Comment l’apartheid étouffe l’éducation et la recherche scientifique en Palestine
Par David Kattenburg
Des citoyens éduqués et une capacité de recherche scientifique avancée sont les moteurs clés d’un développement national souverain.
Cérémonie de remise de diplômes - Photo : Birzeit University
Personne ne le sait mieux que la “Start-Up” Israel. Selon une estimation récente, la population israélienne est la troisième la plus éduquée au monde (derrière le Canada et le Japon).
Quant aux cinq millions de Palestiniens qui vivent sous occupation militaire permanente, Israël confirme cette vérité en la bafouant – entravant systématiquement leur accès à l’éducation, et la capacité dees scientifiques palestiniens à mener des recherches.
C’est une politique qui a des racines profondes. Dans un article récent d’Ha’aretz, Adam Raz du Akevot Institute for Israeli-Palestinian Conflict Research, cite deux documents récemment déclassifiés. « Le secteur arabe doit être maintenu à un niveau aussi bas que possible, afin que rien ne se produise, » a déclaré le préfet de police Yosef Nachmias, lors d’une réunion des chefs de la sécurité israélienne en février 1960.
“Tant qu’ils restent à moitié éduqués, je ne me fais pas de soucis,” a déclaré le chef du Shin Bet Amos Manor. Il est nécessaire de soutenir les structures sociales arabes traditionnelles, a-t-il précisé afin de “[ralentir] le rythme du progrès et du développement.”
M. Manor a en même temps fait remarquer, que “les Révolutions sont fomentées non par le prolétariat, mais par une intelligentsia engraissée.” Ayant cela à l’esprit, M. Manor a recommandé que “toutes les lois doivent être appliquées, même si elles ne font pas plaisir,” et que “ des moyens illégaux ne devraient être envisagés [par les autorités] que lorsqu’il n’y a pas d’autre choix, et même dans ce cas – à la condition que les résultats soient bons.”
M. Manor faisait probablement référence aux lois nationales israéliennes pouvant être utilisées pour opprimer les intellectuels palestiniens. Il avait peut-être aussi à l’esprit le droit international, qu’il serait nécessaire de bafouer. En tant qu’état membre de l’ONU Israël était tenu de respecter les dispositions de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1949 garantissant le droit à l’éducation (1).
“Tout le monde a droit à l’éducation,” stipule l’article 26 de la Déclaration Universelle. “L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé et l’accès aux études supérieures doit être ouvert à tous en pleine égalité en fonction de leur mérite.”
Six ans après les commentaires de M. Manor, Israël était parmi les premiers à parapher le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (2) adhérant officiellement au Pacte en 1991. Suite à sa conquête en 1967 de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, Israël adopta, cependant, la position selon laquelle le Pacte ne s’y appliquait pas.
Ces territoires se trouvent hors du territoire souverain d’Israël, faisait valoir ce dernier, tout en étendant les droits garantis par le Pacte aux colons juifs en Cisjordanie. (Israël adopte la même position vis-à-vis du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques)
Quels sont ces droits énoncés dans le Pacte ? L’article 13(1) du Pacte stipule : “Les états parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. ”L’article 13(2) (c) stipule “L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés …” Et, l’article 15 (3) “Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices. ” (2)
Le comité des Nations Unies chargé de l’application du Pacte a rappelé Israël à l’ordre pour son refus d’étendre les droits du Pacte aux Palestiniens. Dans ses Observations Finales de novembre 2019 concernant le quatrième rapport périodique d’Israël (3), le Comité s’est dit préoccupé par les “restrictions d’accès des étudiants [Palestiniens] à l’éducation”, par la “démolition, fréquente, des bâtiments scolaires et la confiscation des locaux”, “les perquisitions, en armes ou sans armes, des écoles palestiniennes” et la “fréquence des cas de harcèlement ou de menaces de la part des forces de sécurité ou des colons israéliens envers les élèves et les enseignants aux points de contrôle ou le long des routes, qui empêche tout particulièrement les filles de se rendre à l’école.”
Le comité des Nations Unies a aussi exprimé son inquiétude concernant “l’interdiction générale imposée depuis 2014 aux étudiants de la bande de Gaza d’accéder à l’enseignement dispensé en Cisjordanie”, et par “les graves répercussions de l’application de la liste des biens à double usage sur la jouissance, par les étudiants de la bande de Gaza, de leur droit à l’éducation, en particulier dans le domaine des sciences et de l’ingénierie”.
Ces commentaires sont repris par des scientifiques palestiniens. Un récent cas d’espèce notable : celui du Professeur Imad Barghouthi, astrophysicien à l’Université Al-Quds, dans le quartier d’Abu Dis de Jérusalem-Est.
Le Dr. Barghouthi a été arrêté trois fois par la police d’occupation israélienne. Lors de la plus récente, le 16 juillet 2020, les autorités israéliennes ont accusé M. Barghouti “d’incitation” en raison de ses messages sur Facebook. Après 52 jours d’emprisonnement, un juge israélien a statué que les messages de M. Barghouti sur les réseaux sociaux ne constituaient pas une incitation.
Aussi, la police israélienne a à la place opté pour la “détention administrative”, moyen courant d’emprisonner les Palestiniens indéfiniment et sans chef d’accusation. M. Barghouti a passé dix mois et demi en prison, en Israël, en violation de l’Article 76 de la Quatrième Convention de Genève.
Les étudiants d’Al-Quds ont souffert de l’absence du Dr Imad. Personne d’autre ne pouvait assurer ses cours d’électromagnétisme, de physique moléculaire et nucléaire, d’électrodynamique, de mécanique statistique, de photo dynamique ou de physique des plasmas. Privé d’accès à l’internet, M. Barghouti a utilisé un vieil appareil de téléphonie mobile Nokia pour communiquer avec ses étudiants, leur indiquant de citer tel document, de résoudre telle équation, ou de contacter tel ou tel chercheur.
M. Barghouti a finalement été libéré en novembre 2020, contre une caution de 15 000 dollars et a reçu injonction de ne plus publier de messages sur Facebook.
Après sa libération, dans une interview avec Mario Martone de Scientists for Palestine, M. Barghouti a commenté les défis que pose la pratique des sciences sous occupation militaire.
Il existe beaucoup d’universités palestiniennes, mais peu d’avancées ou de publications, a expliqué M. Barghouti. Obtenir de l’équipement et des manuels représente un énorme défi. La science en Palestine souffre avant tout d’une pénurie de diversité humaine.
En Europe et en Amérique du Nord, les chercheurs et leurs étudiants viennent du monde entier. Par contraste, quitter la Cisjordanie, et surtout Gaza peut s’avérer être un obstacle insurmontable. Et, bien sûr, “les Israéliens n’apprécient guère qu’un universitaire soit aussi un militant politique”, a ajouté M. Barghouti.
Yousef Najajreh est professeur associé de chimie médicinale à la Faculté de Pharmacie de l’Université Al-Quds, à Abu Dis, à la périphérie de Jérusalem-Est se spécialisant dans les traitements anti-cancer novateurs. Ses recherches sont de haut niveau, faisant intervenir l’identification d’inhibiteurs d’enzymes allostériques, des composés anticancéreux à base de platine et des systèmes de distribution nano particulaire.
Yousef serait encore plus innovant s’il se trouvait hors de la Palestine. Comment peut-on faire fonctionner un labo de chimie médicinale sans instruments de pointe pour la RMN, la diffraction des Rayons X, la culture tissulaire ou la chromatographie, ou d’essentiels réactifs organiques et produits biologiques, interroge M. Najajreh ?
En visite à l’École Polytechnique de Lausanne, M. Najajreh s’est émerveillé devant la demi-douzaine de spectromètres RMN alignés dans un couloir, et les armoires pleines de réactifs organiques. Même si l’on peut reprocher à l’Autorité Palestinienne son manque de stratégie ou son budget insuffisant en matière de recherche (40% du budget annuel de l’AP est consacré à la “sécurité” d’Israël), en fin de compte c’est Israël le principal fautif, commente M. Najajreh.
Pour se procurer l’équipement de labo et les réactifs qui sont disponibles il faut passer par des intermédiaires israéliens pour les fournisseurs internationaux, ou des intermédiaires palestiniens pour des fournisseurs israéliens. Des produits “à usage double” (pour certains aussi simples que le glycérol) sont interdits. Et, les chercheurs comme M. Najajreh qui, faute de permis d’entrée à Jérusalem ne peuvent aller chercher une commande chez un agent israélien (qui ne peut ou ne veut venir à Abu Dis), doivent demander à un intermédiaire d’aller chercher l’article.
Par ailleurs, il y a la dimension humaine. Les visas de trois mois accordés aux professeurs ou étudiants invités sont en décalage avec les semestres de 16 mois palestiniens. Et tout sympathisant à la cause palestinienne est refoulé à l’aéroport Ben Gourion ou au Pont Allenby à la frontière jordanienne.
Même à l’intérieur de Jérusalem (“la capitale une et indivisible et éternelle” d’Israël), les étudiants et les professeurs d’Al-Quds éprouvent d’énormes difficultés pour se déplacer entre les campus d’Abu Dis et de Jérusalem-Est à Beit Hanina ou Wadi Joz.
Réciproquement, les enseignants, administrateurs et étudiants qui rentrent chez eux en provenance du campus d’Abu Dis sont régulièrement obligés de descendre du bus pour satisfaire à des contrôles de “sécurité”. Pour couronner le tout, des soldats et la police des frontières israéliens envahissent régulièrement le campus d’Abu Dis, tirant du gaz lacrymogène et embarquant des étudiants.