À Bogotá, le Sud global défie l’Occident sur la Palestine

lundi 21 juillet 2025

Le Groupe de La Haye, une coalition pour la Palestine qui réunit des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie du Sud, a convoqué plus de trente pays à Bogotá pour convenir de sanctions contre Israël. En parallèle, des mobilisations citoyennes ont lieu dans la capitale colombienne.

Pascale Mariani, 17 juillet 2025

Bogotá (Colombie). – Ces jours-ci, les couleurs vives du centre colonial de Bogotá sont émaillées de keffiehs palestiniens. « Vive la juste lutte du peuple palestinien ! », lance la voix rauque d’un habitué des manifs, suivie d’un « Viva ! » de la foule, dans la tradition des harangues propres aux mobilisations de la gauche latino-américaine. Mercredi 16 juillet, quelques centaines de personnes sont venues aux abords du ministère des affaires étrangères colombien, où se terminait la réunion du Groupe de La Haye, pour manifester leur soutien à la cause palestinienne.

« Où sont-elles ? On ne les voit pas, les sanctions contre Israël ! », clame une foule emportée par les tambours d’une batucada. Arborant le costume gris protocolaire de sa fonction, Mauricio Jaramillo, vice-ministre des affaires étrangères colombien, est descendu à la rencontre des manifestant·es. « La Palestine vaincra ! », scande-t-il, poing levé, en chœur avec le cortège. En organisant le sommet de Bogotá, le gouvernement du président Gustavo Petro confirme son soutien sans faille à la Palestine et sa volonté de voir Israël sanctionné. Un positionnement qui fait largement consensus parmi les mouvements sociaux du continent.

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Nous sommes des peuples frères du Sud global, touchés par la même violence. Des peuples frères dans la tragédie historique, mais aussi dans la résistance au colonialisme », explique Roman Vega, coordinateur du People’s Health Movement (Mouvement pour la santé des peuples). Dans le joyeux tumulte où se côtoient drapeaux palestiniens et banderoles des syndicats, il poursuit : « La Colombie et les peuples d’Amérique latine, depuis le XVIe siècle, ont dû résister au processus colonial de conquête et de domination des Espagnols et des Britanniques, tout comme la Palestine résiste à la colonisation menée par l’État d’Israël, soutenu par les États-Unis et les principales puissances européennes. »

Réunion d’urgence du Groupe de La Haye, le 15 juillet 2025, au siège de la chancellerie à Bogotá, en Colombie. © Photo Ministère colombien des Affaires Etrangères

À quelques dizaines de mètres, au siège de la chancellerie, la réunion d’urgence du Groupe de La Haye annonce ses décisions. Coprésidée par la Colombie et l’Afrique du Sud, la conférence ministérielle a rassemblé des représentants de plus de trente États autour d’un objectif : passer des paroles à l’action collective pour la défense de la Palestine.
Sanctions et actions judiciaires

Au terme de deux jours de délibérations, six mesures concrètes visant à faire pression sur Israël ont été annoncées. Les pays signataires se sont engagés à interdire la vente d’armes, de munitions et d’équipements militaires à Tel-Aviv, ainsi qu’à fermer leurs ports aux navires transportant du matériel de guerre vers l’État hébreu.

La coalition prévoit également de réviser l’ensemble de ses contrats publics afin d’éviter que les ressources d’État ne financent directement ou indirectement l’occupation israélienne. Et elle s’engage à promouvoir des actions judiciaires nationales et internationales pour crimes de guerre, tout en soutenant les mécanismes de juridiction universelle.

Plusieurs membres du groupe ont déjà traduit leurs engagements en actes. L’Afrique du Sud a ouvert la voie en saisissant la Cour internationale de justice contre Israël pour génocide. La Colombie, traditionnellement équipée d’armements israéliens comme les fusils Galil, a cessé ses achats militaires et rompu ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv en mai 2024. La Namibie a interdit le passage dans ses eaux aux navires transportant des armes vers Israël.

La question des matières premières, défendue par Francesca Albanese, n’a cependant pas trouvé une place explicite dans la déclaration finale du Groupe de La Haye. « Si ces États membres décidaient de cesser de fournir du charbon à Israël et d’autres matières premières et ressources, cela aurait un impact considérable », avait plaidé la rapporteuse de l’ONU lors d’une conférence de presse à l’ouverture de la réunion.

Auparavant, elle avait dénoncé les quinze cargaisons de charbon expédiées depuis les mines colombiennes vers Israël depuis octobre 2023, dont six après la décision officielle de Bogotá de suspendre ces exportations – des livraisons effectuées par des multinationales qui ont su contourner l’interdiction gouvernementale.

Une initiative du Sud global

L’initiative du Groupe de La Haye, portée par des pays du Sud, a mûri ces derniers mois. Lancé le 31 janvier à La Haye, ce groupe informel rassemble initialement huit pays : Bolivie, Colombie, Cuba, Honduras, Malaisie, Namibie, Sénégal et Afrique du Sud. Ces États dénoncent l’impuissance des institutions internationales face aux violations systématiques du droit par Israël.

Dès l’ouverture de la conférence mardi, Rosa Yolanda Villavicencio, ministre des affaires étrangères colombienne, donnait le ton : « Nous, les gouvernements du Sud global, n’acceptons pas que le droit soit otage de la géopolitique. » L’initiative puise son inspiration dans l’histoire de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Dans les années 1960, des pays postcoloniaux subsahariens ont lancé le mouvement. Prenant de l’ampleur dans ce qu’on appelait alors le « tiers-monde », il sera décisif dans la chute du régime sud-africain.

Au total, une trentaine de pays ont envoyé des délégations à la conférence de Bogotá sur la Palestine. Parmi celles-ci, des représentants d’États accusés de bafouer les droits humains sur leur propre territoire, comme Cuba, la Chine ou la Turquie. Une présence paradoxale pour une coalition qui dénonce les violations du droit international, même si ces participants controversés sont restés discrets.

Pourquoi l’Europe ne défend-elle pas les droits de l’homme et les valeurs qu’elle a toujours revendiquées ? Un conseiller du président colombien

Sandra Borda, professeure de science politique à l’université des Andes de Bogotá, porte un jugement sévère sur l’initiative. Les pays réunis en Colombie, affirme-t-elle, « n’aspirent pas vraiment à contribuer à résoudre ce conflit. Si c’était le cas, ils essaieraient de se positionner de manière à pouvoir agir en tant que médiateurs dans une éventuelle conversation. Ce qu’ils font, c’est démontrer qu’ils sont radicalement opposés à ce que fait Israël, ce qui est bienvenu car Israël viole ouvertement le droit humanitaire international. Mais je ne pense pas que cet effort diplomatique aille dans une direction constructive ».

Gustavo Petro, l’hôte de cette conférence, utilise des mots particulièrement virulents pour condamner la guerre génocidaire à Gaza. Le premier président de gauche de l’histoire colombienne a ainsi déclaré, à l’issue de la conférence : « Gaza n’est qu’une expérience menée par les mégariches pour montrer à tous les peuples du monde leur réponse face à une rébellion de l’humanité. » Il qualifie sans précaution le gouvernement israélien de « nazi ». Une posture qui rappelle celle d’Hugo Chávez au Venezuela ou d’Evo Morales en Bolivie, autres dirigeants latino-américains ayant ardemment défendu la cause palestinienne.

En toile de fond du sommet de Bogotá domine une incompréhension générale face aux tergiversations de l’Union européenne. Si l’Espagne et l’Irlande ont envoyé des délégations en Colombie, la majorité des pays européens brillent par leur absence.

« C’est triste d’en venir à se demander : que fait l’Europe ? Pourquoi ne défend-elle pas les droits de l’homme et les valeurs qu’elle a toujours revendiquées ? », interroge Victor De Currea-Lugo, conseiller du président colombien sur la Palestine. Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens et invitée vedette de la conférence, se montre encore plus cinglante : « Les pères fondateurs de l’Union européenne doivent se retourner dans leur tombe. »

Un défi aux puissances occidentales

La représentante onusienne avait appelé les États présents à rompre toute relation avec Israël et à engager des mesures juridiques et économiques concrètes. « Nous assistons à l’émergence d’un nouveau multilatéralisme, fondé sur des principes courageux portés de plus en plus par la majorité mondiale » – un terme qu’elle dit préférer à celui de « Sud global », mais dont Vladimir Poutine fait aussi son miel.

Récemment sanctionnée par Washington pour son engagement en défense de la Palestine, Francesca Albanese a commenté : « Il s’agit d’un avertissement lancé à tous ceux qui osent défendre le droit international et les droits de l’homme, la justice et la liberté. » Pour elle, le sommet de Bogotá marque un tournant : « L’immense souffrance de la Palestine a ouvert la possibilité d’une transformation. Un changement révolutionnaire est en cours. »

Il serait très ingénu de penser que ces annonces vont changer quelque chose aux agissements d’Israël. Sandra Borda, universitaire

« Les trente-deux États réunis à Bogotá pour le Groupe de La Haye forment le nouveau mouvement des non-alignés à la politique génocidaire israélienne », a déclaré dans la même veine Rima Hassan. L’eurodéputée de La France insoumise (LFI), invitée à la conférence, souligne qu’elle se tient au moment où l’Union européenne a décidé de ne pas suspendre l’accord d’association avec Israël.

Les experts demeurent cependant sceptiques quant à l’impact réel de cette conférence. « Il serait très ingénu de penser que ces annonces vont changer quelque chose aux agissements d’Israël », observe l’universitaire Sandra Borda. Le poids géopolitique limité des États participants ne leur permet pas d’imposer des sanctions susceptibles de modifier l’équilibre des forces dans le conflit israélo-palestinien.

Selon le vice-ministre des affaires étrangères colombien, Mauricio Jaramillo, ces mesures présentent avant tout le mérite pour les pays signataires de ne pas « rester des observateurs passifs de la dévastation du territoire palestinien occupé ». « Pour les habitants de Gaza et la population palestinienne qui subissent ces crimes contre l’humanité, tout soutien international et tout effort pour construire un message international collectif seront toujours utiles », admet Sandra Borda.

Pascale Mariani


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