En Allemagne, la lutte contre l’antisémitisme tourne à la chasse aux sorcières
Certains journalistes et intellectuels sont la cible de vives campagnes en Allemagne contre leur antisémitisme supposé. Mais outre l’islamophobie débridée que ces dénonciations médiatiques révèlent, ce sont en réalité des voix critiques d’Israël, y compris juives et israéliennes, qui se retrouvent ainsi clouées au pilori.
En Allemagne, la vigilance contre l’antisémitisme semble admirable. L’État et la société civile paraissent avoir accompli quelque chose de remarquable : institutionnaliser la culture du souvenir, tout en empêchant l’antisémitisme de réapparaître sous des formes contemporaines. La philosophe américaine Susan Neiman, basée à Berlin, soutenait dans un livre paru en 2019 que les Américains avaient beaucoup à apprendre de la Vergangenheitsaufarbeitung allemande, ou « travail sur le passé »
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Mais Susan Neiman elle-même a dû revenir sur cet argument. En février 2022, sept journalistes arabes et musulmans ont perdu leur emploi au sein de la radio publique Deutsche Welle à la suite d’accusations d’antisémitisme publiées par le quotidien Süddeutsche Zeitung. Dans un article du magazine juif américain Jewish Currents consacré à ce sujet, Susan Neiman dit au journaliste Alex Kane : « ce qui est apparu ces deux dernières années, c’est le dérapage de l’expiation [de la Shoah] vers des pratiques maccarthystes ; de nombreuses personnes (…) ont été forcées de quitter leur emploi, et de nombreuses autres se sont vues refuser des financements, des prix ou des espaces de représentation ».
Des journalistes se décrivent comme cernés par une culture opaque de surveillance et d’intimidation. Maram Salem, une Palestinienne originaire de Cisjordanie occupée qui a fait partie des premiers journalistes licenciés par la Deutsche Welle déclare à Currents : « On croit qu’en Allemagne on est protégé en tant que journaliste, mais on vit dans la peur. Cela me rappelle les dictatures. Et je viens d’une région où les opinions et la liberté d’expression des médias ont toujours été attaquées. Je ressens exactement la même chose ».