En Israël, « l’absence d’égalité est au cœur de tout

dimanche 23 juillet 2023

En Israël, « l’absence d’égalité est au cœur de tout »

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Publié le mardi 4 juillet 2023
Pierre Barbancey - l’Humanité

49.3, 47-1... À l’occasion de la réforme des retraites, la Constitution française a été l’objet de toutes les attentions. Certains prônent le besoin d’en changer. Cet été, nous réalisons un tour du monde pour comprendre comment naissent ou ne naissent pas les Lois fondamentales. Israël ne possède pas de Constitution. La question est au centre des manifestations contre la réforme judiciaire voulue par Netanyahou.

Lorsque, le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies se prononce pour la résolution 181 qui consacre le partage de la Palestine mandataire, il est expressément prescrit l’adoption d’une Constitution démocratique pour les deux États qui voient le jour.

À la création d’Israël, en mai 1948, la déclaration d’indépendance ­affirme : « La mise en place des institutions élues et régulières de l’État se fera conformément à la Constitution qui sera établie par l’Assemblée constituante élue. »

Yasser Arafat à Ariel Sharon : « Qu’il m’envoie sa Constitution et je lui promets de l’adopter en tout point  »

Las, soixante-quinze ans plus tard, Israël ne possède toujours pas de Constitution. L’État palestinien, lui, n’existe toujours pas. On se souvient qu’au début des années 2000, alors qu’Ariel Sharon voulait connaître la Constitution palestinienne, Yasser Arafat avait répondu dans un éclat de rire : « Qu’il m’envoie la sienne et je lui promets de l’adopter en tout point. »

Theodor Herzl, le théoricien du sionisme, s’y intéressait lui-même assez peu. Ainsi, Otto Pfersmann, directeur d’études à l’Ehess, note dans un article publié dans le magazine Cités, en 2011 : « Pour Herzl, comme il le développe dans son ouvrage l’État des juifs, la question constitutionnelle est secondaire parce qu’elle est subordonnée à la finalité d’établir un État. Le vrai problème est qu’il faut que quelqu’un agisse pour les juifs qui ne peuvent le faire pour eux-mêmes. Il s’agit de préparer, entre autres, l’institution du nouvel État qui se présente en plusieurs étapes. La première exige l’occupation de territoire pour un peuple non encore politiquement constitué. »

Mais, en réalité, les opposants à l’établissement d’un tel texte sont nombreux. Les religieux en particulier, pour qui seule la Torah peut servir de Constitution, n’ont jamais été enthousiastes, même s’ils affirmaient publiquement le contraire. David Ben Gourion, père fondateur et chef du nouvel État, se méfiait des juges et a tout fait pour éviter l’adoption d’une Constitution.

Une Assemblée constituante, qui va s’appeler « première Knesset », a bien été élue en 1949, chargée d’élaborer une Constitution pour l’État d’Israël. Un compromis est trouvé, surnommé « décision Harari », qui prévoit que la Constitution sera établie « chapitre par chapitre », chacun d’entre eux constituant une Loi fondamentale. On en compte onze, allant des « Terres d’Israël » (1960) à « l’État-nation du peuple juif » (2018) en passant par « l’Économie nationale » (1975) et « Jérusalem capitale d’Israël » (1980).

C’est ainsi que la Cour suprême est la plus haute instance d’appel de l’État d’Israël.

C’est pourquoi la Cour suprême est la plus haute instance d’appel de l’État d’Israël et que, conformément à la Loi fondamentale sur le système judiciaire, elle siège également en tant que Haute Cour de justice. Elle a reconnu le statut constitutionnel, donc au-dessus des lois votées par la Knesset, des Lois fondamentales.

Depuis des années, la droite israélienne accuse la Cour suprême de confisquer le pouvoir des députés. D’où la crise qui a éclaté il y a quelques mois et se poursuit aujourd’hui, lorsque le premier ministre, Benyamin Netanyahou, et son gouvernement d’extrême droite ont annoncé vouloir réduire les prérogatives de la Cour suprême.

Chaque semaine, des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent contre cette et beaucoup réclament une Constitution. Mais « le contrôle de constitutionnalité des lois a été appliqué avec beaucoup de précaution et de retenue par les juges. En plus de quinze ans, moins de dix lois ou articles de lois ont été invalidés par la Cour suprême », constatait, en 2012, Suzie Navot, professeure israélienne de droit constitutionnel et vice-présidente du département de recherche à l’Israel Democracy Institute dans un article intitulé « la Cour suprême israélienne et le contrôle de constitutionnalité des lois ».

« Les clivages de la société israélienne entre religieux et non religieux d’un côté, entre juifs et Arabes de l’autre, ont bloqué, jusqu’à aujourd’hui, l’adoption d’un texte suprême », explique la juriste Anne Jussiaume (« La Cour suprême et la Constitution en Israël : entre activisme et prudence judiciaire », dans Jus Politicum).

La chercheuse Dahlia Scheindlin, qui concentre son travail sur l’opinion publique et le conflit israélo-palestinien, écrivait en avril, sur le site israélien +972, «  il y a de nombreuses raisons à ces échecs (de la non-promulgation d’une Constitution – NDLR), mais l’une d’elles est avant tout l’opposition à l’inscription du principe d’égalité comme Loi fondamentale de l’État israélien. L’absence d’égalité est au cœur de tout problème constitutionnel en Israël. À ce jour, il n’existe pas de droit formel à l’égalité pour chaque citoyen, ni d’égalité collective. »

Publié le mardi 4 juillet 2023
Pierre Barbancey
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