Quelle connerie la guerre ! Magnifique texte de Marc Mercier
Quelle connerie la guerre !
(Sonate en rouge majeur pour les Palestiniens)
Magnifique texte à lire et méditer.
L’enfance et la guerre
Les premiers éclats d’obus qui pénétrèrent ma conscience juvénile proviennent de récits familiaux.
Oh, pas de quoi en faire un poème épique. Des évocations d’atmosphères sombres. Des sirènes. Des bruits d’avion. Des courses dans des abris. La peur. La faim. Des nouvelles soudaines, un proche prisonnier, un autre mort.
Encore en culottes courtes, j’eus entre les mains mon premier manuel politique, mon petit livre rouge en somme, qui proposait la solution pour épargner aux peuples de s’ensanglanter les uns les autres : une bande dessinée, un Astérix le Gaulois intitulé « Le combat des chefs ». Tout était simple, limpide. En cas de conflit, on dresse un ring et les deux dirigeants des pays belligérants s’empoignent, se tabassent en veux-tu en voilà, et le lendemain les citoyens spectateurs peuvent reprendre le cours de leurs vies, amours, travail, loisirs, arts…
La raison de l’utopie
Cette utopie gauloise que les gens sérieux trouvent puérile, que je continue cependant à caresser avec le plus grand sérieux, je l’ai retrouvée dans ces sages paroles d’Albert Camus : « Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est pas une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison. »
Je ne porte plus de culottes courtes, mes cheveux ont blanchi, mais je suis de plus en plus convaincu que seule l’utopie est raisonnable. Ceux qui justifient les guerres ont lâchement opté pour l’enfer sur terre.
Affirmer cela ne signifie surtout pas qu’il nous faudrait systématiquement capituler face à l’oppresseur pour éviter l’affrontement. Chaque humain a pour devoir de préserver sa dignité. Pour cela, il doit lutter contre toutes les injustices quelque soit le degré de leur intensité. Chaque acte d’émancipation, chaque soulèvement individuel ou collectif, petit geste du quotidien ou révolution populaire, l’honore.
Même en cas de défaite. Dans mon panthéon de la beauté humaine, à côté des poètes, des musiciens et autres artistes, j’y croise pêle-mêle Spartacus, Angela Davis, Che Guevara, le sous-commandant Marcos, Yasser Arafat, Leila Shahid, Elias Sanbar, Ho Chi Minh, Louise Michel, Sankara, Mahsa Amini,… et tant d’autres connu e-s ou pas.
Rêves d’octobre
Soudain, 7 octobre 2023. J’ai eu la nostalgie de ma naïveté d’enfant. J’écris ce texte avec devant les yeux un citronnier et dans les oreilles Le chant des oiseaux que Pau Casals joua sur son violoncelle à la fin de chacun de ses concerts pour faire entendre la complainte merveilleuse de la paix et de la justice.
J’aurais voulu que les combattants palestiniens, après avoir franchi le mur de la honte qui les emprisonne depuis seize ans dans Gaza, entassés, s’invitent dans les maisons des Israéliens qui vivent sur ce qui fut il n’y a pas si longtemps leurs villages. Ils auraient déclaré : « Maintenant, asseyons-nous autour de la table et discutons de notre avenir (en) commun. D’abord, nous allons vous dire un poème de Mahmoud Darwich et vous jouer un air du Trio Joubran. »
J’aurais voulu qu’ils s’invitent à la rave-party, et déclarent plutôt que de poignarder : « Maintenant dansons ensemble, main dans la main. » Peut-être que des couples se seraient formés. Les corps dansant dégagent de la sensualité, c’est bien connu, et se moquent bien de l’origine des salives qui se mêlent amoureusement.
Et comme les Palestiniens ont de la mémoire et qu’ils ne sont pas suicidaires, face aux plus récalcitrants, ils auraient dit comme Arafat au siège des Nations-Unies le 13 novembre 1974 : « Je viens à vous avec un rameau d’olivier dans la main gauche, et un révolver dans la droite. Ne faites pas tomber le rameau d’olivier. » Comme les dominateurs sont toujours un peu sourds d’oreille, ils auraient répété la phrase trois fois. Comme Arafat. En vain.
Le 7 octobre 2023, le rameau d’olivier est tombé. D’autres le ramasseront, c’est certain.
Pour poursuivre la lecture :
Source : Marc Mercier
Membre du collectif Palestine 13 (Marseille)
Co-fondateur et directeur artistique du Festival d’art vidéo /si:n/ en Palestine (2009 / 2019)
et du festival Les Instants Vidéo à Manosque puis à Marseille (1988 / 2021)
Président d’honneur du Réseau Euromed France (REF)