Jénine : l’appel au secours du Théâtre de la liberté
À Jénine, l’armée israélienne envahit le camp de réfugiés, mène une campagne d’arrestations, défonce les routes empêchant ainsi les ambulances de porter secours aux blessés, détruit ou occupe des maisons. Nous publions ci-après le témoignage en forme de cri de Sophie Mayoux et Sonia Fayman, membres des Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine.
Le “Freedom Theatre” (Théâtre de la Liberté), créé en 2006 dans le camp de réfugiés de Jénine, tient une place précieuse de lieu d’éveil et de créativité dans un contexte où la vie quotidienne est au mieux difficile et sans horizon, au pire mise en péril ou supprimée par les violences des forces d’occupation israéliennes. Au fil des mois, les raids de l’armée israélienne sur Jénine ont fait des blessés et des morts en grand nombre, et ont notamment ôté la vie à des jeunes gens liés au théâtre – citons Sadeel, 14 ans, morte en juin 2023 d’une balle tirée par un sniper, ou, dès novembre 2022, Mahmoud Al Saadi, 17 ans, abattu sur le chemin de l’école.
Le mardi 12 décembre, l’armée israélienne a cerné le camp, dont elle a bloqué toutes les issues, elle a déployé des drones au-dessus des zones d’habitation et entrepris de bombarder des maisons considérées comme “suspectes”. Ahmed Tobasi, directeur artistique du théâtre, décrit comme une torture psychologique le bruit strident, incessant, implacable des drones qui tournoient au-dessus des maisons. Le mercredi 13 décembre, l’armée a fait irruption chez Mustafa Sheta, directeur général du théâtre, puis chez Ahmed Tobasi, et les a enlevés ainsi que Mohammed, frère d’Ahmed Tobasi, pour les conduire vers une destination inconnue. Plus de 100 Palestiniens de Jénine ont été enlevés de façon similaire.
Le 13 décembre au soir, Mohammed Tobasi a été libéré, dans des conditions qui restent à préciser.
Le bâtiment des bureaux du théâtre a été éventré par un bulldozer puis envahi par les troupes israéliennes. Une fois à l’intérieur, les soldats ont ouvert le feu tout en abattant à coups de marteau le mur de séparation entre le théâtre et la maison voisine, et ils ont détruit tout le matériel présent.
L’invasion actuelle, qui a fait 7 morts d’après les dernières estimations, s’inscrit dans une longue succession d’incursions violentes à Jénine comme dans d’autres villes de Cisjordanie occupée, impliquant des moyens et méthodes qui reflètent une volonté d’écrasement de la population palestinienne.
Ce n’est pas un hasard si le “Freedom Theatre” subit régulièrement des attaques et des destructions : ainsi, dans les premiers jours de juillet 2023, lors d’un raid israélien causant 12 morts et entraînant de lourds dégâts dans le camp, les bulldozers militaires et les explosifs ont fortement endommagé les bâtiments du théâtre.
L’appareil militaire de l’occupation s’en prend aussi aux individus et, encore une fois, vise délibérément le “Freedom Theatre”. Le président du conseil d’administration du théâtre, Bilal Al Saadi, a été arrêté en septembre 2022. Il a rejoint le grand nombre de Palestiniens de Cisjordanie – plus de 1300 avant le 7 octobre – emprisonnés sans inculpation ni jugement, selon la pratique dite de “détention administrative”, indéfiniment renouvelable. Nous osons espérer que le monde de l’art et de la culture se mobilisera pour que Mustafa Sheta et Ahmed Tobasi soient libérés.
Source : L’HUMANITE