MSF dénonce un « massacre d’ampleur »

mardi 6 février 2024

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Chef de mission en Palestine pour MSF, Léo Cans, de retour de Gaza, souligne les difficultés des humanitaires dans le secours aux populations palestiniennes, mais aussi leur devoir de témoigner : « Une part importante de la population civile meurt sous nos yeux. »

Depuis quatre mois, les ONG internationales ne cessent d’alerter sur la situation dans la bande de Gaza. En novembre, treize d’entre elles, parmi les plus importantes, s’unissaient pour appeler à un cessez-le-feu immédiat,en marge de la conférence internationale organisée à la hâte par le président français, Emmanuel Macron, pour répondre aux besoins des populations civiles à Gaza.

Elles réclamaient des mesures concrètes « pour libérer les otages civils, protéger toutes les populations civiles ; garantir l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza et le respect du droit international humanitaire ». Elles l’ont martelé pendant des semaines et continuent de le faire, investissant la sphère médiatique comme jamais. En vain. Elles n’ont pas été entendues.

Deux mois plus tard, le 24 janvier, seize ONG majeures ont lancé un nouvel appel, cette fois pour que cessent « immédiatement les transferts d’armes, de pièces détachées et de munitions à Israël  » ainsi « qu’aux groupes armés palestiniens ». Parmi celles-ci, Amnesty International, Human Rights Watch, Médecins du monde ou encore Save the Children et Oxfam. Plusieurs avaient porté l’appel au cessez-le-feu à l’automne avec Médecins sans frontières (MSF), une ONG dont ce n’est pas l’habitude.

« C’est très rare que nous appelions à un cessez-le-feu, explique Léo Cans, chef de mission de MSF en Palestine. Ce n’est pas notre position habituelle. On le fait car on assiste au massacre réel et d’ampleur d’une population civile. Une part importante de la population civile meurt sous nos yeux. Il faut arrêter cela. 150 femmes et enfants meurent chaque jour en moyenne, selon l’estimation la plus basse. Notre mission est de porter secours aux populations mais aussi de témoigner de ce que l’on voit. C’est pour cela que je vous parle.  »

Avec une équipe constituée de 200 Palestinien·nes et d’une vingtaine d’internationaux, des médecins, des infirmiers, des logisticiens, etc., MSF est l’une des rares organisations non gouvernementales à exercer sur le terrain de Gaza, où il ne reste aujourd’hui que les personnels des Nations unies, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et des hôpitaux étatiques (émirati, jordanien notamment). « Quelques ONG parviennent à envoyer des équipes internationales d’urgence sur place, mais ce sont des petites équipes de deux ou trois personnes qui restent deux semaines et qui ressortent  », détaille Léo Cans.

L’hôpital, « un camp de réfugiés en soi »

Il revient de Gaza, où il a passé deux semaines en janvier. Il décrit « une catastrophe absolue », où honorer le mandat humanitaire est extrêmement difficile, sinon impossible, tant les entraves et les dangers sont multiples. Une situation qu’il n’a jamais connue au cours de sa carrière, pourtant jalonnée de missions au cœur des pires conflits, comme en Syrie.

Léo Cans était notamment à l’hôpital Al-Nasser, dans la principale ville du sud de la bande de Gaza, Khan Younès, où les combats font rage entre l’armée israélienne et les combattants du Hamas. « La situation [de l’hôpital] est catastrophique. Déjà, c’est un camp de réfugiés en soi, avec des déplacés de partout qui viennent y chercher refuge. Ils montent des semblants de tentes avec des couvertures, des draps, dans les couloirs. Il y a énormément de patients mais le personnel n’est pas en capacité de tous les prendre en charge. »

Il poursuit : « Quand bien même on arrive à faire les gestes de première urgence, couper la jambe, enlever la balle, le problème, c’est l’après. Ces blessures de bombardements sont complexes, avec des membres écrasés, des brûlures qui demandent des opérations chirurgicales répétées et diverses. »

Léo Cans raconte l’histoire de Myriam, une enfant de six ans, amputée de la jambe droite. Le visage à moitié brûlé, elle a perdu son frère, sa sœur, sa mère. Son père est porté disparu. Elle n’a plus que sa tante : « Faute de matériel, on a dû changer son bandage sans anesthésie. Pendant une demi-heure, elle a hurlé de douleur en appelant sa mère qui était morte. Chaque fois qu’une personne entre dans un hôpital, ce n’est jamais une personne seule. C’est une famille entière qui est détruite. »

C’est un terrain extrêmement hostile, dangereux, épuisant.

Léo Cans (MSF), de retour de Gaza

L’ONG, forte d’une longue expérience sur les théâtres de guerre, est « à un niveau de prise de risques jamais pris jusqu’ici  », témoigne Léo Cans. La maison où loge l’équipe MSF est «  à trois-quatre kilomètres » de Khan Younès. « On n’est jamais aussi près du front. C’est très rare. Parfois, on doit le traverser pour aller dans les hôpitaux. »

« La rotation de nos équipes internationales est normalement de deux à trois mois sur les terrains d’urgence, poursuit Léo Cans. Ici, même les plus expérimentés ne restent pas longtemps, généralement un mois. Cela montre combien c’est un terrain extrêmement hostile, dangereux, épuisant. Les bombardements sans discontinuer dans l’enclave qui est minuscule accentuent l’insécurité, la fatigue mentale. »

L’ONG est endeuillée par la perte de plusieurs membres de son équipe : deux médecins palestiniens morts à l’hôpital d’Al-Awda, dans le Nord, au début de la guerre, un laborantin tué par un bombardement chez lui, deux personnes tuées dans un convoi MSF d’évacuation autour de l’hôpital Al-Shifa.

« Nous avons perdu aussi Malak, la petite fille de notre chauffeur. Elle avait cinq ans. Elle a été tuée par un obus tombé sur une salle de mariage dans le sud de Gaza qu’on louait pour nos équipes qui ont évacué et qui n’ont plus de maison. Le lieu avait été notifié à l’armée israélienne, qui savait qu’il n’y avait là que des civils MSF avec leurs familles proches au premier degré, enfants et parents. » L’obus lui a arraché la jambe. La fillette est décédée deux jours plus tard à l’hôpital.

Les structures de santé directement visées

Très souvent, comme lorsqu’il était sur place, l’ONG n’a pas d’électricité : « Pour charger les équipements, communiquer, c’est une horreur. » Le réseau téléphonique et internet étaient soumis à un énième black-out :« Pendant huit jours, nous n’avons pu communiquer qu’avec un téléphone satellite. Cela aide mais ce n’est pas pratique. Les black-out ont un impact énorme sur la réponse humanitaire. On ne peut quasiment plus se coordonner, organiser les transferts de patients, etc. »

Léo Cans pointe plusieurs spécificités de ce conflit hors normes.

D’abord, « la proportion de femmes et d’enfants parmi les morts et dans les hôpitaux, tant les bombardements sont largement indiscriminés et ne font pas la différence entre combattants et civils » : « Je suis frappé par le nombre d’enfants gravement blessés et orphelins ou tués, de femmes, de personnes âgées. Dans la plupart des guerres, ce sont des combattants qui sont blessés, tués. »

Ensuite, «  la systématisation des attaques de l’armée israélienne contre les structures de santé, pas seulement un hôpital ici ou là  » : « Dans le Nord, elles sont directement ciblées avec ordre d’évacuation, des soldats qui pénètrent dans les établissements. Dans le Sud, comme à l’hôpital Nasser où je me trouvais en partie, l’hôpital est assiégé par les tanks et les snipers, ce qui fait qu’il se ferme de lui-même. Plus personne ne peut entrer et sortir, sous peine d’être mitraillé. »

Léo Cans alerte encore sur le droit humanitaire allègrement bafoué : «  L’accès au Nord est très compliqué. On est systématiquement bloqué. Pour atteindre l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, il nous a fallu plusieurs tentatives. L’accès au Sud n’est pas mieux. L’aide humanitaire entre goutte à goutte. »

Possédant un vieux générateur tombé en panne, laissant l’équipe sans eau chaude ni électricité, l’ONG a tenté d’en faire entrer un. Sans succès. « C’est interdit de base. Certains réussissent à le faire entrer, notamment les hôpitaux de campagne émirati, jordanien, car ils ont des conventions bilatérales d’État à État, pas nous qui sommes une ONG classique. Israël argue d’un motif fallacieux : le générateur serait utilisé par des combattants. Alors qu’ils savent bien que c’est à visée humanitaire. »

Source : MEDIAPART