La population jordanienne soutient le Hamas, incarnation de la « résistance palestinienne »

lundi 27 novembre 2023

Depuis le 7 octobre, le Hamas est considéré par une grande majorité de la société jordanienne comme le héraut de la cause palestinienne. Les bombardements incessants sur la bande de Gaza soulèvent la colère d’une population fortement mobilisée.
Gwenaelle Lenoir - 22 novembre 2023 à 08h42

Amman (Jordanie).– Sous les drapeaux palestiniens, il y a des jeunes filles cheveux au vent, baskets aux pieds et piercings aux lèvres, d’autres en longue robe cachant les bras et les jambes, foulard blanc serré sur la chevelure, avec un bandeau vert sur le front, couvre-chef du Hamas. Il y a des hommes vieux et jeunes, glabres ou portant la barbe et le calot. Il y a un slogan repris par toutes et tous : « Nous sommes tous Hamas. » Vendredi 17 novembre, après la grande prière hebdomadaire, la foule s’est rassemblée dans le centre-ville d’Amman, capitale jordanienne, pour une marche très encadrée par les différents services de sécurité, police, gendarmerie, forces spéciales, en uniforme ou en civil. Ce jour-là, les manifestant·es sont plusieurs milliers, plus que la semaine précédente, mais moins qu’au début de l’offensive israélienne contre la bande de Gaza, après l’attaque du Hamas du 7 octobre. « Ce n’est pas le nombre qui compte, mais la détermination, affirme Dima Tahboub, députée et porte-parole du Front islamique d’action jordanien, émanation des Frères musulmans, entourée d’une grappe de femmes voilées de blanc. Ces mobilisations hebdomadaires depuis octobre sont exceptionnelles par leur durée. » Sa voix est recouverte par les haut-parleurs : « Nétanyahou, Biden, terroristes », « Par notre âme, par notre sang, nous te délivrerons, Palestine ».

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Lors de la manifestation de soutien à Gaza le 17 novembre 2023 à Amman (Jordanie). © Photo Gwenaelle Lenoir pour Mediapart

Appelée par le Forum de soutien à la résistance, plateforme créée il y a une quinzaine d’années mais peu active jusqu’au 7 octobre dernier, la manifestation regroupe l’ensemble du spectre politique, des Frères musulmans jordaniens au Parti des travailleurs (socialdémocrate), en passant par les formations nationalistes arabes, le Parti communiste, le Parti Baath à l’idéologie panarabiste, et des mouvements proches de groupes palestiniens comme le FPLP (Front populaire de libération de la Palestine). Les pancartes, d’un bout à l’autre du cortège, portent les mêmes messages : « L’Amérique est le terroriste en chef », « Sauvez la Palestine », « Gaza : cimetière des envahisseurs ». Sur une immense banderole blanc et bleu est dessinée, à la place de l’étoile de David, un swastika. La comparaison « Israéliens = nazis » est aussi courante dans les pays arabes que celle qui relie le Hamas au Troisième Reich côté israélien. Des photos d’enfants ensanglantés sont brandies. Sarra, une Jordano-Espagnole, cheveux courts et lunettes de soleil, est venue avec son père : « Oui, aujourd’hui, je me sens proche du Hamas, car nous soutenons tous ceux qui se défendent. Pendant combien d’années avons-nous essayé de faire la paix avec Israël ? Ils ont saboté tous les efforts pour arriver à la solution des deux États. » Interroger la proximité entre des mouvements de gauche et les Frères musulmans vaut une volée de bois vert : « Cette question est déplacée. Pourquoi les pays occidentaux seuls auraient-ils le droit au pluralisme politique ?, s’agace Hana, étudiante en sciences politiques, qui a suivi deux ans de cursus en Allemagne. Pourquoi n’aurions-nous pas, nous, le droit de résister ? Aujourd’hui, nous soutenons tous le Hamas, parce que ce qui compte, c’est la résistance. » Le Hamas, que « personne ne condamnera ici » L’attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre des bases militaires et des villages israéliens, qui a fait 1 200 morts selon le décompte israélien, est unanimement saluée, d’un bout à l’autre de l’opinion publique. La Jordanie a des liens très particuliers avec la Palestine. Après 1948 et la création de l’État d’Israël, le royaume hachémite annexe Jérusalem-Est et la Cisjordanie, qui resteront jordaniennes jusqu’à leur conquête par l’État hébreu pendant la guerre de 1967. La Jordanie accueille également, au cours de ces deux conflits, 1948 et 1967, une forte population de réfugié·es palestinien·nes, qui, dans leur grande majorité, acquièrent la nationalité jordanienne. On estime que 60 % des 11,5 millions d’habitant·es actuel·les du pays sont d’origine palestinienne. La question palestinienne a toujours mobilisé la population. Aujourd’hui, plus que jamais. Jordaniens et Jordaniennes de toutes origines se retrouvent dans les marches du vendredi et les rassemblements quotidiens dans le quartier de Rabiye, où est située l’ambassade israélienne, désormais vide. « Personne ne condamnera le Hamas ici, car en tant que mouvement de résistance, il se devait d’agir. Le siège et le blocus de Gaza depuis quinze ans, la politique d’Israël en Cisjordanie… La situation était intenable », affirme d’un ton calme l’avocate Hala Abed, défenseuse des droits humains et militante féministe. « Nous ne regardons pas le programme politique du Hamas, pas pour l’instant. Ce qui compte, c’est qu’il porte la résistance palestinienne, et seulement ça », renchérit Raya, jeune informaticienne aux cheveux très courts, en jeans et sweat-shirt, guère susceptible d’affinités avec les Frères musulmans.

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Source  : MEDIAPART