"les Colons" - documentaire sur Arte
Arte a diffusé mardi 27 à 20 h 55 un documentaire de Shimon Dotan intitulé “Les Colons” (2 épisodes de 50 mn).
Voir le 1er épisode
voir le 2e épisode
[*la présentation sur Télérama :*]
Synopsis
Les années 90 voient les colons, un temps freinés dans leur essor, accroître leur présence et renforcer leur rôle auprès de la classe politique. Entre les deux Intifada - de 1987 à 1993 et de 2000 à 2006-, durant lesquelles le monde mesure la colère des Palestiniens contre l’occupation, le Premier ministre Yitzhak Rabin gèle les constructions puis signe les accords d’Oslo, déchaînant la violence de ceux qui veulent « sauver la terre ». Son assassinat en 1995 par un sioniste religieux met un terme au processus de paix et laisse le champ libre aux extrémistes. Rassurés par les murs de séparation, les routes réservées et les aides gouvernementales, des colons d’un type nouveau apparaissent, aux visées moins idéologiques, mais attirés par des opportunités soco-économiques.
Critique du 24/09/2016
Depuis la victoire de l’Etat hébreu lors de la guerre des Six-Jours, en 1967, des centaines de milliers d’Israéliens se sont installés dans les territoires occupés de Cisjordanie. Au nombre de 4 000 en 1977, les colons sont aujourd’hui 400 000 — sans compter ceux de Jérusalem-Est. Un processus d’implantation de près de cinquante ans mis en oeuvre par les gouvernements successifs — de gauche comme de droite —, qui conduit à une situation tragique et inextricable, condamnant tout à la fois le processus de paix d’Oslo et la perspective d’un Etat palestinien.
Tandis que de nombreux films abordent les répercussions de la colonisation sur la population palestinienne, peu ont choisi de raconter l’histoire du mouvement des colons (1) , leur stratégie du fait accompli, leur impact grandissant sur la société israélienne. Mêlant analyse historique et investigation, le film étudie le substrat idéologique des promoteurs d’une inlassable colonisation, pointe le danger qu’elle fait courir à tout le Proche-Orient.
Fort de rares archives audiovisuelles, le film alterne éclairages de spécialistes — l’universitaire Moshe Halbertal, le journaliste Akiva Eldar... — et propos de colons, dont il explore les différents groupes (messianiques fanatiques, exaltés américains, opportunistes économiques...). Des séquences tournées dans divers avant-postes disent la haine qui anime certains d’entre eux : « Le rôle du peuple d’Israël est de conquérir la Terre. Pour la transmettre et bannir les non-juifs. Les Arabes n’ont rien à faire ici, je suis raciste », affiche tranquillement l’un d’eux. Tandis qu’un autre promet à son mouflet que « lorsqu’il sera grand, il viendra avec lui battre les Arabes ». Inexorablement, le film déroule le canevas d’une impasse explosive, à quelques encablures des fronts syrien et irakien, de la menace de l’Etat islamique.
Marie Cailletet
[**et sur l’ORIENT XXI*]
« Les colons », un documentaire d’Arte
De braves gens qui font de mauvaises choses ?
Les Colons, documentaire en deux parties du réalisateur israélien Shimon Dotan. Celui-ci a voulu avec ce film proposer une « exploration en profondeur » de ceux qui incarnent la politique de colonisation et exercent de ce fait une influence déterminante dans la non-résolution du conflit israélo-palestinien.
Décryptage.
— Êtes-vous un colon ?
— Colon ? Habitant…
— Quelle est la différence ?
— C’est une question de sémantique, uniquement.
— Quelle est la différence sémantique entre les deux ?
— Un colon, c’est quelqu’un qui s’installe sur une terre qui ne lui appartient pas. Un habitant, lui, revient s’installer sur la terre de ses ancêtres.
— Alors, comment vous considérez-vous ?
— Vous avez raison… Un instant… On peut recommencer ?
On ne recommencera pas, cette fois-ci, toutefois une chose est sûre : la petite « différence sémantique » a de grandes conséquences sur la vie des Palestiniens et la possibilité d’un État palestinien. Car la condition de sa continuité territoriale est rendue totalement irréalisable, tant le territoire occupé de la Cisjordanie (et de Jérusalem-Est) est noyauté par les « implantations », lacéré en tous sens par les murs et les itinéraires de contournement, spolié de ses terres les plus fertiles et de son eau.
Mais Shimon Dotan n’a pas choisi cet angle. Il a privilégié l’exploration en profondeur des motivations des individus : « radicaux, idéalistes, fanatiques messianiques, vrais croyants et opportunistes, tous vivant sur les lignes de faille d’un conflit ancestral », précise la présentation de la chaîne franco-allemande Arte. L’ensemble de ces portraits, souvent en plans fixes, permettent en effet d’apprécier le discours de leur détermination irrationnelle — la prophétie biblique, la vision messianique, le « grand Israël » du Nil jusqu’à l’Euphrate — et/ou résolument conquérante et raciste. Ils alternent avec le récit de l’établissement des colonies par les « pionniers » depuis 1967, illustré par des documents d’archives et commenté par différents témoins et chercheurs.
Si la politique d’apartheid est clairement exposée, avec ses routes réservées aux colons, le(s) mur(s) et la spoliation des terres palestiniennes, il n’en reste pas moins que le spectateur peu au fait risque d’en retirer l’impression que l’État d’Israël, impuissant, n’en finit pas de devoir gérer à son corps défendant une politique agressive du fait accompli. Comme si s’interroger sur les profils, les motivations, l’argumentaire et la vie des colons faisait disparaître la question centrale du fait colonial israélien, qui est à la fois une politique assumée et la première des violences. Celle qui tout à la fois légitime, autorise, finance (très généreusement) et justifie chacun des actes de ces « fous de Dieu », dont Shimon Dotan dit pourtant que « ce sont de braves gens qui font de mauvaises choses », dans un entretien au journal Haaretz. Néanmoins ne grinçons pas des dents, ne crachons pas dans la soupe : le récit historique comme les portraits de ces femmes et de ces hommes aux sourires angéliques valent tout de même bien deux fois 52 minutes de notre attention.
Selon le Bureau central des statistiques israélien, il y avait environ 400 000 colons en Cisjordanie en 2014. Pour l’ONG israélienne B’Tselem, ce chiffre est sous-estimé ; il monterait à 531 000 personnes pour la même année. Par ailleurs, on compte quelque 200 000 colons à Jérusalem-Est.
Entre 1967 et 2012, 125 colonies ont été établies en Cisjordanie occupée. Et il existe une centaine d’« avant-postes » illégaux même pour Israël mais — là encore — soutenus par l’administration.
Françoise Feugas
http://orientxxi.info