suprême constitutionnelle et y a nommé des juges issus en grande majorité du Fatah.
Par conséquent, toutes les décisions prises par la Cour servent sans équivoque Abbas et l’élite politique. Un exemple concret est l’arrêt interprétatif no. 10 du 12 décembre 2018, qui dissout le Conseil législatif palestinien (CLP) et demande au président d’organiser de nouvelles élections dans un délai de six mois, ce qu’il n’a pas fait.
Les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme et de la société civile se sont opposées à la décision de 2018, condamnant l’appel à dissoudre le Conseil législatif palestinien (CLP).
Selon ces organisations, cet appel viole la constitution ainsi que la loi fondamentale qui stipule que le CLP ne peut pas être dissous, même en cas d’état d’urgence. Elles ont également affirmé que cette décision constituait un dangereux précédent qui permettrait de dissoudre d’autres conseils législatifs élus.
Un an auparavant, M. Abbas avait proposé un projet de décret visant à modifier la loi sur le pouvoir judiciaire (JAL), ce qui avait suscité une large opposition. Du coup, Abbas a publié un décret pour créer le Comité de développement du secteur de la justice, que les opposants ont également condamné pour des raisons de corruption et de népotisme.
Le Comité a d’ailleurs recommandé à M. Abbas de proposer des lois visant à restaurer l’autonomie du pouvoir judiciaire ; M. Abbas a toutefois ignoré les recommandations du comité, et le projet de décret modifié sur la loi sur le pouvoir judiciaire (JAL) a été publié en 2018.
Les opposants ont condamné le décret de 2018 pour avoir donné au président le pouvoir de nommer et de révoquer le président de la Cour suprême sans la recommandation du Conseil supérieur de la magistrature, en violation de la loi fondamentale. Ils ont également fait valoir qu’en donnant à l’autorité exécutive le contrôle absolu du pouvoir judiciaire, le décret susciterait des conflits entre les trois principales branches du secteur de la justice, à savoir le Conseil judiciaire, le ministère de la Justice et le procureur général.
Malgré tout, M. Abbas a publié trois autres décrets le 30 décembre 2020 qui confèrent au président de l’Autorité palestinienne des pouvoirs étendus sur le système judiciaire, notamment le pouvoir de nommer les présidents, les vice-présidents et les juges de la Cour administrative et de la Cour administrative suprême, ainsi que le pouvoir de nommer les présidents de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la magistrature, et d’accepter leur démission.
Ces décrets dotent également le président de l’Autorité palestinienne et le Conseil supérieur de la magistrature de plusieurs outils d’intimidation des juges, tels que la mise à la retraite anticipée forcée et le détachement arbitraire.
Les amendements proposés comprennent en outre la formation d’un tribunal électoral par la Haute cour de Justice (HJC) – dont le chef est nommé par le président de l’Autorité palestinienne – pour statuer sur les affaires relatives à la Commission électorale centrale.
L’Association des juristes de Palestine (AJP) a publié une déclaration condamnant les trois décrets pour atteinte au pouvoir judiciaire et a demandé à Abbas de les annuler.
D’autres organismes ont également publié des déclarations les rejetant, notamment la Coalition civile pour la réforme et la protection du pouvoir judiciaire, la Commission indépendante des droits de l’homme et Al Haq.
Non seulement Abbas n’a pas annulé les décrets, mais il en a publié de nouveaux qui posent tout autant problème. En mars 2022, il a promulgué des décrets modifiant un certain nombre de procédures légales, notamment le code de procédure pénale, le code de procédure civile et commerciale, la loi sur les preuves et la loi sur l’exécution des peines.
Après une lutte ardue, l’association du barreau palestinien a réussi à annuler ces nouveaux décrets. Selon l’association du barreau et le Conseil des organisations des droits de l’homme, les décrets contenaient des violations flagrantes des normes d’équité des procès, sapaient le contrôle judiciaire de la légalité des arrestations, portaient atteinte au droit de la défense, violaient le droit à l’égalité d’accès aux tribunaux et ouvraient la voie à une gestion arbitraire des affaires par les juges.
Le contexte du décret n° 17
C’est ainsi que le décret n°17 d’Abbas d’octobre 2022, appelant à l’établissement du Conseil suprême des instances et autorités judiciaires (CSAUJ) avec lui à sa tête, s’inscrit dans une trajectoire de mesures juridiques qui ont renforcé sa domination sur le système judiciaire et violé la constitution, .......