Engagé Ahmed Tobasi, comédien palestinien : « Merci aux théâtres français de faire entendre nos histoires »
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Ahmed Tobasi, comédien palestinien : « Merci aux théâtres français de faire entendre nos histoires »
Le combattant des années 90 et directeur d’un théâtre en Cisjordanie tourne avec son one-man show « And Here I Am » dans plusieurs villes de France, malgré l’annulation d’une de ses dates, à Choisy-le-Roi, en raison de l’attaque du Hamas en Israël.
Le comédien palestinien Ahmed Tobasi est en tournée en France avec son seul en scène And Here I Am. Tout comme Samaa Wakim et Samar Haddad King qui présentent Loosing it. Ils mettent en scène leurs douleurs, leurs aspirations et leur vécu en Palestine. Rencontre avec Ahmed Tobasi lors de son passage à Lyon, aux Subs dans le cadre du festival Sens Interdits.
Un jour, quelque part dans les années 90, au détour d’une ruelle du camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie, un homme charismatique s’est avancé vers un adolescent engagé dans la lutte armée et lui a dit : « Tu ne pourras pas libérer la Palestine qu’avec des armes. En revanche, le théâtre est une arme sérieuse. »
L’homme s’appelait Juliano Mer-Khamis, il était citoyen israélien militant pour les droits des Palestiniens, fondateur à Jénine d’un théâtre de fortune nommé le Freedom Theatre, et menait un seul combat, le plus dur : la troisième Intifada, pour lui, serait une « Intifada culturelle ». Alors, aujourd’hui, sur la petite scène des Subs à Lyon, où il a fini par arriver après un périple de quatre jours depuis Jénine, l’adolescent devenu acteur de 39 ans, Ahmed Tobasi s’avance vers le public tandis que s’affiche en surtitre cette phrase manifeste : « La voilà, ma chance, pour tout changer ».
Pour « tout changer », donc, un one man show, And Here I Am, écrit pendant quatre ans avec l’auteur irakien Hassan Abdulrazzak et la metteure en scène britannique Zoe Lafferty. Non pas pour expliquer au public étranger « qui a raison et qui a tort » sur le dossier israélo-palestinien, pas pour tenter à tout prix de « faire pleurer dans les chaumières » mais pour que le monde connaisse « aussi les artistes et les histoires palestiniennes ». Et celle de Tobasi offre ici une chronique de la vie ordinaire des ados en territoires occupés, rythmée à l’énergie burlesque, quelque chose en somme comme la Vie secrète des jeunes de Riad Sattouf, sauf que les jeunes ici finissent souvent martyrs ou incarcérés pour « terrorisme » dans les geôles israéliennes.
« Engagé à faire connaître ma réalité »
Ahmed Tobasi tourne avec son show depuis six ans, du Chili au Royaume-Uni. Il aimerait le jouer aux Etats-Unis : « Je n’en suis pas banni mais je n’ai pas encore réussi à y aller : quand ils voient que je suis Palestinien avec un passeport norvégien et que je fais mes demandes de visas depuis la Jordanie, ils ne comprennent pas bien… » « Pour tout changer », évidemment, il aurait fallu pouvoir jouer en Israël, le lieu dont il rêve le plus pour ce show, le lieu impossible. « Un jour, un Israélien est venu voir ma pièce à Londres et a exprimé le souhait de travailler avec nous, à Jénine. J’ai refusé, parce qu’on n’aurait pas été égaux, mais je lui ai dit de monter un “Freedom Theatre” en Israël et d’organiser les conditions de nos invitations mutuelles. » Le 7 octobre, ce rêve s’est un peu plus transformé en fumée. Reste la France, entre autres, pour « tout changer » ?
Comme le rappelait aux médias le maire de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), Tonino Panetta (LR), qui annulait la première date de la tournée française initialement prévue le 12 octobre, et que supervise le festival Sens Interdits, And Here I Am ne contient rien qui appelle à la violence mais il s’agit d’un spectacle « engagé ». « Engagé à faire connaître ma réalité, oui », répond devant nous Tobasi : la réalité d’un enfant né dans un camp de réfugiés palestinien, marqué par les deux Intifadas (1987-1993 et 2000-2005) qui, comme les autres enfants du camp « ne sait pas ce qu’est un civil israélien, parce qu’il ne voit que des soldats ». Celle d’un ado qui rêve d’être DiCaprio dans Titanic pour séduire une fille, puis d’être Rambo pour séduire la même fille, jusqu’à ramasser dans ses mains le cerveau d’un de ses amis explosé par un tir israélien. Celle, ensuite, d’un jeune homme engagé dans la lutte armée, arrêté en 2002 après avoir, selon lui, échoué à jeter un explosif sur un véhicule militaire israélien, un acte relativement peu « héroïque », selon ses critères de l’époque (il a dans la panique, rejoue-t-il sur scène, lancé le briquet au lieu de la bombe).
Ahmed Tobasi sera incarcéré de ses 17 à ses 21 ans dans une prison israélienne, et ressuscitera après une dépression aiguë grâce au Freedom Theatre de Juliano Mer Khamis. Après, c’est l’envol vers Bruxelles pour un festival où l’acteur en herbe est accueilli « en VIP » par des milieux culturels de gauche romantisant la figure du « résistant palestinien ». C’est la découverte de la vie étudiante en arts à Oslo, et la promesse de ne jamais remettre un pied en Palestine. Jusqu’à ce que la nouvelle tombe un jour sur son fil Facebook : en 2011, Juliano est assassiné à 52 ans dans des circonstances encore débattues. Aujourd’hui, Ahmed Tobasi poursuit donc à Jénine la mission de son ancien mentor. Un mentor qu’il considéra d’abord « comme un traître, qui nous détournait de la vraie lutte », raconte-t-il devant un café. « Parce que le rêve des enfants, ici, c’est d’être martyr, pas d’être acteur. »
Assurer le bon déroulé de la tournée
Pour l’heure, le théâtre de Jénine est totalement à l’arrêt. Alors « merci, aux partenaires français, de continuer à faire entendre nos histoires » hors des murs de Cisjordanie, parce qu’en Suède, par exemple, la tournée prévue en décembre a entièrement été déprogrammée au lendemain de l’attaque du Hamas en Israël. Pour l’heure, en France, seule la date prévue à Choisy-le-Roi le 12 octobre a été annulée. « Reportée », rectifie fermement le cabinet du maire dans un contexte où nul ne sait, cependant, quand il sera à nouveau possible de repartir de Cisjordanie une fois rentré. La décision fut prise, « par respect pour toutes les victimes » et « par mesure de sécurité, dans une ville où vivent pour l’instant très bien ensemble deux fortes communautés juive et musulmane », rappelle-t-on au cabinet, qui assure que la décision aurait été la même si un « spectacle israélien engagé » avait été programmé au lendemain des attaques.
Dans la mesure où l’occasion n’a pas été donnée à la mairie de Choisy-le-Roi d’illustrer cette impartialité, ce « report » a immédiatement embrasé la torche du « deux poids deux mesures », comme en témoigne en tout cas le communiqué publié dans la foulée par le Freedom Theatre de Jénine. « Par respect pour toutes les victimes ? C’est tout simplement de l’hypocrisie quand Paris illumine la tour Eiffel en blanc et bleu. […] » Les premières représentations en France ont pu se donner à Bordeaux, où plusieurs programmateurs ont manifesté leur souhait d’accueillir le one-man show si l’équipe choisissait de rester plus longtemps sur le territoire. En attendant, les échanges se poursuivent entre structures culturelles et autorités pour assurer le bon déroulé de la tournée. « Les discussions sont vives, nous glisse-t-on. Certains considèrent que jouer dans ce contexte, c’est risqué, d’autres considèrent que symboliquement, annuler ou reporter l’est bien davantage. »
« And Here I Am », mise en scène de Zoe Lafferty, avec Ahmed Tobasi, d’après le récit de sa vie. Les 21 et 22 novembre au Théâtre Joliette à Marseille, le 24 novembre au Théâtre l’Alibi à Bastia, le 28 novembre au Safran à Amiens.
Source : sceneweb