Libérer Marwan Barghouti, c’est libérer la Palestine, ouvrir une voie pour la paix

dimanche 10 décembre 2023

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La trêve à Gaza permettant la libération – malheureusement au compte-gouttes – d’otages détenus par le Hamas est une petite lueur d’espoir dans le sombre ciel du Proche-Orient. Nous avons toutes et tous été très heureux et émus des poignantes scènes de retrouvailles dans les familles israéliennes. Ces moments ont été encore plus déchirants lorsqu’il s’agissait d’enfants, souvent très jeunes. Nous imaginons les mêmes scènes de joie lorsque des prisonnières et prisonniers palestiniens retrouvent leurs foyers. Mais, à ce propos, nos caméras de télévision sont restées aveugles et muettes. Les Palestiniennes et Palestiniens sont bien souvent emprisonnés sous le régime de la détention administrative, vestige des ordonnances militaires des Britanniques à la fin de leur mandat sur la Palestine. Ce régime carcéral permet d’enfermer des Palestiniens sans inculpation ni procès, durant une période de six mois renouvelable à l’infini.

La trêve aura aussi permis de faire entrer un peu d’alimentation, d’eau et de médicaments qui ne répondront pourtant qu’à une infime partie des besoins des populations affamées et à ceux des enfants qui, selon les organismes officiels, boivent une eau non potable depuis des semaines.

Notons qu’il n’y a eu aucune trêve du côté de la Cisjordanie occupée, où les colons ont poursuivi leurs basses œuvres et où au moins 200 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre. Samedi et dimanche dernier, pas moins de huit Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne et une quinzaine d’autres blessés.

Cependant l’action pour faire perdurer la trêve à Gaza doit se poursuivre et se transformer en un cessez-le-feu qui ouvre une nouvelle voie pour une solution politique, conforme aux résolutions de l’ONU. Qu’enfin ! revienne l’humanité en lieu et place des horreurs et de la mort. Les Israéliens comme les Palestiniens ne peuvent ainsi vivre au rythme ponctuel des libérations d’otages que détient le Hamas et des bombardements de l’armée israélienne sur les enfants innocents de Gaza. Contrairement aux déclarations va-t-en-guerre des faucons israéliens, il n’y a pas d’autres chemins praticables, y compris pour la sécurité des populations israéliennes.

Redisons-le avec force : il est nécessaire d’agir pour la libération de tous les otages et la fin des bombardements de Gaza.

Dans l’intérêt de tous les peuples du Proche-Orient, il convient de porter une solution humaine et politique : la coexistence de deux États-nations, deux peuples vivant côte à côte en harmonie et en coopération.

La réalisation d’un tel projet concerne le monde entier. Il s’agit de justice. Il s’agit de faire respecter le droit international. Celui-ci exige que les grandes puissances et l’ONU fassent, en même temps, cesser la guerre à Gaza et cesser la colonisation qui s’accélère en Cisjordanie.

La colonisation de la Cisjordanie se fait sous la protection des militaires israéliens qui arrêtent et emprisonnent les Palestiniens qui s’opposent au vol de leurs propres biens. Ainsi, depuis le 7 octobre, 3 100 Palestiniens ont été incarcérés. L’immense majorité de ces prisonniers est placée sous le régime de la détention administrative. Cela porte le nombre de prisonniers à plus de 8 000. Quelques dizaines de Palestiniens emprisonnés, sans procès ni inculpation, sont donc échangés contre les otages israéliens et ceux d’autres pays, dont des travailleurs immigrés. Au moins quatre prisonniers palestiniens sont morts depuis le début de la guerre.

Quand 40 % des Palestiniens ont connu la prison depuis 1967, que de nombreux élus, journalistes, responsables d’associations et militants sont ainsi pris dans cette toile carcérale, il s’agit pour le pouvoir colonisateur de placer l’ensemble de la société, de la population, dans une situation de vulnérabilité et de peur pour l’empêcher de protester. Cela finit toujours par éclater. On ne peut ainsi indéfiniment boucher l’avenir de tous ces enfants qui ne peuvent pas sortir de chez eux sans se faire contrôler par une armée étrangère, violentés et souvent enfermés par elle, alors que le pouvoir israélien a tout fait pour affaiblir les organisations laïques et l’Autorité palestinienne. Cela conduit, un certain nombre de cercles à considérer qu’il n’y a pas de solutions car il n’y aurait pas d’interlocuteur pour construire un État palestinien.

Pourtant, la libération de la Palestine passe, pour une importante part, par la libération des prisonniers palestiniens, notamment leurs élus. Parmi ceux-ci, se trouve le député Marwan Barghouti, arrêté le 15 avril 2002 par l’armée israélienne lors de la seconde Intifada. Déjà à l’époque, cette dernière avait été qualifiée de « mouvement terroriste ». Militant depuis l’âge de 15 ans dans les rangs du Fatah, notamment dans les comités de villages au sein desquels le travail d’aide sociale ou le travail agricole se conjugue avec le combat pour la libération nationale, Marwan Barghouti a été emprisonné une première fois en 1978 pour cinq ans.

Syndicaliste étudiant, il est à nouveau arrêté en 1985 pour six mois, puis expulsé vers la Jordanie en 1987 et rejoint, à Tunis, la direction de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au côté de Yasser Arafat. Soutien actif des accords d’Oslo, il retourne en Palestine en 1994 et devient député de Ramallah en 1996. À ce titre d’ailleurs, il conduit la délégation des députés palestiniens membres du groupe d’amitié avec les députés français.

Lorsque Marwan Barghouti est élu au Conseil législatif palestinien, il se fait le promoteur de rencontres israélo-palestiniennes. Il n’hésite pas à se rendre au parlement israélien (la Knesset) pour constituer un groupe d’amitié parlementaire israélo-palestinien. Les espoirs déçus des accords d’Oslo provoquent la seconde Intifada dont Marwan Barghouti se retrouve l’incarnation tout en condamnant toujours les attaques contre des civils israéliens. Or, c’est au nom d’attaques contre des civils que l’expéditive justice israélienne le condamne et l’emprisonne, souvent dans des conditions horribles, privé de la visite de ses enfants et de son épouse Fadwa qui est aussi l’une de ses avocates.

Le pouvoir d’extrême droite israélien considère Marwan Barghouti comme un danger, non pas pour les faits qui lui sont reprochés mais pour sa capacité à fédérer le peuple palestinien en quête de la paix et de son État-nation, et pour son aptitude à porter un projet global pour la Palestine à même d’en finir avec l’expansion-annexion israélienne. Il a toujours voulu mettre fin au «  sang versé par les deux peuples », ainsi qu’il l’a déclaré au cours de ses procès.

En janvier 2002, le Washington Post publiait l’un de ses articles. Citons-en un extrait significatif : «  Le manque de sécurité des Israéliens vient du manque de liberté des Palestiniens. Israël n’aura de sécurité qu’après la fin de l’occupation, pas avant. Une fois qu’Israël et le reste du monde auront compris cette vérité fondamentale, la route sera tracée clairement : mettre un terme à l’occupation, permettre aux Palestiniens de vivre en liberté et laisser les voisins indépendants et égaux d’Israël et de Palestine négocier un futur pacifique en tissant des liens étroits, tant économiques que culturels  »

Dès ce moment, Marwan Barghouti a déjà montré le chemin d’une solution politique. Celui que le pouvoir d’extrême droite et colonial israélien ne veut pas : il ne veut pas libérer celui qui, de sa prison, a fédéré les factions palestiniennes dans un texte intitulé « Document des prisonniers ». Benyamin Netanyahou et consorts refusent de libérer celui qui est désormais couramment surnommé «  le Mandela palestinien  ». Tout un symbole ! Sans vouloir s’immiscer dans la vie politique palestinienne, on peut considérer que celui qui est le plus populaire en Palestine, le plus fédérateur, peut ouvrir la voie à une solution politique, à l’opposé des théories de guerre et de soumission qui nourrissent les impasses du terrorisme.

Raison de plus de relancer une grande campagne publique pour la libération de Marwan Barghouti et de tous les prisonniers politiques. C’est un moyen de libérer la Palestine et d’ouvrir une perspective de sécurité et de paix au Proche-Orient.

Source  : L’HUMANITE
La chronique de Patrick Le Hyaric