Israël : « Regarder le monde en féministe est le meilleur moyen pour le transformer »

mercredi 8 mars 2023

Chères toutes, chers tous,

Depuis plusieurs semaines, la population israélienne proteste, dans tout le pays, contre un projet de réforme de la justice porté par la coalition de droite et d’extrême droite dirigée par le premier ministre Benyamin Netanyahou. Parallèlement, dans les territoires palestiniens occupés, les attaques de l’armée israélienne et des colons s’intensifient.
Journaliste israélienne d’origine iranienne, féministe et militante pour l’égalité des droits, Orly Noy a récemment pris la tête de B’Tselem, une des ONG de défense des droits humains les plus actives du pays. Dans cette interview – la première donnée à un média français –, elle pointe les faiblesses politiques du mouvement d’opposition.

Le projet de réforme de la justice israélienne prévoit le transfert partiel du pouvoir judiciaire vers les pouvoirs exécutifs et législatifs et fait craindre à la population une grave atteinte à la démocratie. Depuis la fin décembre, Israël est dirigé par le gouvernement le plus à droite de son histoire, et des portefeuilles clés ont été confiés à des militants d’extrême droite suprémacistes, dont certains sont coutumiers des menaces et des appels à la violences à l’égard des Palestinien·nes. Depuis le début de l’année, près d’une cinquantaine de Palestinien·nes ont été tué·es par l’armée israélienne ou par des colons, et près de 150 attaques de colons sur des biens palestiniens ont été recensées par l’agence de presse palestinienne Wafa. Le 27 janvier, sept Juif·ves israélien·nes et ukrainien·nes sont mort·es dans une attaque perpétrée par un jeune Palestinien, un soir de shabbat, dans la colonie de Neve Yaakov à Jérusalem-Est. Vendredi dernier, un attentat palestinien à la voiture bélier a fait deux morts (dont un enfant de 6 ans) à Jérusalem.
C’est dans ce contexte que nous avons souhaité recueillir la voix d’Orly Noy. Depuis cette interview, réalisée en deux fois, le 16 janvier et le 7 février 2023, Israël a annoncé la légalisation de neuf colonies en Cisjordanie « en réponse aux attentats terroristes meurtriers à Jérusalem ».

JPEG - 159.9 ko

Quel regard portez-vous sur les manifestations de rue qui s’intensifient, ces dernières semaines, en Israël ?

Parmi les personnes qui manifestent, beaucoup s’identifient au centre et à la gauche. Elles disent défendre la démocratie et s’opposer à ce qu’elles considèrent comme un coup d’État politique, mais mon avis est plutôt qu’elles ont peur, avec ce nouveau gouvernement qu’Israël, perde la place que le pays occupe depuis longtemps, au sein du « club » des nations démocratiques.
Malgré le rythme effrayant des meurtres commis par l’armée israélienne, la violence de l’occupation en Cisjordanie et l’apartheid dans lequel sont maintenu·es les Palestinien·nes sont les angles morts de cette mobilisation. On a même vu apparaître au sein de ce mouvement un collectif « des soldat·es de réserve pour la démocratie », ce qui signifie que parmi les manifestant·es on trouve potentiellement des soldat·es qui ont participé aux attaques récentes contre les camps de réfugié·es palestinien·nes, comme à Jénine le 26 janvier dernier.
Plus éloquent encore, début février, le grand mouvement non partisan Notre chemin, situé au centre gauche, a lancé un appel à la mobilisation afin de « protéger la Cour suprême », dans l’objectif d’« éviter » aux soldat·es israélien·nes d’être traduit·es devant la Cour pénale internationale. Ils et elles savent – et assument donc – que l’armée commet des crimes et veulent lui assurer de pouvoir continuer.
Orly Noy, journaliste, féministe et militante pour l’égalité des droits en Israël, a pris la tête de l’ONG B’Tselem à l’automne 2022. Crédit photo : Archives personnelles.

Dans une interview que vous avez réalisée en novembre, Shirin Ebadi, la Prix Nobel de la paix iranienne, affirmait que c’est par les femmes que la démocratie reviendrait en Iran. Pensez-vous la même chose pour Israël ?

Il y a quinze ans, j’ai participé aux activités d’un groupe de femmes vraiment badass ! La Coalition des femmes pour la paix. Nous avions monté un centre d’information pour identifier les entreprises qui investissaient directement ou indirectement dans la colonisation de la Cisjordanie et démontré que l’occupation reposait, aussi, sur la complicité internationale. Donc oui, je pense qu’une vision réellement féministe du monde est l’outil le plus puissant pour le transformer, mais je constate que, malheureusement, ce n’est pas la voie que prennent la plupart des féministes israéliennes aujourd’hui.
Ma conviction est que dans ce pays, rien, a priori, ne peut transcender la question nationale. Ni les rapports de classe, ni les rapports de genre. Je ne place pas beaucoup d’espoir dans le féminisme israélien, car les organisations qui le composent à l’heure actuelle ne se sont pas emparées des sujets tels que l’occupation et l’apartheid, voire, parfois les soutiennent ! La figure féministe de référence dans notre pays, c’est Alice Miller, une femme qui, au début des années 1990, a saisi la Cour suprême pour obtenir le droit de servir en tant que pilote dans l’armée, c’est-à-dire, potentiellement, le droit d’aller bombarder la population palestinienne à Gaza !

... Lire la suite ICI.