Une terre et 5.102.809 enfants

dimanche 10 décembre 2017

On estime que 5.102.809 enfants de moins de 18 ans vivent entre la rive de la Méditerranée et le Jourdain. Cette estimation a été publiée à l’occasion de la “Journée Internationale de l’Enfance”. Mais elle n’a pas été émise comme une statistique unique, car il s’agit ici d’un pays avec deux “bureau central des statistiques”, pour deux peuples, et toutes sortes d’incohérences démographiques et territoriales.

Commençons par la simple répartition. Selon le Bureau central des statistiques israélien, environ 2.852.000 enfants de 17 ans ou moins vivent en Israël. J’ai lu une histoire à l’un d’entre eux, Maayan, de Jérusalem, âgée de six ans, la semaine dernière. Elle posa son coude sur mon genou et me cita parfois des phrases entières de mémoire avant que j’aie eu le temps de les lire.

Selon le Bureau central palestinien des statistiques, on estime à 2.250.809 le nombre d’enfants palestiniens âgés de moins de 18 ans vivant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. L’un d’eux est Kawthar, 7 ans, de Hébron. La semaine dernière, elle a posé son coude sur mon épaule gauche et a observé mes doigts avec beaucoup d’intérêt pendant qu’ils tapaient sur un clavier pour retranscrire la conversation avec l’ami de son père.

Mais avons-nous dit “simple” ?

Israël, selon son Bureau Central des Statistiques, englobe les colonies de Judée et de Samarie, des avant-postes extraterritoriaux de l’État.

La Cisjordanie, selon l’Office des statistiques palestinien, comprend Jérusalem-Est, dont la population palesti­nienne est également incluse dans les statistiques du bureau israélien. Les enfants palestiniens à Jérusalem sont les plus pauvres d’Israël, mais ils sont comptés deux fois. Vous devez donc soustraire des dizaines de milliers d’enfants du chiffre total. Maayan est rentré du jardin d’enfants l’année dernière et a répété quelque chose sur les “mauvais Arabes”. Kawthar sait que son quartier est presque vide parce que les voisins juifs vivant dans les colonies se sont fait une spécialité de menacer les Arabes pour les chasser.

Les enfants représentent 45,6% de la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza, a indiqué le bureau palestinien lors de l’annonce de la “Journée de l’enfance”. Près de la moitié des habitants de Gaza sont âgés de 17 ans ou moins – 49,3%, contre 43% en Cisjordanie, qui compte 1.293.421 enfants sur 5.860 km². Quelque 957.388 enfants vivent sur les 365 kilomètres carrés de la Bande de Gaza. En d’autres termes, 42% des enfants palestiniens vivent sur 6% de la terre calculée comme palestinienne.

L’ensemble de données publiées par Israël montre que 32% de la population juive d’Israël – 2.042.000 – sont des enfants. Environ 40% de la population arabe israélienne, soit 722.000, sont des enfants. Les autres sont des chrétiens non-arabes, note méticuleusement le Bureau des statistiques israélien. Le pourcentage d’enfants faisant partie de la population juive a augmenté de 30% entre 2005 et 2010. La proportion d’enfants parmi la population palestinienne a chuté de 47% en 2005 à 44% en 2010. Le district de Judée-Samarie est le grand gagnant dans la répartition israélienne – 191.600 enfants représentent 48% de la population des colons.

Mais ne vous réjouissez pas trop vite. La seule population féminine palestinienne de 4 ans et moins en Cisjordanie compte 198.623 individus.

Les enfants palestiniens de la Cisjordanie âgés de 10 à 17 ans qui travaillent (qu’ils gagnent ou non un salaire) sont 5,3%, soit 28.000 enfants. Le taux est plus bas dans la bande de Gaza, où le chômage est endémique : 1,9%. Les enfants gagnent en moyenne 56 shekels (13,5 €) par jour. La moyenne hebdomadaire de travail est de 44 heures.
JPEG - 86.8 ko
Le Bureau central des statistiques israélien ne prend en compte que les jeunes de 15 à 17 ans qui travaillent. A la fin de 2016, seulement 1,8% des 212.000 personnes de ce groupe d’âge travaillaient (sans faire d’études).

Les enfants vivant avec deux parents ou un parent seul, les athlètes actifs, les jeunes qui étudient pour un baccalauréat à l’université sont quelques-unes des catégories que les statistiques israélienne vérifient et évaluent pour la “Journée Internationale de l’Enfance”. Parallèlement, la collecte de données palestiniennes pour le même jour montre qu’Israël a arrêté 4.000 mineurs palestiniens depuis octobre 2015, sur un total de 15.000 Palestiniens arrêtés durant cette période.
JPEG - 87.8 ko
Selon les statistiques que le Service israélien des prisons a fourni à B’Tselem, il y avait 331 mineurs palestiniens dans les prisons israéliennes en mai dernier. Israël les définit comme des prisonniers de sécurité et des détenus. Huit autres ont été capturés en Israël sans permis de séjour et emprisonnés.
JPEG - 92.2 ko
Selon les statistiques de la branche palestinienne de Defence for Children International, les forces de sécurité israéliennes ont tué 35 enfants en 2016 et 15 autres en 2017 (de janvier à août). Trois d’entre eux avaient entre 13 et 15 ans et les autres avaient entre 16 et 17 ans. Le communiqué de presse ne détaille pas les circonstances de leur décès.
JPEG - 190.4 ko
Quelque 1.479 Palestiniens, dont au moins 650 enfants, ont perdu leurs maisons en 2016 en raison de la politique de démolitions d’Israël, selon les statistiques de l’ONU. Le chiffre inclut Jérusalem-Est. La plupart ont été démolies sous prétexte de ne pas avoir de permis de construire. Quelques-uns ont été démolies comme punition. Entre janvier et le 20 novembre, Israël a détruit les maisons de 602 Palestiniens, dont au moins 260 enfants.

Amira Hass

Cet article a été publié par Haaretz le 28 novembre 2017, sous le titre “One Land and 5,102,809 Children”. – Traduction : Luc Delval - source : http://www.pourlapalestine.be

JPEG - 7.3 ko Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste israélienne à vivre à Gaza, et a notamment publié « Boire la mer à Gaza » (Editions La Fabrique).

Autres articles de Amira Hass sur le site de palestine 13
* Palestine. Des raids sur les camps de réfugiés raniment l’esprit de 1948
* Hébron 2017 : « Moins de Palestiniens, davantage de checkpoints »
* « Volez le temps, volez la vie » : le temps des Palestiniens est aux mains d’Israël