Les jeunes Palestiniens brisent le mur du silence
Malgré la répression israélienne ayant fait plus de 500 blessés et les raids meurtriers sur Gaza, la colère ne retombe pas face à l’occupation et la colonisation.
Étudiant en psychologie à l’université de Bir Zeit, non loin de Ramallah, en Cisjordanie, Judeh, 27 ans, vit à Jérusalem-Est. L’occupation et la colonisation israéliennes, il sait ce que cela signifie dans sa chair. Pour pouvoir suivre ses cours, il lui faut, tous les jours, emprunter un bus réservé aux Palestiniens – ainsi qu’en ont décidé les autorités israéliennes – régulièrement ciblé par les contrôles de la police et bloqué plus que de raison au checkpoint à franchir. De quoi alimenter la colère. D’autant qu’il lui arrive régulièrement de ligieuses. D’ailleurs, l’armée israélienne n’a pas posé ce type de question lorsqu’elle a évacué à plusieurs reprises tous les jeunes assis pacifiquement sur les marches formant agora devant la porte de Damas, l’une des entrées de la vieille ville.
Cheikh Farrah, cœur du plan de colonisation de la ville
Mais c’est sans doute ce qui se passe dans le quartier de Cheikh Jarrah qui a fait éclater ce trop-plein d’humiliations. Vingt-huit familles palestiniennes ont reçu un ordre d’expulsion. Il y a une dizaine de jours, L’ONU EST « PROFONDÉMENT INQUIÈTE » DE L’ESCALADE DES VIOLENCES EN ISRAËL ET DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS OCCUPÉS. subir les provocations des colons, de plus en plus nombreux dans la partie orientale de la ville. Le triste quotidien d’un jeune à Jérusalem-Est. « La des centaines de jeunes sont alors spontanément venus manifester leur opposition à cette éviction et à l’installation de colons. « On ne veut pas laisser ces familles seules face à l’occupant, souligne Judeh. Si on est vie est difficile », dit avec colère l’étudiant contacté par téléphone. Judeh le dit tout de go : « Je ne suis pas musulman. » Ce qui ne l’empêche pas, en cette période de ramadan, d’être tous les soirs avec ses copains pour l’iftar, cette rupture du jeûne lorsque le soleil s’est couché. Un moment convivial où tout le monde se retrouve, au-delà de ses convictions relà, les colons osent moins provoquer. » Si Cheikh Jarrah est ainsi visé, ce n’est pas anodin. L’argument d’une présence juive il y a plus d’un siècle, sans doute réelle, ne tient pas. En revanche, on comprend mieux cet acharnement lorsqu’on sait que ce quartier – qui ne dépend pas de la vieille ville – s’étend jusqu’à la route numéro 1. Celle-ci désigne la ligne verte, où les combats s’étaient arrêtés en 1949 et franchie par les troupes israéliennes en 1967. Vider Cheikh Farrah de ses habitants palestiniens, c’est ouvrir la voie à une continuation « ethniquement » homogène entre Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est, but ultime de la colonisation de la ville (lire ci-contre). Maral Qutteine, une ancienne journaliste qui vit dans la vieille ville, que nous avons pu joindre, témoigne aussi. « Les gens ne supportent plus la présence des colons et la pesanteur de l’occupation. » Si Israël parle de Jérusalem comme de sa « capitale une et indivisible », en réalité le traitement n’est pas le même entre l’ouest et l’est. Les services municipaux sont pratiquement inexistants dans la partie occupée malgré les taxes toujours plus nombreuses que paient les Palestiniens.
« Ce n’est pas une guerre inévitable, mais une politique délibérée »
Comme cela se produit souvent dans l’histoire des révoltes et des révolutions, arrive un moment où la goutte d’eau… « Les jeunes se révoltent car ils sentent bien qu’ils n’ont pas d’avenir, souligne Maral Qutteine. Rien ne change pour eux. Des résolutions sont votées à l’ONU, il y a beaucoup de déclarations mais les jours se suivent et se ressemblent. Les jeunes réalisent que la seule solution qui se présente à eux est de se libérer eux-mêmes, sans l’aide de quiconque, ni des pays arabes, ni de l’Union européenne et pas plus de l’Autorité palestinienne, qui est très faible. » Phénomène intéressant : à Cheikh Jarrah, ce ne sont pas seulement les Palestiniens de l’Est qui manifestent. Ils sont rejoints par ceux que l’on appelle les Arabes palestiniens, qui vivent en Israël. Les députés de la Liste unie, conduite par le communiste Ayman Odeh, sont venus les soutenir. Mais des dizaines de juifs sont aussi présents. Certains sont là à l’appel de Standing Together, qui regroupe juifs et Arabes pour la paix et l’égalité. « Nous rendons le gouvernement responsable de ce qui se passe. Ce n’est pas une guerre inévitable, comme veulent le faire croire les autorités, mais une À Cheikh Jarrah, ce ne sont pas seulement les jeunes animateur de l’association. Celle-ci agit aussi à Tel-Aviv, Haïfa, Jaffa ou Nazareth pour « mobiliser autant que possible les citoyens d’Israël ». L’enjeu est d’autant plus important que l’extrême droite israélienne, qui a le vent en poupe, s’agite et tente de créer un climat de violence contre les Palestiniens, et pas seulement à Jérusalem-Est mais partout en Israël. Lundi, un Palestinien a été tué à Lod. « C’est une “hébronisation”de la situation », dit Uri Weltmann en référence à la ville d’Hébron, en Cisjordanie, où les colons terrorisent les Palestiniens. Une extrême droite et un Netanyahou qui trouvent dans la tactique destructrice du Hamas les justifications d’un massacre à Gaza. « Deux faces d’une même pièce », comme l’ose un jeune Palestinien qui ne veut pas dire son nom. À Jérusalem, la répression a fait plus de 500 blessés. Judeh craint cette violence des colons. « Mais nous resterons aussi longtemps que possible pour empêcher l’expulsion des familles de Cheikh Jarrah », prévient-il. Quoi qu’il arrive maintenant, les Palestiniens de Jérusalem-Est ont brisé au moins un mur, celui du silence. Palestiniens de l’Est qui manifestent : à leurs côtés les Arabes palestiniens, qui vivent en Israël, et des dizaines de juifs. politique délibérée », affirme Uri Weltmann,
PIERRE BARBANCEY