EXCLU FOOT - Noureddine Ould Ali : « La Palestine est une sélection exceptionnelle » Une sélection pas comme les autres. Malgré l’incessant conflit avec Israël
Une sélection pas comme les autres. Malgré l’incessant conflit avec Israël, la Palestine poursuit son développement du football à travers son équipe nationale. Et s’il reconnaît la particularité d’exercer dans un tel contexte, son sélectionneur Nourredine Ould Ali tend à se concentrer uniquement sur l’aspect sportif. Entretien exclusif avec l’entraîneur algérien.
Noureddine Ould Ali, sélectionneur de la Palestine
Noureddine Ould Ali, c’est un nom plutôt méconnu du grand public en France. Peux-tu retracer ton parcours ?
Je suis Algérien de naissance et Marseillais d’adoption. Les Marseillais me connaissent pour mon travail au sein des clubs de la région. J’ai effectué le plus gros de ma carrière d’entraîneur en Algérie au Mouloudia d’Alger, mais j’ai commencé à l’US Chaouia. À l’époque, le club était en Première Division et je m’occupais de la cellule jeunes. Mon parcours en Algérie, c’est également le CS Constantine, le Mouloudia d’Alger donc mais aussi l’USM Alger avec notamment Rolland Courbis. Concernant mon parcours en France, je l’ai surtout passé dans la formation des jeunes à Marseille. J’ai aussi deux expériences internationales : l’une avec la sélection U19 du Bahreïn et la deuxième avec la sélection de la Palestine.
En 2010, tu es appelé par l’UNECATEF afin de devenir adjoint de Moussa Bezzaz à la tête de la Palestine. Tu as rapidement répondu favorablement, et ce, malgré le contexte particulier dans ce pays. Pourquoi ?
Parce qu’il me fallait un nouveau défi, un nouveau challenge. J’avais déjà entamé ma carrière en Algérie mais je restais un jeune entraîneur. Alors je me suis dit : « Pourquoi pas une sélection ? ». C’est un nouveau mode de préparation. Et avec une sélection, ça peut ouvrir à d’autres choses. J’ai appris un autre mode de management. On a ce qu’on fait en Europe, en Afrique, et on a ce qu’on fait en Palestine. On gère l’imprévu en fait. Il y a tout ce qui se fait dans le football de manière ordinaire mais avec tous les aléas de (il cherche ses mots)… de la vie en Palestine.
Tu débutes ton aventure avec la sélection en 2010. C’était la première fois que tu te rendais en Palestine ?
Oui, c’était la première fois et il y avait quelques appréhensions.
Comment ça s’est passé ?
C’était difficile : huit heures de garde à vue, des interrogations… Cet épisode-là, c’est du passé. Pour un entraîneur, l’essentiel est d’être et de s’exprimer sur le terrain avec les joueurs.
Tu as effectué un premier passage de 2010 à 2012, puis un second de 2015 à aujourd’hui. Pourquoi ?
Lors de mon premier passage en Palestine, de 2010 à 2012, il y a eu l’échec de la qualification en Coupe d’Asie. Par principe, je suis venu avec un entraîneur et je repars avec lui, même si j’ai eu des propositions pour rester. L’étape suivante, en 2015, c’est lorsqu’ils m’ont rappelé pour faire partie du staff et être un membre actif, j’avais des prérogatives. Puis en 2018, je suis devenu l’entraîneur en chef de la sélection.
Sélectionneur, c’est déjà un métier à part dans le monde du football. Ça l’est davantage lorsqu’on est à la tête de la Palestine ?
Comme je l’ai dit, c’est un tout autre mode de management. Il y a le management ordinaire de sélections et il y a le management de la sélection palestinienne, car il faut tenir compte de l’impact de la situation. En Palestine, le football est un secteur populaire.
Lorsqu’on est sélectionneur de la Palestine, on a une mission, un rôle qui va au-delà du football ?
Non, non. Moi je suis entraîneur, je me contente du football, de préparer mon équipe et de la mener à une performance. Pour ce qui se trouve autour et en dehors du football, je m’y intéresse. Mais mon seul rôle, c’est d’entraîner cette sélection.
À quoi ressemble ta vie personnelle là-bas ?
Je discute beaucoup avec les membres actifs du football en Palestine. Certains me demandent des conseils et c’est toujours avec plaisir que je réponds à leurs sollicitations. Sinon, c’est de suivre les joueurs, soit ceux qui évoluent à l’étranger, soit ceux qui évoluent ici. Parfois, j’ai aussi d’autres missions de développement du football, notamment auprès des jeunes.
En raison des difficultés à rallier le sol palestinien, la sélection est plutôt composée de joueurs évoluant en Palestine ou à l’étranger ?
Comme partout ailleurs, on prend les meilleurs. J’ai 60 % de joueurs locaux et le reste vient de différents championnats : Suède, Égypte, Maroc, États-Unis, Suisse, Malaisie… Comme tout sélectionneur, je prends les meilleurs. Si le local est meilleur que celui qui vient de l’extérieur, je le prends sans conteste.
Où en est d’ailleurs le championnat palestinien ?
Il y a un championnat local professionnel, composé de douze équipes. Et comme tout autre championnat dans le monde, il fonctionne sur un mode aller-retour. Il y a également une Coupe de la Ligue et une Coupe de Palestine, ainsi qu’un championnat semi-professionnel 1 qui est en Cisjordanie et l’autre à Gaza.
L’équipe de Palestine lors d’un match face à la Jordanie, en Coupe d’Asie 2019
Toi qui connais le football français, à quelle division hexagonale comparerais-tu le championnat palestinien ?
Quelques équipes peuvent évoluer en CFA (National 2, NDLR) tranquillement. En Palestine, il y a aussi le développement des jeunes à travers le championnat jeunes.
Certains joueurs sont réticents à rejoindre la sélection ?
Non, ça leur fait plaisir de rejoindre la sélection de leur pays. Je n’ai aucun problème là-dessus. Par rapport au contexte, ils subissent ce que tout le monde subit. Mais ça, c’est une parenthèse dans notre préparation.
Comment est l’état d’esprit du groupe ?
Notre seule mission, c’est le football. J’essaye d’amener mes joueurs à ce discours-là, que ce qui nous intéresse, c’est le terrain et la performance. On est challenger, on va au défi à chaque fois.
Il y a eu des moments éprouvants ?
Être en équipe de Palestine, c’est tout le temps éprouvant. Mais encore une fois, ce qui nous intéresse, c’est la compétition, le match et la concurrence entre joueurs. C’est vrai que c’est spécial. La sélection de la Palestine, on la gère d’une manière exceptionnelle parce qu’il y a des problèmes que l’on ne peut pas trouver ailleurs et qu’on retrouve chez nous. On est obligé de trouver des solutions. Et ce sont des solutions que l’on doit trouver à très court terme.
Quel rôle joue la Fédération internationale de football (FIFA) auprès de la Palestine ?
Je pense qu’elle doit protéger le football et les sportifs palestiniens et doit déjà appliquer la règle du fair-play.
Dans un entretien accordé à France Football en 2015, tu disais : « Je pense que Joseph Blatter (président de la FIFA de 1998 à 2015) est un ami de la Palestine. » En quoi l’est-il ?
Il a beaucoup aidé et participé au développement de la Fédération palestinienne, c’est dans ce sens que j’ai dit ça.
Et aujourd’hui, comment ça se passe avec Gianni Infantino ?
Ça je ne sais pas, je ne peux pas te dire. Mais je pense que la FIFA doit accompagner la Palestine qui est en voie de développement dans le football, et ce, dans tous les secteurs : que ce soit dans la formation, au niveau des infrastructures…
Dans cette même interview, tu disais : « Le football avance en Palestine grâce à son président, Djibril Rajoub ». En quoi le fait-il avancer ?
Pour moi, c’est un président qui a beaucoup de charisme. Il est à l’écoute et beaucoup dans le développement (il coupe)… C’est quelqu’un qui veut aller de l’avant. Un président qui pousse tout le monde, c’est bon et positif pour la sélection. En général, quand on a un patron qui t’encourage à aller de l’avant, c’est bon signe. C’est ce qu’il fait depuis qu’il est à son poste de président.
Quelle place possède le football en Palestine ?
C’est un sport populaire comme dans tous les pays où le football est le sport roi. Il y a un véritable engouement du peuple envers cette discipline.
En 2015, la Palestine participe à la première Coupe d’Asie des Nations de son histoire, puis à sa seconde quatre ans plus tard. C’est signe de progrès.
Bien sûr ! La première, c’était un peu la découverte. Ensuite la seconde, on a essayé de faire mieux que la précédente et de sortir de cet esprit d’outsider. On a cassé cette tradition. On a fait une bonne Coupe d’Asie, malgré le fait d’être passé à un cheveu de la qualification.
Actuellement, vous disputez la phase de qualifications à la Coupe du Monde 2022 au Qatar. La Palestine pointe malheureusement à la dernière place du groupe D. Quels sont les objectifs désormais ?
Mathématiquement, c’est toujours possible de se qualifier. Après, il faut gratter pas mal de points pour la qualification à la Coupe d’Asie. Si ce n’est pas possible pour la Coupe du Monde, la Coupe d’Asie doit être entre nos mains.
Quand on sait qu’une Coupe du Monde à 48 équipes arrive en 2026, on se dit qu’on a plus de chances de participer à la compétition ?
Pour se qualifier et se préparer à disputer une Coupe du Monde, il faut déjà être prêt et disposer de gros moyens. De grandes nations ne parviennent pas à se qualifier parfois. Il faut de gros moyens, des joueurs de grande qualité, une grande formation. Ce qui nous bloque actuellement.
En 2018, la Syrie, qui opère également dans un contexte particulier, a frôlé la qualification au Mondial en étant seulement éliminée en barrage par l’Australie. C’est un exemple à suivre pour la Palestine ?
La Syrie est une plus grosse nation de football, déjà. Le contexte syrien est ce qu’il est. En Palestine, c’est compliqué depuis longtemps. On voit ce qu’ont fait ces pays comme la Syrie ou certains limitrophes comme Bahreïn (barragiste à la Coupe du Monde 2006 face à Trinité-et-Tobago, ndlr), à savoir être proche de se qualifier pour la Coupe du Monde. On sait que c’est possible et qu’on est capable de le faire. Mais pour ça, il faut être très bien préparé. On a envie d’y aller, c’est dans l’esprit des joueurs en tout cas.
En octobre s’est tenue la rencontre historique entre la Palestine et l’Arabie Saoudite. Comment a-t-elle été vécue au pays ?
C’était un événement, comme une fête nationale ! La Palestine était contente d’accueillir l’Arabie Saoudite pour la première fois. Pour nous, c’était un peu le (il cherche ses mots)… on ne va pas dire le match du siècle, mais l’opposition de référence à domicile. Un mois avant, on avait battu l’Ouzbékistan, mais l’Arabie Saoudite c’était spécial, déjà parce que c’est un pays arabe et aussi parce qu’il s’agit d’un des meilleurs pays de cette sphère asiatique.
Comment as-tu abordé ce match particulier avec tes joueurs ?
Le fait de jouer à domicile, déjà, c’est un plaisir et une performance. Concernant le discours que je leur ai tenu, je leur ai dit de mépriser tout ce qu’il y a autour de cet événement, de rester fixés sur le rectangle vert et ce qu’ils savent faire. Il faut que ce soit plus une motivation qu’une contrainte.
L’équipe de Palestine lors d’un match face à la Jordanie, en Coupe d’Asie 2019
Ce match, ça inspire à organiser une rencontre entre la Palestine et Israël ?
(Il souffle) Cela sort du cadre technique. Et ça sort aussi de mon cadre. Ce sont les politiques qui doivent décider de cela, ce sont eux qui sont mieux placés pour parler de ça.
Personnellement, tu as des échanges avec des dirigeants, des sportifs ou des entraîneurs d’Israël ?
Non, je n’ai pas d’échanges. Je suis ici, je me contente de ce que je fais en Palestine.
Affronter la France un jour, c’est un objectif ?
Bien sûr, ce serait un plaisir de disputer un grand match contre une grande équipe comme la France. Et si c’est avec la Palestine, ce serait encore mieux. Mais à court ou à moyen terme, je ne pense pas que ce soit possible d’organiser un tel match… Mais peut-être à l’avenir, on l’espère !
Cela fait désormais un bout de temps que tu exerces en Palestine. As-tu constaté des avancées majeures dans le football palestinien ?
Oui ! On a déjà réussi à casser ce complexe d’outsider. Maintenant, toutes les équipes qui nous affrontent nous prennent au sérieux. Il y a beaucoup d’exemples. Je peux te parler de cette dernière année où l’on a affronté pas mal d’équipes, comme la Chine de Marcello Lippi, qu’on a failli battre chez elle. On a également fait un grand match contre l’Iran de Carlos Queiroz. On a bougé pas mal de nations : l’Irak, l’Ouzbékistan qu’on a battu, l’Arabie Saoudite dernièrement... L’équipe est capable d’avancer. Le plus important est d’y croire, tout doit se passer dans la tête. C’est vrai qu’il y a l’aspect technique et tout ce qui est en relation avec le terrain, mais il faut être capable de casser cette barrière mentale qui permettra à la sélection d’être plus performante à l’avenir.
Finalement, on constate que la politique est toujours présente. Cela pèse sur le sportif ?
Bien sûr, ça pèse. Que ce soit directement ou indirectement. Après, mon rôle, c’est de faire avancer cette équipe. Non pas de faire oublier aux joueurs leur quotidien, mais de leur permettre d’augmenter leur performance. Avec toujours ces facteurs extérieurs négatifs. Donc comme je te l’ai dit : c’est une sélection exceptionnelle, donc il faut des discours exceptionnels. Notre mode de management est différent de tous les autres.
Le football, c’est justement une arme politique en Palestine ?
C’est une arme politique pour les politiques. Après pour moi, ça doit rester du football. C’est tout ! Ça doit se passer sur le rectangle vert. Et si ce sont des motivations individuelles et que ça peut aider le mental du groupe, alors elles sont les bienvenues.
On a tendance, nous journalistes, à te poser régulièrement des questions en rapport avec le contexte palestinien. Tu trouves cela lassant ?
Pour moi, oui, c’est très lassant, car je suis là pour entraîner. On n’a pas fait appel à moi pour être dans la diplomatie et régler les problèmes politiques. Je suis là pour régler des problèmes techniques liés au football et à la vie du groupe en sélection. Ma mission est uniquement sportive. Je suis entraîneur de foot, donc je préfère les questions sur mes diplômes, mon parcours, mes ambitions personnelles. C’est vrai que c’est lassant de toujours revenir sur le contexte. Ce conflit, il est réel. Et ce n’est ni toi, ni moi qui l’avons créé. Ni même cette génération d’acteurs du football en Palestine. Je suis venu et j’ai accepté de travailler dans ces conditions. J’assume ce choix. C’est un challenge, j’ai appris beaucoup de choses dont un nouveau mode de gestion qui n’est pas normal, qui est exceptionnel. Après, on essaye de se fixer des objectifs individuels et collectifs, que ce soit avec le groupe de la sélection ou à la Fédération.
Justement, quels sont tes objectifs personnels désormais ?
Ils sont parfois liés à la sélection, parfois liés à mon futur parcours et à mes futures ambitions dans le football. J’ai fait l’Afrique, un peu l’Asie. Mon prochain objectif sera peut-être de trouver un nouveau projet en Europe. J’ai le diplôme qu’il faut pour entraîner là-bas. Donc je pense que mon prochain objectif, ce sera d’attaquer l’Europe.
Source : Florian Sermaise - Onze
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