La Palestine au-delà de la partition et de l’État-Nation
Dans son nouvel ouvrage, Rethinking Statehood in Palestine : Self-Determination and Decolonization Beyond Partition, (Repenser la question étatique en Palestine : autodétermination et décolonisation au-delà de la partition), Leïla Farsakh, politologue de Al-Shabaka et professeure associée d’économie politique à l’Université du Massachusetts à Boston, réunit une diversité d’intellectuels qui s’engagent dans la réflexion sur la signification de l’État palestinien. En dépassant la partition, qui est fondamentalement sous-jacente à la solution à deux États, Farsakh et les contributeurs montrent que les composantes de l’État de Palestine dont la citoyenneté, la souveraineté et le statut de nation, doivent être replacés dans le contexte de la colonisation.
Comme l’argumente Farsakh dans l’introduction de l’ouvrage, « décoloniser la Palestine nécessiterait de mettre en place les composantes d’un nouveau cadre politique qui reconnaisse la violence et les injustices du passé et du présent tout en donnant la priorité aux droits attachés à la citoyenneté sur la souveraineté territoriale ». Mais comment l’autodétermination palestinienne peut-elle être envisagée en dehors de la notion de souveraineté territoriale et du statut de nation ? Cela, souligne Farsakh, est une question pendante à laquelle les Palestiniens, où qu’ils soient, vont continuer à faire face.
Avec la mort de la solution à deux États, et l’échec de l’Autorité Palestinienne (AP) à faire triompher la libération et la justice, comment les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, des territoires de 1948 et de la diaspora peuvent-ils ré imaginer leur autodétermination hors du cadre étatique ? Quelles alternatives existent et quels sont les défis qu’elles peuvent présenter ?
Al-Shabaka a rencontré Farsakh pour échanger sur les conclusions de son ouvrage révolutionnaire et pour creuser ce à quoi ressemble le fait de repenser le statut de nation palestinienne.
Votre livre examine la trajectoire de l’attachement palestinien au modèle étatique comme moyen de libération. Pourquoi cet attachement a-t-il persisté et pourquoi le modèle étatique est-il finalement incapable de faire advenir l’autodétermination palestinienne ?
La façon dont les Palestiniens sont attachés au statut étatique vient du fait que ce statut affirme le droit à l’autodétermination et donc le droit des Palestiniens à définir leur destin politique et à affirmer leur existence en tant que nation. Israël nie ce droit depuis 1948. Le statut d’État est devenu un objectif central du mouvement national palestinien après la guerre de 1967 et la résolution 242 de l’ONU de novembre 1967. Cette résolution, qui est devenue la base du processus de paix entre Israël et ses voisins, stipulait le retrait d’Israël « des territoires occupés lors du récent conflit » en échange de « la reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région ». Mais la résolution ne mentionnait pas les Palestiniens ni aucun de nos droits qui sont protégés par les résolutions 181 et 194 de l’ONU.
Puis, en 1971, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a défini ses objectifs d’établissement d’un État palestinien inclusif pour les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans dans la Palestine historique. Ce faisant, elle postulait que la seule façon pour les Palestiniens de rentrer chez eux et de libérer leur terre du colonialisme de peuplement sioniste passait par la création d’un État-nation palestinien. À cet égard, l’OLP ne se distinguait pas de la plupart des mouvements de libération du vingtième siècle qui associaient la libération du colonialisme à la création d’États-nation indépendants.
La revendication palestinienne du statut d’État a été soutenue par la Ligue Arabe depuis 1974. Et aussi bien l’Initiative Arabe de Paix de 2002 que la Feuille de Route pour la Paix de 2003 ont affirmé que la création d’un État palestinien indépendant dans les territoires occupés en 1967 était non seulement légitime mais le seul moyen de mettre fin au soi-disant conflit israélo-palestinien.
Mais l’échec du projet d’État palestinien à apporter la libération vient principalement de deux faits. Le premier est l’acceptation par l’OLP du paradigme de la partition, promu par la communauté internationale depuis 1947, comme le seul moyen de résoudre le conflit. En 1988, l’OLP a abandonné son objectif de création d’un État démocratique sur toute la Palestine, au profit d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza comme déclaration symbolique d’indépendance. Le second facteur est l’acceptation palestinienne de négociations avec Israël sur la base des Accords d’Oslo de 1993, au lieu de se confronter au sionisme et d’exiger, au moins, le retrait complet des territoires occupés par Israël.
Ce “« Processus de Paix » a reformulé plutôt que mis fin à la structure coloniale de domination d’Israël. Il a permis à Israël de placer Gaza sous un siège qui dure depuis 15 ans et de presque tripler la population de colons en Cisjordanie, Jérusalem Est incluse, de 250 000 Israéliens juifs en 1992 à près de 700,000 en 2020. Il a aussi fragmenté l’entité politique palestinienne avec la création de l’AP qui a de fait supplanté l’OLP, compromettant, dans ce processus, la libération palestinienne et le droit au retour. L’État palestinien était alors réduit à n’être ni viable ni souverain, en dépit de sa reconnaissance par 138 États.
Les différents chapitres offrent des alternatives au projet d’État. Quels sont quelques-uns des défis que les Palestiniens doivent surmonter afin d’apporter une alternative viable à la partition ?