Le rôle de la littérature dans la résistance des femmes détenues par Israel

jeudi 17 décembre 2020

Khalida Jarrar, militante féministe et des droits humains, et membre du Conseil législatif palestinien, est détenue par Israël en détention administrative depuis juillet 2015. Elle a passé en contrebande une lettre très intéressante sur le rôle de la littérature et de l’éducation dans la résistance des prisonnières politiques détenues dans les prisons de l’occupant.

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Dans cette lettre, Khalida Jarrar souligne le rôle essentiel que joue la littérature pour les prisonnières palestiniennes qui luttent pour conserver leur humanité et rester connectées au monde extérieur.

« De la prison israélienne de Damon, située au sommet du mont Carmel à Haïfa, je vous adresse mes salutations, en mon nom et en celui de mes 40 camarades palestiniennes combattantes de la liberté, enfermées dans les prisons israéliennes. Nous saluons et respectons tous les écrivains, universitaires, intellectuels et artistes qui disent la vérité et appellent à la liberté et à la justice de tous les peuples et qui défendent le droit des peuples à l’autodétermination et s’opposent à la domination raciste coloniale.

À cette occasion, permettez-moi également d’envoyer nos salutations et notre soutien à tous les écrivains, universitaires, intellectuels et artistes arabes qui rejettent la normalisation avec le système colonial israélien et qui ont refusé d’accepter les accords de normalisation émiratis, bahreïnis et soudanais avec l’entité sioniste. Ce sont ces personnes qui représentent les véritables liens entre notre peuple et le monde arabe.

Bien que physiquement nous soyons retenues captives derrière des clôtures et des barreaux, nos âmes restent libres et planent dans le ciel de la Palestine et du monde. Indépendamment de la gravité des pratiques de l’occupation israélienne et des mesures punitives imposées, notre voix continuera de s’exprimer au nom de notre peuple qui a souffert d’horribles catastrophes, déplacements, occupation et arrestations. Elle continuera également de faire connaître au monde la forte volonté palestinienne qui rejettera et défiera sans relâche le colonialisme sous toutes ses formes. Nous luttons pour les valeurs humaines et nous nous efforçons d’obtenir une libération sociale et économique, un combat qui lie tous les êtres libres du monde.

Les livres constituent le fondement de la vie en prison. Ils préservent l’équilibre psychologique et moral des combattants de la liberté qui considèrent leur détention comme faisant partie de la résistance globale contre l’occupation coloniale de la Palestine. Les livres jouent également un rôle dans la lutte individuelle pour la liberté de conscience de chaque prisonnier face aux autorités pénitentiaires. En d’autres termes, la lutte devient un défi pour les prisonniers palestiniens alors que les geôliers cherchent à nous dépouiller de notre humanité et à nous maintenir isolés du monde extérieur. Le défi pour les prisonniers est de transformer notre détention en un état de « révolution culturelle » à travers la lecture, l’éducation et les discussions littéraires.

Les prisonnières politiques palestiniennes font face à de nombreux obstacles pour accéder aux livres. Par exemple, les livres ne nous parviennent pas toujours car ils sont soumis à des mécanismes de contrôle stricts et à des confiscations lorsqu’ils sont apportés par un membre de la famille. En théorie, chaque détenue a le droit de recevoir deux livres par mois. Mais le plus souvent, ils sont rejetés par l’administration pénitentiaire sous prétexte d’être des livres « d’incitation ». En guise de punitions, les prisonnières peuvent être privées de lecture pour deux ou trois mois, comme ce fût mon cas en 2017.

La modeste bibliothèque utilisée par les prisonnières est également soumise à des inspections constantes et les gardiens de prison confisquent tout livre qui aurait pu être apporté à leur insu. Cela incite les prisonniers à trouver des moyens créatifs pour protéger les livres susceptibles d’être saisis, une tâche devenue essentielle.
Dans cet esprit, les prisonnières palestiniennes ont réussi à se procurer un certain nombre de grands livres, malgré les restrictions strictes.

Par exemple, en plus de certains livres de philosophie et d’histoire, de nombreux livres de Ghassan Kanfani, Ibrahim Nasr-Allah et Suzan Abu-Alhawa font partie de ceux qui ont été consultés et étudiés par les prisonnières. Le roman de Maxim Gorky « La Mère » est devenu un réconfort pour les femmes détenues privées de l’amour de la leur. Les œuvres de Domitila Chúngara, Abd-Arahman Munif, Al-Taher Wattar, Ahlam Mustaghanmi, Mahmoud Darwish, « Les quarante règles de l’amour » d’Elif Shafak, Les Misérables de Victor Hugo, Nawal El Saadawi, Sahar Khalifeh, Edward Said, Angela Davis et les livres d’Albert Camus sont tous parmi les plus appréciés qui ont échappé aux inspections et ont été passés en contrebande.

Cependant, des livres tels que « Notes de la potence » de Julius Fučík et « Cahiers de prison » d’Antonio Gramsci n’ont jamais pu échapper aux mesures et aux restrictions des geôliers. En fait, aucun des livres de Gramsci n’a réussi à entrer dans les prisons en raison de ce qui semble être une position très hostile des autorités d’occupation à l’égard de Gramsci.

Sur le côté le plus lumineux de nos vies, certains livres écrits par des prisonniers à l’intérieur des prisons ont pu se faufiler jusqu’à nous, dont l’un parle des expériences d’emprisonnement et d’interrogatoire dans les prisons israéliennes, intitulé « Vous n’êtes pas seul ».

Ce que j’essaie de dire, mes chers artistes et écrivains, c’est que vos livres qui sont exposés dans les librairies du monde entier font l’objet de poursuites et de confiscations par les autorités pénitentiaires d’occupation israéliennes si nous tentons d’y accéder – vos livres ici sont arrêtés comme l’est notre peuple.

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