Trump et ses amis financent les colonies israéliennes

mercredi 22 février 2017

Ces dernières années, la famille du gendre de Donald Trump, l’ambassadeur en Israël nommé par le président américain ainsi que le milliardaire lui-même ont versé des centaines de milliers de dollars à des colonies juives en Cisjordanie.

Beit El, Alon Shvut (Cisjordanie), de notre envoyée spéciale. - Perchée sur une colline au nord de Ramallah, en Cisjordanie, Beit El attise depuis plusieurs semaines l’intérêt de la presse internationale. En cause : les largesses financières dont a bénéficié la colonie israélienne de la part de plusieurs membres de la nouvelle administration Trump.

Selon des déclarations d’impôts que Mediapart s’est procurées, la fondation des parents de Jared Kushner, le gendre et nouveau conseiller spécial de Donald Trump, a versé au total 33 000 dollars en 2012 et 2013 à cette colonie israélienne considérée comme un des bastions du sionisme religieux. Jared Kushner siège lui-même au conseil d’administration de l’organisation. Les chèques ont été adressés à l’American Friends of Bet El Institutions, une association américaine présidée par un autre ami de Donald Trump : l’avocat d’affaires David Friedman. Ce dernier a été d’ailleurs nommé au poste d’ambassadeur des États-Unis en Israël par le président américain le 15 janvier 2017 !

À Beit El, on ne compte plus les projets financés par l’association de David Friedman, notamment la création d’un centre de préparation militaire ou encore le site Internet de la radio Arutz Sheva. Lancé en 1988, ce média israélien est connu pour être le porte-voix des colons israéliens. David Friedman y a lui-même régulièrement contribué ces dernières années en y publiant de nombreuses tribunes. Preuve que son implication est tout à fait assumée, l’avocat d’affaires a également fait inscrire son nom, ainsi que celui de son épouse et de ses parents sur l’un des bâtiments destiné à une école pour filles dans la colonie. Mais c’est sans doute la Yeshiva de Beit El qui a reçu le plus d’argent de sa part. Cette école talmudique est dirigée par le rabbin Zalman Melamed, une illustre figure de la droite israélienne aujourd’hui proche du parti pro-colonisation HaBayit HaYehudi (Le Foyer juif). Ce dernier a engrangé 60 % des voix à Beit El lors des élections de 2015, loin devant le Likoud de Benjamin Netanyahou (10 %).

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Yael Ben-Yashar à Beit El le 7 février 2017. © Anthony Lesme

Dernier élément et non des moindres, Donald Trump a lui-même puisé dans ses propres deniers pour financer Beit El. Comme le prouve un document dévoilé par le Jerusalem Post, la fondation Trump a signé un chèque de 10 000 dollars en 2003 en faveur de l’American Friends of Bet El Institutions, soit l’une des plus grosses sommes allouées par sa fondation cette année-là. Une contribution personnelle qui soulève de sérieuses inquiétudes quant aux futures prises de position du président américain dans la région.

Beit El (la maison de Dieu, en hébreu) revêt une importance cruciale pour les juifs pratiquants. Le nom de cette colonie israélienne est cité « 44 fois dans la Bible », souligne Yael Ben-Yashar, guide et porte-parole de Beit El. « C’est à cet endroit que Dieu a promis à Jacob que cette terre serait pour lui et ses descendants », raconte-t-elle début février aux abords des ruines qui ont été aménagées en lieu de pèlerinage sur les hauteurs de la colonie. L’attraction principale, les restes du rocher où se serait assoupi Jacob, attire chaque année « 3 000 touristes », estime la guide, en grande majorité des évangélistes américains, mais aussi sud-coréens ou indonésiens.

L’autre temps fort de la visite consiste à monter sur une tour d’observation installée à quelques mètres de là. Avant d’emprunter un escalier, le visiteur est invité à lire sur un panneau le passage de la Genèse dans lequel Dieu s’adresse à Jacob : « Ta postérité sera comme la poussière de la terre ; tu t’étendras à l’occident et à l’orient, au septentrion et au midi. » « Le fait que Beit El existe et que les juifs y habitent aujourd’hui prouve que la promesse de Dieu s’est réalisée », juge Yael Ben-Yashar. « Il y a 500 000 juifs qui vivent ici en Judée-Samarie [Cisjordanie – ndlr]. Il faut que les gens comprennent que nous sommes ici pour rester et que nous n’avons aucune intention de partir ailleurs », ajoute-t-elle.

Contrairement à d’autres colonies israéliennes, organisées en blocs, Beit El s’érige au beau milieu de plusieurs villes arabes. La colline offre une vue imprenable sur les immeubles de Ramallah ou encore sur le village voisin de Beytin. La colonie est également collée au camp de réfugiés palestinien de Jelazone. « La plupart des Arabes veulent vivre en paix avec nous. Nous n’avons aucun problème avec eux », assure la guide de Beit El, précisant que plusieurs d’entre eux travaillent dans la colonie. « Mais une minorité vient nous jeter des pierres ou des cocktails Molotov », déplore-t-elle face au mur de séparation que l’armée israélienne a commencé à bâtir, il y a un an, pour protéger les colons.

Depuis l’investiture de Trump, le gouvernement israélien a donné son feu vert à des constructions

Dès sa création en 1977, Beit El est un des fers de lance du « Gush Emunim », un mouvement lancé au lendemain de la guerre des Six Jours en faveur de la colonisation des terres conquises par Israël en Cisjordanie. C’est dans cet esprit messianique et militant que Claire et Benjamin Dana-Picard, tous deux originaires de France, sont venus s’installer, voilà dix-sept ans de cela, dans la colonie israélienne. « C’était très important pour nous de venir habiter ici, dans une des nombreuses localités juives qui sont menacées d’être évacuées un jour », explique Claire, journaliste pour LPH Info, un site et un magazine d’information israélien en langue française. « Notre principe est simple : nous sommes sur des territoires qui ont été récupérés après la guerre des Six Jours. Nous sommes chez nous à Beit El, ici c’est chez nous », martèle-t-elle. « Ce que les Français appellent une implantation ou une colonie, lorsque ça se produit en France, on appelle ça une ville nouvelle », surenchérit son mari Benjamin, ingénieur conseil dans le transport et responsable du Likoud à Beit El.

Opposé à la création d’un État palestinien en Cisjordanie, le couple de sexagénaires conteste la notion selon laquelle les colonies seraient un obstacle à la paix. « Cette idée est assez récente en fait », rétorque Claire, affirmant que l’OLP, créé en 1964, était « décidé à détruire Israël » avant la guerre des Six Jours et « qu’Israël n’occupe les territoires ». « Le conflit n’est pas lié aux territoires », tranche-t-elle.

Selon un rapport rédigé par l’administration israélienne et dévoilé par Haaretz en 2009, Beit El est pourtant construit, en partie, sur des terres privées palestiniennes. Trois bâtiments jugés illégaux à la suite d’un recours déposé devant la Cour suprême israélienne ont d’ailleurs été rasés par l’armée en 2012. « Les gens avaient acheté le terrain à quelqu’un. Mais un autre Palestinien a déclaré qu’il était le propriétaire. Comme vous pouvez le voir, il n’a rien construit à la place, il n’a rien pu faire car c’est au beau milieu de Beit El », constate Yael Ben-Yashar.

JPEG - 37.1 ko Depuis 2016, l’armée israélienne construit un mur entre Beit El et le camp de réfugiés palestiniens de Jelazone. © Anthony Lesme

À la faveur de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, la situation pourrait néanmoins évoluer. Depuis l’investiture du président républicain, le gouvernement israélien a donné son feu vert à plusieurs plans massifs de constructions en Cisjordanie, dont « 100 nouvelles unités » à Beit El. Selon l’ONG Peace Now, plusieurs d’entre elles seront financées par l’American Friends of Bet El Institutions de David Friedman et permettront la légalisation rétroactive de projets contrariés par le passé en raison de leur illégalité.

« Contrairement à ce qu’on a pu lire çà et là, il ne s’agit pas du tout de nouvelles constructions, mais de l’approbation de constructions que nous avions planifiées depuis longtemps et qui avaient été gelées par l’administration Obama », tempère le maire de Beit El, Shai Alon. « On n’a rien pu construire depuis dix ans », fulmine-t-il, soulignant que plusieurs habitants de la colonie vivent encore dans des caravanes. Quant à la proximité de David Friedman avec Donald Trump, l’édile est enthousiaste : « Je suis très heureux que quelqu’un comme David Friedman comprenne la signification de Beit El et l’importance de nos lieux saints. Non seulement il est juif mais il comprend ce que nous faisons ici. J’espère qu’il pourra transmettre notre message à Donald Trump. »

Les proches de l’avocat d’affaires installés à Beit El préfèrent, eux, rester prudents. Sollicités à plusieurs reprises par téléphone, l’un des fondateurs de la colonie, Yaacov Katz, et l’actuel directeur du développement de Beit El, Baruch Gordon, ont refusé de répondre aux questions de Mediapart. Les deux hommes invoquent chacun de leur côté l’impossibilité de s’exprimer avant le 20 février. Une mystérieuse date butoir qui correspond sans doute au moment où leur ami David Friedman prendra effectivement ses fonctions d’ambassadeur des États-Unis en Israël. Car la nomination du généreux donateur de Beit El, notamment contestée par la branche américaine de l’ONG Peace Now, doit encore être approuvée par le Sénat américain. Repoussée depuis plusieurs jours, son audition devrait finalement avoir lieu le jeudi 16 février, soit au lendemain de la rencontre très attendue entre Benjamin Netanyahou et Donald Trump à Washington.

Beit El n’est pas la seule colonie israélienne à avoir bénéficié de la générosité de l’entourage du nouveau locataire de la Maison Blanche ces dernières années. Selon ses déclarations d’impôts, la fondation Kushner a également versé 15 000 dollars à l’Etzion Foundation en 2012 et 2013. Cette association établie dans le Gush Etzion, un des plus importants blocs de colonies en Cisjordanie, finance notamment plusieurs institutions d’éducation religieuse, en tête desquelles la Yeshiva Har Etzion, considérée comme une des plus modérées de Cisjordanie. Située dans la colonie d’Alon Shvut, cette école talmudique a été fréquentée dans les années 1980 par un autre ami intime de Donald Trump : l’avocat d’affaires Jason Greenblatt. Ce dernier, également connu pour sa sympathie envers les colons, a été catapulté par le milliardaire « représentant spécial pour les négociations internationales ». Un poste auquel il doit encore être confirmé, au même titre que David Friedman, par le Sénat américain.

« Si vous aimez Israël et que vous souhaitez soutenir les juifs et la seule démocratie au Moyen-Orient, une des solutions est de faire votre Alyah et de venir habiter en Israël. Mais ceux qui ne veulent pas franchir le pas peuvent toujours contribuer financièrement à des projets permettant de renforcer l’État d’Israël et la présence des juifs dans le Gush Etzion », résume Shani Simkovitz, directrice de l’Etzion Foundation.

Cette native de New York aujourd’hui installée dans le Gush Etzion a accepté de recevoir Mediapart le mercredi 8 février dans son bureau à Alon Shvut. Mais elle refuse de commenter les donations effectuées par la famille Kushner ou la politique menée par le président américain, pour ne pas, justifie-t-elle, « mettre en danger » son association. « Ce qui est important, ce n’est pas de savoir qui sont nos donateurs, mais les projets que nous mettons en œuvre », insiste-t-elle, citant pêle-mêle des actions en faveur des plus pauvres, des malades du cancer ou encore un mémorial récemment dédié aux trois adolescents israéliens kidnappés et tués en 2014 dans le Gush Etzion.

En tête des institutions les plus gâtées par Kushner figurent les amis de l’armée israélienne

Comme à Beit El, les habitants du « Gush » sont motivés par des références bibliques mais surtout par une présence juive antérieure à la création de l’État d’Israël. Pour le prouver, Shani Simkovitz dégaine plusieurs cartes, dont une représentant « les terres achetées en 1928 par le Fonds national juif » ou une autre, datant de l’époque jordanienne, montrant, selon elle, que « les Arabes n’ont pas habités entre 1928 et 1967 sur les terres possédées par les juifs ». L’histoire du Gush Etzion est également marquée par le massacre de 127 personnes dans le kibboutz de Kfar Etzion par les troupes arabes le 13 mai 1948, un jour seulement avant la proclamation de l’État d’Israël. En 2013, l’Etzion Foundation a financé la réalisation d’un film retraçant cet épisode traumatique.

Toujours selon ses déclarations d’impôts, la fondation Kushner a en outre versé 500 dollars en 2013 à la Yeshiva Od Yosef Chai. Une contribution certes modeste mais néanmoins troublante en raison du radicalisme de l’institution en question. Cette école talmudique est située à Yitzhar, une colonie israélienne proche de Naplouse, considérée comme l’une des plus violentes de Cisjordanie. La yeshiva est notamment soupçonnée d’avoir été la base de lancement de plusieurs attaques contre les Palestiniens et l’armée israélienne. Une réputation qui lui a valu d’être privée de financement public par le gouvernement israélien en 2011, soit deux ans avant que la famille Kushner ne se décide, elle, à lui signer un chèque.

JPEG - 41.2 ko Claire et Benjamin Dana-Picard considèrent qu’ils sont « chez eux » à Beit El. © Anthony Lesme

En tête des institutions les plus gâtées par la fondation Kushner figure par ailleurs l’association des amis de l’armée israélienne. Selon un calcul effectué par le journal Haaretz, cette institution a touché au moins 315 000 dollars de la part de la famille du gendre de Donald Trump entre 2011 et 2013. Un investissement considérable doublé d’une implication personnelle : Jared Kushner est lui-même membre du conseil d’administration de l’association des amis de l’armée israélienne. C’est en tout cas ce qu’affirmait le site internet de l’association avant que le nom du nouveau conseiller spécial de la Maison Blanche n’en soit effacé il y a quelques jours. En jeu, un possible conflit d’intérêts. La proximité de Jared Kushner avec l’armée israélienne jette en effet un lourd discrédit sur sa capacité à assurer la mission que lui a officiellement confiée Donald Trump, à savoir la gestion du dossier israélo-palestinien.

Mais pour les principaux intéressés, les largesses financières de l’entourage de Donald Trump n’apportent pas la certitude absolue que le président américain restera un allié fidèle. À Beit El, le maire avoue avoir été refroidi par les dernières déclarations de la Maison Blanche. Dans un communiqué publié au début du mois de février, l’administration Trump a rappelé qu’elle ne considérait pas la colonisation comme « un obstacle à la paix », mais a aussi affirmé que « la construction de nouvelles colonies ou l’expansion des colonies existantes au-delà de leurs frontières existantes pourraient ne pas aider ». Un sérieux coup de canif dans les espoirs de la droite israélienne, qui voyaient déjà en Donald Trump l’homme capable de faire sauter les digues maintenues pendant huit ans par l’administration Obama. « C’est la preuve que rien n’est sûr et que tout n’a pas changé du jour au lendemain », souffle Shai Alon.

De là à croire que le président américain a « lâché » Benjamin Netanyahou ? Rien n’est moins sûr. De fait, la Maison Blanche est restée inhabituellement silencieuse ces derniers jours face aux rafales de nouvelles constructions annoncées par le premier ministre israélien ; et elle n’a pas davantage réagi le 6 février à l’adoption par la Knesset d’une loi visant à légaliser une cinquantaine d’avant-postes illégaux construits en Cisjordanie. Le texte, qui permet l’expropriation de terres privées palestiniennes, a été condamné par l’ONU et fait déjà l’objet de plusieurs recours devant la Cour suprême israélienne.

Aux yeux de Shani Simkovitz, cette loi « devait arriver ». « Nous ne pouvions pas continuer avec cet éternel conflit et tous ces meurtres. La prochaine étape est de voir comment nous allons pouvoir vivre avec nos voisins arabes », estime-t-elle. « Si Trump met en œuvre ne serait-ce qu’une partie de la politique qu’il a promise, cela se passera mieux pour nous », veut croire, lui, Benjamin Dana-Picard. Dans la région, un silence vaut parfois mieux qu’une longue déclaration.

Par Chloé Demoulin sur Médiapart.

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