Le peintre Nabil Anani et le mouvement artistique palestinien contemporain
Actuellement exposées à la galerie Zawyeh, les œuvres de Nabil mettent en lumière la culture folklorique de la Palestine et cherchent à promouvoir la fierté nationale malgré les 75 ans d’occupation israélienne.
Il y a une belle œuvre d’art intitulée Eye on Jerusalem sur les murs virtuels de la dernière exposition en ligne de Nabil Anani par la Zawyeh Gallery intitulée Selected Works by Nabil Anani, du 2 avril au 15 septembre.
C’est une acrylique sur toile, et elle représente une femme pensive vêtue de rouge et de bleu, avec un voile blanc sur la tête.
Le paysage a des couleurs pastel douces sont évocatrices des Fauves – un groupe de peintres du début du XXe siècle – ou encore de Gauguin. La scène communique la paix et l’harmonie.
Il faut un entêtement singulier pour persévérer à voir la beauté, l’amour et l’harmonie lorsque l’endroit où vous vivez semble jonché d’obstacles.
Est-ce en effet possible d’endurer les conditions les plus extrêmes, où l’idéal s’éloigne à chaque instant, où les routes de contournement, les barrages routiers, les murs et les tours de guet vous rappellent continuellement la douloureuse occupation – et continuer néanmoins de voir la beauté qui vous entoure ?
Pour l’artiste Nabil Anani, la réponse est positive. Les paysages de ses tableaux puisent autant dans la mémoire que dans l’imagination, et témoignent d’un esprit qui refuse d’être vaincu par des forces du mal, d’une imagination qui résiste, elle aussi, à l’occupation et à la colonisation.
Les toiles [de Nabil Anani] ont toujours présenté un paysage palestinien indemne, un paysage naturel bien entretenu, sans aucune trace des colonies israéliennes pourtant en constante extension
L’artiste semble vouloir représenter une Palestine utopique pour tout son peuple, capturer un moment futur tout en protestant contre la destruction de la terre et des moyens de subsistance des siens.
L’ensemble de son œuvre offre une vision d’un avenir meilleur, où les palestiniens pourraient enfin se sentir en sécurité sur leur propre terre et se déplacer librement dans leur pays.
Nous connaissons Nabil Anani comme l’un des artistes palestiniens les plus en vue et l’un des fondateurs du mouvement artistique palestinien contemporain.
Il a toujours été actif dans l’épanouissement de la scène artistique locale – un des co-fondateurs de l’Association d’art palestinien en 1975, ainsi que du Centre d’art Al-Wasiti à Jérusalem en 1993. Il a également joué un rôle majeur dans la création de la première Académie internationale des beaux-arts en Palestine.
Anani n’avait que 12 ans lorsqu’il a découvert sa passion pour l’art, et dans des interviews, il raconte comment il se retrouvait en train de dessiner et de griffonner avec un crayon ou un stylo sur les marges de ses livres scolaires pendant les cours.
Malgré un accès difficile aux livres d’art, il connaissait, d’en avoir entendu parler, les artistes de la Renaissance italienne tels que Michel-Ange et Raphaël, et y a trouvé de l’inspiration à la vue de leurs œuvres dans les rares magazines disponibles à l’époque.
En 1965, son oncle l’a présenté au célèbre artiste Ismail Shammout, la première personne avec qui il a pu discuter de l’art ; à partir de là, sa passion n’a fait que grandir.
Dans les années 60, il a déménagé en Égypte pour étudier l’art. L’Égypte était alors le principal centre de culture et d’éducation du Moyen-Orient et pouvait se vanter de professeurs inspirants tels que les artistes Hamed Ewais, Mostafa Abdel Moity et Hamed Nada.
Ce sont les villages palestiniens qui furent ses premiers sujets de prédilection – il puisait ainsi dans l’un des lieux des plus heureux de sa mémoire, une enfance magique vécue dans le village de Halhul.
Ziad Anani — fondateur de la galerie Zawyeh et le fils de Nabil Anani — a décidé de monter l’exposition sous forme virtuelle pour toucher un public plus large.
« Avec la technologie d’aujourd’hui, les spectateurs peuvent accéder à l’exposition depuis leur domicile en utilisant leur téléphone ou leur tablette, presque comme s’ils voyaient l’œuvre en personne », explique Ziad Anani. « De plus, les expositions virtuelles sont beaucoup plus rentables que les expositions physiques. Nous avons déjà fait plusieurs expositions virtuelles, et elles ont toutes connu un succès incroyable. »
Cette toile particulière de la série incorpore des matériaux naturels comme la paille et les fleurs séchées, tous récoltés sur la terre palestinienne. Le résultat est étonnant et envoûtant.
« Nabil peint des paysages depuis le début des années 70, mais au fil du temps, il y a eu une évolution intéressante dans son travail. Auparavant, il était connu pour l’attention qu’il prêtait non seulement à la terre mais aussi aux gens », explique Ziad Anani.
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L’expérimentation avec différents supports et l’utilisation de couleurs intenses et vibrantes caractérisent depuis toujours le style d’Anani. Dans cette série, il joue avec la couleur et la texture, utilisant des supports naturels qu’il mélange : la paille, les épices, les fleurs séchées et les plantes.
Le résultat est une surface distincte et des impressions inoubliables qui nous transportent en Palestine au-delà de toutes les frontières. Pour cette exposition notamment, Anani intègre dans ses paysages des motifs folkloriques et les couleurs du drapeau palestinien.
« Personnellement, je trouve les paysages de Nabil incroyablement beaux, et si vous regarder son œuvre depuis 2011 jusqu’à aujourd’hui, vous remarquerez un changement significatif », note Ziad. « Nabil aime expérimenter avec différents médiums, et de 2011 à 2014, il a exploré l’utilisation de la cire sèche chaude, ce qui a ajouté une texture très riche à ses peintures. »
Pour Ziad, l’héritage artistique de Nabil se caractérise par son esprit pionnier, son dévouement à son héritage palestinien et sa capacité à transmettre le récit palestinien par son travail.
Son influence est clairement perceptible dans les œuvres d’artistes émergents et dans la reconnaissance et l’appréciation de l’art palestinien qui ne cesse d’accroître à l’échelle mondiale : « Les contributions d’Anani ont non seulement enrichi la scène artistique locale, mais ont également rendu la Palestine plus présente aux yeux du monde », dit-il.
Ziad pense que la vision de Nabil d’un avenir meilleur pour la Palestine d’aujourd’hui peut contribuer à hâter le changement : « Sa vision se relie à la politique, à l’économie, à l’art, à la culture et à la pensée créative ! A tout ce que vous voulez !, s’exclame le galeriste.
« J’ai une grande confiance dans la jeune génération palestinienne et je crois dans un changement significatif qui aura un impact positif sur la société, la culture et l’économie palestiniennes dans un avenir proche. C’est en chemin, sans aucun doute ! »
Naima Morelli
une écrivaine spécialisée dans les arts et a culture avec un intérêt particulier pour l’art contemporain du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et de la région Asie-Pacifique. Elle est également l’autrice de « Arte Contemporanea in Indonesia, un’introduzione » et « The Singapore Series : a contemporary art reportage ».