Le massacre de familles palestiniennes par Israël est un crime de guerre
Si l’armée israélienne l’avait voulu, elle aurait pu savoir exactement qui se trouvait dans la pauvre maison qu’elle visait à Gaza. Mais elle s’en fichait, et maintenant une petite fille se retrouve seule au monde.
Ceux qui bombardent des maisons depuis un avion de chasse en pleine nuit sans vérifier qui est à l’intérieur sont des criminels de guerre. Ceux qui prétendent qu’ils ne voulaient pas tuer les neuf membres de la famille palestinienne al-Sawarkah mentent pour ne pas avoir à répondre de leurs actes, mais leurs mains sont couvertes du sang des innocents.
Ils ne voulaient peut-être pas assassiner neuf personnes dans leur sommeil – dont trois enfants et deux nourrissons – mais ils n’ont certainement pas fait ce qu’il fallait pour ne pas les tuer. Rien ne peut justifier ce qu’on fait les Forces de défense israéliennes (FDI), les services de renseignement israéliens et, bien sûr, les pilotes des Forces aériennes israéliennes.
La déclaration du chef du Commandement Sud, le général de division Herzi Halevi, est remarquable d’indifférence et d’inhumanité : « Ce genre de choses peut arriver », a-t-il simplement dit. Ses paroles faisaient sans doute écho à ce qu’a répondu l’ancien chef d’état-major des FDI, Dan Halutz, à quelqu’un qui lui demandait ce que cela faisait de larguer des bombes sur des civils innocents : « On sent comme un léger tremblement dans l’aile de l’avion ».
Pas un mot de remord, ni de regrets, ni d’excuse, mais un refus absolu d’assumer une quelconque responsabilité. Il n’est, bien sûr, même pas question de parler d’indemnisation, parce que pour l’armée ces morts n’ont aucune importance. Si les FDI sont l’armée la plus morale du monde, et le Hamas et le Djihad islamique palestinien sont des organisations terroristes, comment qualifier ceux qui tuent neuf civils sans défense en train de dormir chez eux ?
Que faut-il de plus pour que les Israéliens commencent à se rendre compte que leur armée tant aimée et admirée est une armée brutale qui a perdu toute mesure et tout sens moral et que Gaza n’est pas une banque de cibles ? Que faut-il de plus pour qu’ils commencent à comprendre qu’une armée qui a inventé un homme recherché qui n’a jamais existé pour justifier le meurtre d’une famille est une armée malade. Qu’il est impossible de bombarder Gaza avec des avions de combat sans tuer des innocents. Qu’il y n’y a pas un seul endroit, dans l’enclave densément peuplée, exempt de civils sans refuge, qu’il n’y pas de sirène d’alerte avant les tirs de missiles, ni de système de défense comme le Dôme de fer. Que Gaza n’est pas juste un nid de guêpes et un foyer terroriste, mais d’abord et avant tout la demeure surpeuplée de pauvres gens soumis à une occupation israélienne qui n’a jamais pris fin dans la bande de Gaza.
Les réfugiés des quatrième et cinquième générations, qu’Israël a emprisonnés il y a 13 ans dans la plus grande cage du monde en attendant d’eux qu’ils se tiennent tranquilles, qu’ils se soumettent, et jettent du riz aux avions qui les bombardent et sur la clôture qui les emprisonne.
Les révélations cauchemardesques de Yaniv Kubovich de Haaretz, jeudi dernier, rejoignent le rapport de Kubovich du 15 novembre, qui décrit la chaîne des événements de Deir el-Balah dans leur intégralité et met en lumière une situation incroyable dans laquelle l’armée bombarde des cibles sans vérifier ce qu’elles contiennent et surtout qui se trouve à l’intérieur.
On s’aperçoit donc que ce n’est pas seulement une erreur de ne pas avoir vérifié, mais que c’est la norme. Notez bien l’horrible élément de langage utilisé dans les déclarations de l’Unité du porte-parole de l’armée pour décrire le processus : « Incriminer la maison », comme si une maison pouvait être incriminée. « Valider l’incrimination », comme s’il s’agissait d’un ticket de bus, et bien sûr « Banque de cibles ». Celui qui voit un endroit sinistré comme une « banque de cibles » se moque bien de tuer des enfants endormis.
L’idée que les services de renseignement des FDI, qui connaissent la couleur des sous-vêtements de tous les scientifiques nucléaires iraniens de Fordow, ne savent pas qui se trouve dans une cabane de Deir el-Balah avant de la bombarder est bien sûr ridicule. Si l’armée l’avait voulu, elle aurait pu savoir exactement quoi et qui se trouvait dans la pauvre bicoque. Mais ce n’était tout simplement pas assez important pour les FDI. D’abord, vous lâchez une bombe intelligente JDAM, en mode automatique*, sur une cabane en tôle et ensuite vous vérifiez.
Mais cet incident s’est avéré être trop insignifiant et anodin pour en faire mention. La plupart des Israéliens n’ont jamais entendu parler de ce qui s’est passé en leur nom à Deir el-Balah, et ils s’en moquent. A l’exception de Haaretz, le lendemain de l’attaque, les médias israéliens n’ont quasiment pas rendu compte de ce qui s’était passé. Les lecteurs du quotidien gratuit Israel Hayom n’ont pas su que l’armée avait tué neuf personnes, et les lecteurs du quotidien de masse Yedioth Ahronoth ont dû se donnent beaucoup de mal pour trouver l’information dans le journal. Un tel massacre n’était pas assez présentable pour la Une de l’ancien « journal national ». De toute façon, les correspondants militaires, qui figurent parmi les pires spécimens de la presse israélienne, étaient bien trop occupés à couvrir le championnat de sports de combat de l’armée.
« C’était une cible simple, et aucun civil n’était censé se trouver là », explique le dispositif de propagande de l’armée. Une fois de plus, les Arabes sont à blâmer pour leur propre mort. Ils n’auraient pas dû être là. Et où devraient-ils être ? Dans la mer ? Dans le ciel ? « Nous sommes méticuleux, » dit Halevi, à côté de qui le pire menteur passe pour un simple amateur. « Ceinture noire » est le nom que l’armée a donné à l’opération à Gaza, une opération des plus courageuses, à marquer d’une pierre noire.
Et Nariman ? Qui se soucie de Nariman ? Nariman al-Sawarkah est une fillette de 10 ans qui vivait dans cette masure et qui n’avait pas de présent ni d’avenir. Dans la nuit du 14 novembre 2019, des pilotes de l’armée de l’air israélienne ont tué sa mère, son père, ses trois frères, son oncle, sa tante et ses deux petits cousins. Nariman est resté seule au monde. Le chef du Commandement Sud dit que ce genre de choses peut arriver. Ceux qui commettent ce genre de choses doivent être poursuivis devant la Cour pénale internationale de La Haye.
Gidéon Lévy
Haaretz – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
Gidéon Lévy : Né en 1955, à Tel-Aviv, est journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Ha’aretz. Il vit dans les territoires palestiniens sous occupation.