Aux marges des empires, l’histoire engloutie du quartier maghrébin de Jérusalem
En 1962, la France n’a pas seulement renoncé à l’Algérie. Elle a aussi perdu, à 3 000 kilomètres d’Alger, quelques milliers de mètres carrés. Le « quartier maghrébin » de Jérusalem se situait au cœur d’un réacteur nucléaire historique, politique et religieux : au pied du mur occidental ou mur des Lamentations, lieu sacré du judaïsme, révéré par l’islam comme le mur de Bourak. Et à l’ombre du Haram Al-Sharif, l’esplanade des Mosquées, le mont du Temple pour les juifs. Cinq ans plus tard, le quartier maghrébin disparaît physiquement en une nuit : 650 habitants sont expulsés par l’armée israélienne et 135 maisons rasées le 10 juin 1967, dès son entrée à Jérusalem-Est. L’événement, qui signe la fin de huit cents ans d’existence de ce lieu si particulier, passe inaperçu dans le grand basculement de la conquête israélienne du reste de la Palestine mandataire.
Le quartier maghrébin de Jérusalem vers 1929
Library of Congress
Là où il y avait des maisons à terrasses, des arbres, une mosquée, une zawiya (maison commune), on ne voit aujourd’hui qu’un grand parvis nu et dallé, qui ouvre la perspective sur le mur. Comme si le quartier maghrébin avait vécu dans une autre dimension, « dans un espace-temps particulièrement complexe à démêler, à dénouer, à déplier », répond l’historien Vincent Lemire dans son ouvrage Au pied du mur, vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem (1187-1967).
Cet espace-temps est celui des empires, de Saladin à la République coloniale française. Le temps des nations y a mis fin. La propagande israélienne a prétendu avoir rasé quelques masures, afin de dégager les abords du lieu saint auquel les fidèles juifs n’avaient plus accès depuis la guerre de 1948, quand la Jordanie avait conservé la partie est de Jérusalem. En réalité il s’agissait d’un site qui fut « pendant des siècles abondamment administré », écrit Vincent Lemire. Les archives témoignent de sa dimension mondiale. On les trouve à Jérusalem, à Istanbul, à Genève dans les armoires de la Croix-Rouge, à Nantes dans les dossiers de la diplomatie française. Le récit de leur recherche et de leur interprétation constitue l’un des attraits de l’ouvrage, récit fourmillant de détails.